Hippocrate de Thomas Lilti

Hippocrate, récompensé d’un Valois d’or au festival du film francophone d’Angoulême, est un film de Thomas Lilti, un ancien médecin généraliste et fils de médecin, qui a fait ses armes de scénariste sur quelques films (dont Télé Gaucho en 2011 et Mariage à Mendoza en 2012), après une première réalisation en 2007, Les Yeux bandés. Hippocrate est son deuxième film et le suivant est déjà écrit : ce sera autour d’un médecin de campagne et le tournage aura lieu début 2015. Médecin, il a continué à l’être entre ses deux premiers films, comme il le raconte dans un entretien pour Télérama :

Entre mes deux films, je suis reparti faire des remplacements, moins pour gagner ma vie, parce que j’écrivais des scénarios, que parce que médecin était mon métier, la logique était de le pratiquer. Je viens d’un milieu socio-culturel où les études sont importantes. Pour pouvoir sortir du cadre, aller vers une vie d’artiste, il fallait que je sois capable de gagner ma vie avec un métier reconnu. Et vu la précarité de ceux du cinéma, avoir un savoir, la médecine, est plutôt rassurant.

(Source : article d’Aurélien Ferenczi, 03/09/14. Disponible sur http://www.telerama.fr/cinema/thomas-lilti-aujourd-hui-je-ne-dis-plus-je-suis-medecin-mais-je-suis-cineaste,116422.php?xtatc=INT-41).

   La bande-annonce donne le ton : il ne s’agit pas de raconter l’histoire du médecin grec Hippocrate de Cos (-460/-370 env.), le fondateur de la médecine, qui prétendait descendre d’Héraclès et d’Asclépios, à l’origine du célèbre serment[1], garant supposé de la moralité et de l’éthique des médecins, mais de nous faire partager les débuts dans le métier de quelques-uns de ces « enfants d’Hippocrate », à travers une fiction d’apprentissage, qu’il ne faut pas prendre pour un docu-fiction.

   Le personnage principal, Benjamin Barois (Vincent Lacoste) a 23 ans, il commence son stage d’interne dans le service de son père (Jacques Gamblin), parce que ça lui semble « normal » de suivre ses traces jusqu’au bout : ses camarades se moquent de lui, en disant qu’il a forcément déjà le droit de tuer plus de patients qu’eux !

   Les premières images nous emmènent dans les entrailles de l’hôpital, de longs couloirs assez miteux, où se croise le petit personnel chargé de transporter tous les déchets produits par l’établissement. Benjamin semble un peu perdu dans ce ventre de la terre et manque de se faire renverser par un petit véhicule charriant les containers, tel le petit train d’une mine, qui parcourt continuellement les méandres de ce labyrinthe. Il arrive enfin à la lingerie, pour retirer une blouse, l’accessoire indispensable pour « faire médecin », mais il n’en reste aucune à sa taille. Il fait du 2 ? Il aura du 4. Il en voudrait une sans tache ? Il est d’emblée mis dans l’ambiance des économies nécessaires auxquelles l’hôpital est contraint et de la logique qui en découle : « C’est pas des taches, ça. Ça été lavé. C’est des taches propres. ».

   On découvre avec lui le fonctionnement du milieu hospitalier : la hiérarchie, prête à couvrir si besoin les siens, dans l’intérêt de la médecine « parce que c’est déjà assez dur comme ça », mais aussi dans l’intérêt de l’hôpital, surtout s’il est le fils d’un confrère ; les infirmiers en sous-effectif, qui tentent de se faire entendre en faisant grève, tout en continuant à travailler ; le matériel en panne, mettant en danger la vie des patients ; les salles de garde et d’internat aux murs couverts d’obscénités ; les conflits, les mensonges et les compromissions entre praticiens, au détriment parfois du bien-être du patient, de sa volonté et de celle de sa famille ; les médecins étrangers venus en France, dont les compétences ne sont que partiellement reconnues, qui ont le statut bancal mais officiel de « faisant fonction d’internes » (FFI), séparés de leur famille « restée au pays », et qui cumulent les heures de travail, les stages et les lettres de recommandation dans l’espoir d’obtenir un poste de titulaires. C’est auprès de l’un de ces médecins étrangers – et non auprès de son père – que Benjamin apprendra le plus : non seulement à faire correctement une ponction lombaire, mais à faire preuve d’humanité envers ceux qui souffrent, que cela passe par la recherche d’une pompe à morphine en état de marche dans un autre service, ou par l’accompagnement de personnes en fin de vie pour éviter toute souffrance inutile, ou même par des gestes simples, comme une main serrée et quelques mots pour réconforter un patient qui a peur de mourir.

   Un petit plus amusant : les sériephiles verront quelques ressemblance entre le personnage de Benjamin et celui de « JD » dans Scrubs (dans la scène du discours au miroir, par exemple) et ne manqueront d’apprécier le clin d’œil à une série encore plus célèbre et populaire en France, Dr House. On constate en effet que le personnel médical regarde cette série américaine lorsqu’il est de garde, comme House regardait lui aussi une série médicale, par mise en abîme de la situation.

   Pour prolonger le plaisir d’une réflexion sur médecine et fictions, nous vous conseillons plusieurs ouvrages du médecin-écrivain Martin Winckler (La Maladie de Sachs, Les Trois Médecins et Le Chœur des femmes, P.O.L. et Folio) et sa liste de conseils « Fictions et essais pour professionnels de santé en formation ».

[1] À propos du fameux serment, Jacques Jouanna écrit qu’« il était vraisemblablement prêté au sein de l’école médicale par les disciples qui étaient liés par un contrat d’association et recevaient l’enseignement moyennant salaire […]. » (article « Hippocrate de Cos », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 septembre 2014. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/hippocrate-de-cos/).

A propos Julie Gallego

Maîtresse de conférences en langue et linguistique latines à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Elle enseigne le latin de la L1 à l'agrégation (licence de Lettres, Master MEEF et Master recherche LiLAC). Elle est rattachée à l'équipe 2 "Arts et savoirs" du laboratoire ALTER. Elle enseigne le latin aux Lettres Classiques et Modernes avec la méthode audio-orale de Claude Fiévet, ainsi que la didactique du latin pour les étudiants de Capes. Elle est également responsable d'une option sur la bande dessinée (et notamment sur la BD historique portant sur l'Antiquité romaine). Ses travaux de recherche concernent la linguistique latine et la lecture de l'image fixe et mobile, essentiellement en lien avec l'Antiquité romaine (série TV ROME, séries BD ALIX, ALIX SENATOR, MÉDÉE et MURENA...). Elle est spécialiste de BD et de littérature de jeunesse.

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