Texte de Jean-Claude Daumas pour Arrête ton char !
I. INTRODUCTION
Trajan (98-117) et Hadrien (117-138) sont les deux empereurs « espagnols » : ils sont nés en Hispanie à Italica dans des familles italiennes qui y avaient migré longtemps auparavant. Leur règne correspond à la période où le vaste Empire romain était au maximum de sa puissance, semblant quasiment invulnérable.
Comment en est-on arrivé là ? En d’autres termes, c’est l’occasion de présenter Empire et empereurs.
1°) EMPIRE =conquête militaire
Elle a commencé sous la République (509-30) et, à la fin de celle-ci, l’Empire romain est déjà très largement établi. Par conquête, il faut comprendre domination de territoires hors de l’Italie péninsulaire : c’est l’application de l’impérialisme romain, sujet toujours en débat parmi les historiens de Rome.
La conquête républicaine a débuté par Sicile, Sardaigne et Corse (241-227 avant J.-C.), puis, pour les principales étapes : Espagne en partie (197), Gaule cisalpine/plaine du Pô (170), Macédoine-Grèce et Tunisie carthaginoise (146), Gaule méridionale (121), Gaule « chevelue » (50), Egypte (30).
La conquête impériale a été importante sous Auguste : Espagne cantabrique, Alpes et surtout territoires jouxtant la rive droite du Danube. Claude ajoutera la Bretagne et la Maurétanie ; Domitien les Champs Décumates entre Haut Rhin et Haut Danube ; enfin Trajan à conquis la Dacie et Hadrien puis Antonin pousseront jusqu’à l’Ecosse. Il restera à Marc-Aurèle à défendre (annonce des futurs désastres du III° siècle) cet immense empire qui va de l’Ecosse au Sahara, du Portugal à la Mésopotamie, contrôlant totalement le littoral de la Méditerranée, faisant de cette mer la fameuse Mare nostrum.
2°) EMPIRE : aspects politique, juridique, historique
Quand commence l’Empire romain ? En 31 avant J.-C. (Octave victorieux d’Antoine n’a désormais plus de rival) par commodité ; entre 28 et 19 réellement (27, l’année où il reçoit le titre d’Auguste, est choisi par la majorité des historiens), la décennie qui a permis l’établissement du Principat : octroi par le sénat à Auguste d’une série de pouvoirs qui en font le Princeps, un quasi empereur ;
Quand finit-il ? En Occident, il est logique de proposer le début du V° siècle : invasion générale de la Gaule en 406 par les Goths et autre peuples « barbares » ; 410 prise de Rome par les Wisigoths. 395 (mort de Théodose) est aussi une date choisie par nombre d’historiens.
Périodisations : ces 4 siècles sont souvent découpés en deux : Haut puis Bas empire. Dans ce cas le Haut empire, commencé en – 31, se terminerait en 192, ou 235 et même 284. La solution la plus logique est la division en 3 : une période de crises s’intercalant entre le Haut et le Bas empire, ce qui a l’avantage de mettre en valeur la grande période de l’Empire romain : les 1er et 2ème siècles après J.-C.
C’est alors un Haut empire (-31 à 192) dont l’apogée correspond au II° siècle entre 96 et192 ou plutôt 96 – 161, car la crise de 166-175 (Marc Aurèle a du batailler longtemps pour défendre l’Empire) annonce les désastres du III° siècle.
3°) LES EMPEREURS
De la ribambelle d’empereurs romains qui se sont succédés tout au long de 5 siècles (-31, +476), on ne gardera que ceux des 2 premiers (-31 à +192), au nombre de 17, en fait les 14 qui ont régné au moins 1 an (et 11 seulement pendant 10 ans et plus).
JULIO-CLAUDIENS (14-68) = dynastie romaine, celle des descendants d’Auguste (-31 à +14) , membres d’une aristocratie implantée dans Rome. Tibère (14-37), Caligula (37-41), Claude (41-54), Néron (54-68).
FLAVIENS (69-96) = dynastie italienne (Sabine) Vespasien (69-79) et ses fils Titus (79-81), Domitien (81-96).
ANTONINS (96-192) = dynastie espagnole [Nerva (96-98)], Trajan (98-117), Hadrien (117-138).
dynastie narbonnaise Antonin (138-161), Marc-Aurèle (161-180), Commode (180-192).
Comment retenir ces noms et dans l’ordre ? Par des formules mnémotechniques :
Pour les 12 Césars de Suétone : Césautica – Claunégalo – Vivestido [galo = Galba, Othon ; Vi = Vitellius]
Pour les Antonins, on peut tenter : Ner/tra/ha – An/marcau/co et les affubler de surnoms, celui d’Antonin étant officiel : Nerva le sage, Trajan le guerrier-bâtisseur, Hadrien le voyageur philhellène, Antonin le Pieux, Marc-Aurèle le philosophe, Commode le sanguinaire.
TRAJAN (53-98-117)
Marcus Ulpius Traianus est né en 53 à Italica (Bétique) dans la famille des Ulpii, descendant de colons italiens parvenus à la notabilité : son père fit, sous Vespasien, une brillante carrière, couronnée par un proconsulat en Asie (78-80).
Trajan est le premier des empereurs nés en province, mais de vieille souche italienne. Sa carrière, sous les Flaviens, fut essentiellement militaire : consul en 91, puis légat en Germanie supérieure. Il se fait alors remarquer par ses capacités (meneur d’hommes et soucieux de logistique) qui lui permettent de remporter une victoire sur les Germains en 97, ce qui lui vaut le titre de Germanicus tout comme à son empereur Nerva.
Le 28 octobre 97, il est donc à la tête de la plus puissante des armées romaines lorsque Nerva (70 ans et sans descendance) sentant sa fin proche, décide d’en faire son héritier. Aussitôt le Sénat lui accorde les titres de César et d’Auguste, la puissance tribunicienne, l’imperium majus et le consulat pour 98.
Le 27 janvier 98, mort de Nerva qui est annoncée peu après à Trajan en poste à Cologne par son petit neveu Publius Aelius Hadrianus, le futur Hadrien. Trajan est facilement reconnu empereur, en particulier par les militaires (chef apprécié) et les provinciaux (étant un des leurs).
Débute alors un long règne (19,5 ans entre 98 et 1417 ; de 44 à 64 ans) qui laissera un souvenir grandiose : « être plus heureux qu’Auguste et meilleur que Trajan » sera le souhait adressé à ses successeurs. Le Sénat lui a décerné en 98 le titre de Pater Patriae et en 114 celui d’Optimus (= le meilleur), qu’il partage donc avec Jupiter lui-même, l’Optimus Maximus. Classiquement, il fut proconsul hors d’Italie, Grand Pontife, 6 fois consul, 7 fois proclamé imperator : il possédait par conséquent tous les pouvoirs.
Intègre, vie simple mais sens des gestes : entrée solennelle dans l’Urbs à pied, au milieu de la foule qui l’acclame ; traversée à la nage de l’Euphrate à 60 ans.
Administrateur de premier ordre (ses réponses à Pline le Jeune montrent son bon sens, son respect de la loi, son efficacité), courtois envers le Sénat et les magistrats.
Conservateur en vieux Romain traditionnaliste dans le domaine des mœurs, Trajan se fait une haute idée de sa fonction d’empereur : c’est pour ce là qu’il a accepté le titre semi-divin d’Optimus.
Tant de louanges ont parfois suscité un agacement perceptible dans ses portraits en soudard …
I. POLITIQUE INTERIEURE
RELATIONS AVEC LE SENAT
Réelle considération du Princeps qui assiste aux séances, laisse les sénateurs élire librement les magistrats, assure leur sécurité personnelle (on est loin des empereurs sanguinaires du Ier siècle Tibère, Caligula, Néron, Domitien : Trajan y gagne le titre de Libertas). Le Sénat garde son rôle judiciaire et législatif, après la disparition des comices sous Nerva. En réalité, ces droits sont souvent formels : projet de loi rédigés par le Conseil impérial ; investiture d’un Empereur déjà désigné par son prédécesseur et acclamé par l’armée. Il est vrai aussi que c’est désormais un Sénat modéré et coopératif, transformé par l’admission de nombreux provinciaux (45 % à la fin du règne) qui doivent tout à l’Empereur.
UNE ADMINISTRATION AUTORITAIRE (pour le « bien commun »)
Trajan fut le premier Princeps qualifié officiellement en province de proconsul et officieusement de dominus : « Tout l’Empire se conduit à présent par la volonté d’un seul homme » (Pline le Jeune).
Importance de son Conseil, informel mais réunissant ses amis et un personnel de qualité : Dion de Pruse (Chrysostome), Pline le Jeune, Frontin, Apollodore de Damas, Neratius Priscus (grand juriste), Licinius Sura (fin diplomate).
Perfectionnement de l’appareil administratif qui assure la promotion des chevaliers : 64 procurateurs équestres sous Domitien, 84 sous Trajan ; ils ont la charge, entre autre, du contrôle de la gestion des cités.
Recherche d’un essor équilibré entre l’Italie (en déclin) et les provinces : les sénateurs provinciaux doivent investir le tiers de leur fortune dans l’agriculture ; création des alimenta : prêts d’Etat à 5 % pour que les propriétaires italiens équipent leur domaine = promouvoir l’agriculture en Italie et obtenir des cadres pour l’armée (l’intérêt de ces prêts doit financer l’éducation de fils de familles pauvres).
LES PROBLEMES FINANCIERS
Toujours aigus malgré l’apport en or (65 tonnes) et en argent (330 tonnes) de la Dacie vaincue : la situation est rétablie en 107 mais elle se dégrade ensuite avec :
– Politique généreuse envers le peuple (distributions, jeux, triomphes magnifiques).
– Campagnes militaires à préparatifs coûteux (en particulier contre les Parthes).
– Grands travaux : achèvement du port d’Ostie et construction d’un aqueduc supplémentaire l’Aquae traiana (30 km) pour nourrir et abreuver Rome, « mégapole » antique qui est embellie par : reconstruction du Circus Maximus, Forum (185 m x 300 m) et marché gigantesques, Colonne Trajane; thermes immenses. Hors de Rome : arc de Bénévent, Via Traiana entre Bénévent et Brindisi ; ponts (sur le Danube, Alcantara), …
ASPECTS TRADITIONNALISTES
Esclaves : renforcement de la dure législation d’Auguste.
Chrétiens : châtiés si dénoncés non anonymement et s’ils persévèrent devant l’autorité, mais pas de recherche systématique (d’après les réponses aux lettres de Pline le Jeune).
DEVELOPPEMENT DU CULTE IMPERIAL
Dans les provinces : essor du culte de Rome et d’Auguste, rendu à l’Empereur et à sa famille (Trajan, sa femme Plotine, sa sœur Marciana, son père adoptif Nerva).
L’arc de Bénévent montre sur l’attique côté ville, Jupiter accueillant Trajan : l’empereur est donc l’agent du roi des dieux sur terre.
Conclusion
Avec Trajan, débute l’Empire « humaniste » du IIème siècle dans lequel le prince incarne les vertus stoïciennes prônées par les penseurs dont Pline le Jeune ; aux antipodes des pratiques de quelques empereurs fanatiques du Ier siècle (les Julio-Claudiens).
II. POLITIQUE EXTERIEURE
Trajan passe pour avoir pratiqué une « politique de grandeur » et être le dernier empereur à croire en une politique impérialiste, coûteuse et finalement décevante : est-ce si simple ?
Trajan est un général de grande valeur, un véritable vir militaris, à la tête d’une armée peu nombreuse (malgré la création de 2 légions supplémentaires) mais bien entraînée et commandée. Son règne correspond à l’apogée territorial de l’Empire romain qui sort de ses frontières (assignées par Auguste) sur le Rhin, le Danube et l’Euphrate, pour des motifs semble-t-il avant tout défensifs : châtier un ennemi agressif et créer un glacis protecteur en avant des provinces menacées.
AFRIQUE
Limes [frontière protégée par des fortins et des camps militaires raccordés par une route en rocade] étendu (Aurès) et renforcé.
DACIE (101-107)
Les Daces (Roumanie actuelle) de Décébale, même vaincus par Domitien, menacent toujours les provinces danubiennes de Pannonie et de Mésie par leurs incursions et leurs alliances avec les peuples voisins (et même avec les Parthes …). De plus, leur territoire est riche en mines d’or et d’argent.
Campagne de 101-102 : 12 légions, rapide victoire, forteresses rasées et annexion de la Dacie danubienne ; 102 : triomphe et surnom de Dacius pour Trajan.
102-105 : fortification du limes danubien face aux Marcomans, Quades, Yazyges ; construction d’un immense pont en pierre sur le Danube par Apollodore de Damas.
Campagne 105-107 :
105 : Yazyges et Daces envahissent la région annexée par les Romains en 102.
106 : prise de la capitale Sarmizégétusa (qui deviendra Colonia Ulpia Traiana), suicide de Décébale, butin prodigieux.
107 : la Dacie devient province romaine, bastion avancé face aux Suèves et Goths.
Les guerres daciques sont splendidement illustrées par le bandeau sculpté de la Colonne Trajane, pièce maîtresse du forum de Trajan.
ARABIE
Le royaume des Nabatéens fut conquis et annexé en 106 par A. Cornelius Palma : faciliter les relations entre Egypte et Judée, favoriser le commerce par la Mer Rouge.
PARTHIE (114-117)
L’empire parthe (Mésopotamie et plateau iranien) fut la hantise de Rome pendant 2-3 siècles, en fait depuis le désastre de Crassus à Carrhes où, en 53 avant J.-C., une armée romaine fut anéantie.
But principal : créer un glacis protecteur pour la Syrie. Motifs secondaires : contrôler les routes du commerce oriental (vers Inde et Chine) et, peut-être, égaler Alexandre le Grand en accomplissant ce que, ni César (Carrhes) ni Marc Antoine n’ont pu réaliser.
Longue préparation : accumulation en Cappadoce de soldats (80 000 équipés d’une cuirasse segmentée – lorica segmentata – efficace contre les redoutables archers parthes), d’approvisionnements (nourriture, navires) ; présence d’Apollodore de Damas, expert en guerre de siège.
Prétexte : le nouveau roi parthe Chosroes 1er place sur le trône d’Arménie son neveu (traité de 63 non respecté).
114 : invasion de l’Arménie qui devient province romaine.
115 : conquête de la Haute Mésopotamie.
116 : en bateau sur l’Euphrate puis sur le Tigre, les Romains s’emparent de l’Assyrie puis de la Babylonie : prise de Séleucie, de Ctésiphon (la capitale parthe) et de son trésor, de Babylone avant d’atteindre le Golfe Persique. Trajan reçoit le titre de Parthicus.
117 : coup d’arrêt et retraite : dès fin 116, la révolte des Juifs en Palestine distrait de l’armée romaine une partie des soldats ; les querelles entre Parthes cessent, les peuples qu’ils avaient soumis font cause commune avec eux ; motif principal : les exactions romaines. Cette révolte générale de tout le Proche Orient force Trajan, malade, à battre en retraite et à renoncer à la Basse Mésopotamie et à l’Assyrie.
Le 9 août 117, en Cilicie, mort de Trajan, déjà remplacé par Hadrien à la tête de l’armée.
Bilan
Les guerres de Trajan, à buts stratégiques et économiques (éventuellement idéologique), ont eu des résultats contrastés.
Arabie : acquisition durable et rentable.
Dacie : reste romaine pour 1,5 siècle mais son exploitation fut décevante [Roumanie = « Romains »]
Parthie : conquêtes de 115-116 abandonnées dès 117, même si plus tard Ctésiphon fut atteinte par les Romains en 165, 197 (Septime Sévère reçu le titre de Parthicus Maximus) et 283. Entre-temps, l’empire parthe, affaibli, avait cédé la place à celui des Perses sassanides (224).
HADRIEN (76-117-138)
Publius Aelius Hadrianus est né le 24 janvier 76 à Italica ? Rome ? En tout cas au sein d’une famille (Aelii) de colons italiens établis depuis longtemps à Italica en Bétique : c’est le second empereur « espagnol » de l’Histoire romaine.
Parent éloigné de Trajan – il a épousé sa petite nièce – Hadrien a eu une carrière civile (sénateur, consul en 108 à 32 ans, archonte à Athènes en 111/112) et surtout militaire aux côtés de Trajan qu’il suit en Germanie, Dacie et Orient. Il fut légat d’une légion lors de la seconde guerre dacique, gouverneur de Pannonie inférieure puis légat de Syrie en 117, année où il remplace Trajan, malade, à la tête de l’armée romaine battant en retraite en Mésopotamie.
Trajan n’avait pas réglé officiellement sa succession, mais sa femme Plotine ayant affirmé que son mari, sur son lit de mort, avait adopté Hadrien (il devient alors Imperator Caesar Traianus Hadrianus Augustus), ce dernier fut acclamé par l’armée le 11 août 117 ; le Sénat, informé par la suite, ne peut que s’incliner. Le Sénat et les partisans d’Hadrien – sans que celui-ci, semble-t-il, soit complice – font alors exécuter des « grands maréchaux » de Trajan, accusés de complot : Cornelius Palma, Lusius Quietus, Publius Celsus, Avidius Nigrinus.
Hadrien est le plus déroutant, le plus attachant des empereurs romains : une personnalité qui divise, et en premier ses contemporains : majoritairement, ils l’ont peu apprécié. Vaste culture intellectuelle, plus grecque (admiratif de la culture hellène, il fut surnommé ironiquement Graeculus = petit Grec) que latine, curieux de tout : de formes d’art (snobisme d’un esthète ?), d’architectures, de sciences, de nature (ascension de l’Etna). Mais ses goût apparaissent bizarres aux yeux de nombreux Romains qui lui reprochent d’être autoritaire, égoïste, entêté et parfois cruel.
Pacifiste, mais vigilant pour renforcer la défense de l’Empire, sentant monter les périls.
Grand voyageur, d’où une connaissance précise des provinces.
Inquiétude spirituelle : respecte de la religion traditionnelle mais ferveur pour les cultes grecs (Déméter à Eleusis où il se fera initier, Asklépios à Pergame), engouement pour les cultes égyptiens et pour l’astrologie …
Grand administrateur, il fit codifier l’évolution inévitable vers un empire absolutiste : hostilité du Sénat qui, après sa mort, ne lui accordera le titre de Divus que sur l’ordre d’Antonin, le nouvel Empereur . Il est vrai que les honneurs démesurés qu’il a fait rendre à son favori – le bel Antinoos – noyé dans le Nil, et ses dernières années où, souffrant, il s’est retiré (tel Tibère à Capri) dans sa somptueuse villa de Tivoli (Tibur) d’où il fait exécuter quelques sénateurs (comploteurs ?), ont heurté un Sénat habitué au pragmatisme traditionnaliste de Trajan.
Son palais de Tivoli (Villa Hadriana) symbolise l’ambiguïté d’Hadrien : collection d’un dilettante ou souvenirs d’un voyageur ? Résumé de l’Empire romain ou cadre de divinisation impériale ? (même s’il n’a accepté d’être Pater Patriae qu’à partir de 128).
I. POLITIQUE INTERIEURE
GOUVERNEMENT : vers l’absolutisme ?
Fondateur décisif, après Claude, de l’administration de l’Empire avec la constitution définitive du Conseil impérial (juristes professionnels) et la promotion des chevaliers (aux dépends des sénateurs) dont le cursus est fixé : ils remplacent les affranchis à la tête des bureaux et dirigent les 4 régions qui désormais divisent l’Italie. Un service d’archives (a memoria) est créé.
L’Edit perpétuel (œuvre du grand juriste Salvius Julianus) codifie les lois que seul le Princeps pourra modifier : il devient source de loi par jugements (decreta) et principes généraux (edicta) aux dépends des prêteurs. Ce texte qui touche tous les secteurs restera en vigueur jusqu’au VIème siècle.
Hadrien fait faire aussi un pas en avant dans la divinisation de l’Empereur en laissant placer sa statue à côté de celle de Zeus dans la cella de l’Olympieion d’Athènes.
Même s’il est respecté, le Sénat est furieux de cette évolution.
ECONOMIE et FINANCES
Centralisation des services financiers sous les ordres du procurateur a rationibus qui favorise la perception directe des impôts au détriment du système de la ferme (et de ses abus).
Les droits du fisc (intérêts de l’Etat) sont défendus par de jeunes chevaliers (advocati fisci) lors des procès.
Meilleure gestion du domaine impérial : mines d’Hispanie (lex metallensis), exploitations céréalières d’Afrique.
Lex hadriana de rudibus agris : elle organise l’accueil des coloni (petits fermiers) sur les terres du domaine public laissées incultes par les conductores (régisseurs) = essor des colons libres et héréditaires en échange d’un fermage modéré.
SOCIETE et GRANDS TRAVAUX
Législation plus humaine que celle de Trajan : protection des esclaves contre la violence de leur maître ; limites strictes à la puissance maritale et paternelle.
C’est sous Hadrien que le Panthéon a été rénové (coupole) et son immense mausolée commencé.
SUCCESSION
En 138, le 25 février, Hadrien adopte son neveu par alliance (âgé de 52 ans) qui devient Titus Aelius Hadrianus Antoninus (le futur Antonin) et doit, à son tour, adopter un enfant de 7 ans (Lucius verus) et un jeune homme de 17 ans (Marcus Annius Verus = le futur Marc-Aurèle). Très malade, Hadrien abandonne le pouvoir à Antonin et meurt le 10 juillet 138 à Baïes.
Conclusion
Hadrien est donc intervenu dans tous les domaines (= autoritarisme ?) avec parfois des décisions novatrices, voire révolutionnaires, d’où des rapports de plus en plus tendus avec les sénateurs qui ont fait les frais de cette politique.
II. VOYAGES
C’est la principale originalité d’un règne de 21 ans : 12 ans à parcourir l’empire, accompagné d’une partie de son Conseil. C’est aussi une méthode de gouvernement : contrôle du Limes, de la gestion des gouverneurs de provinces, des besoins des provinciaux qui se traduisent par des aides aux cités sous forme de constructions, d’aides en argent, de statut de colonie et d’envoi de curatores.
4-5 séries de voyages de 117 à 131/133 :
117 : Antioche, Syrie, Ankara, Byzance 118 : Mésie, Pannonie
119-120
121 : Gaule, Lyon 122 : Germanie supérieure, Rhétie, Norique, Germanie inférieure, Bretagne, Gaule, Nîmes, Tarragone. 123 : Maurétanie ?, Syrie, Euphrate (Limes), Cappadoce, Bithynie 124 : Asie (Pergame, Ephèse), Rhodes, Eleusis, Athènes, Péloponnèse 125 : Grèce centrale (Delphes), Eleusis (initiation) 126 : Sicile, Italie.
127
128 : Sicile, Afrique, Maurétanie, ROME , Athènes, Eleusis 129 : Athènes, Ephèse, Asie, Phrygie, Cappadoce, Cilicie, Antioche 130 : Antioche, Palmyre, Arabie, Judée, Alexandrie, voyage sur le Nil, Thèbes, Alexandrie 131 : Alexandrie, en bateau le long des côtes de Syrie, Asie, Thrace, Mésie, Dacie, Macédoine, Athènes.
132-138 [ 133 : Judée ?]
Parmi ces voyages, celui de 130-131 en Egypte – province impériale par excellence – est peut-être le plus important. Hadrien, en égyptophile averti, est curieux de cette civilisation antique (colosse de Memnon, …) . De plus, Antinoos, jeune esclave grec à son service depuis 123 (passage en Bithynie) et devenu le « favori » d’un empereur sans enfant, se noie dans le Nil. Hadrien lui fait construire une ville (Antinoopolis) et le culte d’Antinoos, assimilé à un autre célèbre noyé (Osiris), se développe dans les provinces orientales de l’Empire [il sera abandonné après la mort d’Hadrien]. Conséquence principale de ce voyage : la transformation d’une partie de la Villa Hadriana à Tivoli. Un corridor symbolise le Nil (avec crues suscitées par un mécanisme), entre une niche (sources) et une exèdre (delta).
III. POLITIQUE EXTERIEURE
Changement de stratégie : repli et consolidation pour un Empire prêt à se défendre.
Armée : 2 légions en moins, mais organisation systématique des Auxilia à base de « barbares » comme les archers palmyréens, … Développement du recrutement local des légionnaires : l’armée s’enracine, se « barbarise », mais elle est parfaitement entraînée (moral, discipline, loyauté). 28 légions ; pour 10 000 km d frontières, 350 000 soldats recrutés à 40 % dans les provinces rhéno-danubiennes et à 50 % en Afrique.
Limes renforcé (devenu purement défensif et non base de départ pour conquêtes) par palissades et fossés en avant, fortins en pierre pour les auxiliaires, castra pour les légionnaires. ; le tout relié par un route de rocade.
Début du Limes (camp de Lambèse115-120) en Maurétanie (après la révolte de 117) et renforcement de celui des Champs Décumates (après attaque des Sarmates en 118), liaison entre Haut Rhin et Haut Danube.
Abandon des conquêtes de Trajan en Mésopotamie (simple suzeraineté théorique sur l’Arménie ; traité de paix avec les Parthes en 123) = retrait stratégique avec consolidation de la frontière du Haut Euphrate.
122-127 : construction du mur d’Hadrien au nord de la Bretagne (après 3 ans de guerre contre les Brigantes) sur 117 km = ligne Tyne – Solway Firth. Large fossé en avant et en arrière d’un mur en pierre de 4-5 m de haut, 5-6 m de large à la base, renforcé tous les 500 m par une tour en pierre (10 m de haut) et tous les 1 km ou 1,5 km par un fortin (15 x 18 m), le tout relié par une rocade à l’arrière. [142-143 : mur d’Antonin plus au nord sur 60 km entre Forth et Clyde = fragile barrière vite entamée et abandonnée totalement en 184]
132-135 : révolte juive liée au projet de temple de Jupiter à l’emplacement du temple de Salomon dans Jérusalem devenue Colonia Aelia Capitolina : Romains de Jérusalem massacrés puis féroce répression (Jérusalem reprise en 134 ; fin de la révolte en 135) = massacres et exode massif des Juifs à qui Jérusalem est désormais interdite. La Judée devient la province consulaire de Syrie-Palestine.
En guide de conclusion
TRAJAN et HADRIEN ont porté au maximum l’efficacité de :
– l’administration de l’Empire.
– l’armée romaine.
– le Limes.