SOCIETE
ETRUSQUE ET VIE QUOTIDIENNE
par Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere
Source principale : Dominique
BRIQUEL (1999).
Certains aspects de la société
étrusque demeuraient « incompréhensibles » aux yeux des
Grecs et des Romains, déclanchant leur réprobation.
SOCIETE, HABITS,
ALIMENTATION
Catégories sociales :
– Les grandes
familles aristocratiques dominent depuis le VIIIème siècle :
leur richesse (= pouvoir) s´étale dans leurs tombeaux. Elles ne
correspondent cependant qu´à une infime minorité de la société
étrusque : à Tarquinia, les tombes à fresques ne représentent
que 2% du total des tombes.
– Artisans,
commerçants et petits agriculteurs sont des citoyens juridiquement
libres mais sous la coupe de l´aristocratie par le système de la
clientèle.
– Les plus
soumis : les serfs cultivant les terres des grands propriétaires
et les vrais esclaves avant tout en ville.
– Une catégorie à
part : les étrangers comme les artisans grecs qui travaillent
en Etrurie ainsi ou les commerçants grecs de Cerveteri et
carthaginois à Pyrgi.
Habits : tuniques de
couleurs vives à manches courtes ; manteaux de laine ;
tutulus = chapeau pointu ionique ; chaussures ioniques
(pointe recourbée vers le haut) couvrant la cheville.
Nourriture :
– Bouillies et pains à base de
céréales et de légumes ; vin ; poissons ; gibier
(lièvres, cerfs, sangliers).
– Viande bovine, ovine, porcine,
volailles : consommation limitée aux jours de fêtes
religieuses pendant lesquelles ces animaux sont sacrifiés.
– Ustensiles de cuisine, souvent en
bronze : broches à rôtir, louches, passoires, chaudrons,
mortiers, vases d´impasto à rebords perforés pour
filtration, faisselles.
– Fourneaux pour cuisson, le plus
souvent à l´extérieur de la maison.
LE STATUT DE LA FEMME
ETRUSQUE
Tout ce qui suit
ne concerne évidemment que les femmes de l´aristocratie :
nous n´avons aucun document pour les autres, infiniment plus
nombreuses …
La place de la
femme étrusque est tout à fait originale pour l´Antiquité
gréco-romaine : en Grèce, un femme « honnorable est
confinée au gynécée (sa maison) et la « matrone »
romaine n´est guère plus libre.
Participation à la vie publique :
– Convives à côté de leurs maris
lors des banquets « à la mode grecque » : par
convention une femme est peinte en blanc sur les fresques alors que
l´homme l´est en rouge.
– Spectatrices, toujours avec leurs
maris, des jeux scèniques ou sportifs : on les voit aussi
nombreuses que les hommes dans les tribunes lors de courses de chars,
parfois placées au premier rang, et reconnaissables à leur tutulus.
– Tanaquil, d´après Tite-Live,
aurait été une « faiseuse de rois ». Femme de Lucumon
(fils du grec Démarate), elle pousse son mari, sans espoir de
carrière à Tarquinia, à s´installer à Rome où il deviendra le
roi Tarquin l´Ancien. Elle imposera plus tard sur le trône son
gendre, né d´une servante, qui deviendra Servius Tullius, le
second roi étrusque de Rome. Ce n´est qu´une « belle
histoire », mais significative de ce qu´un Romain pouvait
imaginer quelques siècles plus tard.
Personnalité juridique :
– Alors qu´une femme romaine ne
porte que le nom de son père et un surnom pour la distinguer des
autres femmes de sa gens, la femme étrusque possède, comme
un homme, un prénom : Larthia, Ramtha, Tanaquil, …
– Sur les inscriptions funéraires,
son nom figure à côté de celui de son mari : Lars fils
d´Arruns Pleco [père] et de Ramtha Apatronia [mère].
Idem sur des inscriptions simplifiées : Arnt Marcni [père]
Zichnal [mère]. Elle lègue donc son nom à ses enfants, ce
qui précise leur filiation.
Couples : cette vision
égalitaire se matérialise aussi sur les tombeaux qui sont aussi
riches pour une femme que pour un homme : le personnage
principal de la tombe Regolini-Galassi à Cerveteri est une femme.
Sur les couvercles des urnes funéraires on trouve soit une femme
seule, soit un homme seul, soit le couple couché côte à côte,
avec geste protecteur et/ou d´affection du mari envers sa femme.
Dans la tombe des Cinq Sièges figurent deux trônes vides :
ceux du père et de la mère de famille.
La femme étrusque n´a pas de rôle
politique ou religieux : aucun magistrat ou haruspice
femme n´est connu ; elle est avant tout une vraie maîtresse
de maison, capable de filer,de tisser et de diriger les serviteurs.
Elles « ne se contentaient pas, comme Pénélope ou
Andromaque, d´attendre patiemment à la maison le retour de
l´époux, mais elles prenaient aussi leur part légitime aux
plaisirs de la vie … » J.-P. Thuilier (2003, p.
227).
On conçoit aisément que les auteurs
(des hommes évidemment) grecs et romains aient été choqués :
si Aristote se contente de déplorer que les « Etrusques
mangent avec leurs femmes sous le manteau »,
d´autres n´hésitent pas à parler d´immoralité, de
dévergondage, de prostitution, …
LES SPECTACLES
Ils sont donnés
lors de la réunion annuelle au Forum Voltumnae, lors des
cérémonies funèbres et parfois dans des grandes cités comme Véies
ou Tarquinia.
Les jeux scéniques sont mal
identifiés. Si les Etrusques appréciaient les ingénieurs,
architectes, sculpteurs, peintres, musiciens, danseurs et athlètes,
ils n´estimaient guère semble-t-il les chanteurs, poètes et
philosophes : Volnius est le seul nom d´écrivain connu.
Danseurs, mimes, jongleurs et bouffons
sont appréciés, y compris par les Romains qui ont souvent fait
appel à eux. Les jeux toscans bien qu´inspirés des Grecs n´en
ont pas le même esprit : c´est avant tout un spectacle de
divertissement et non une confrontation civique. Sur une fresque de
la tombe des Jongleurs, figure une danseuse virevoltant, jambes
visibles sous une robe transparente, avec un candélabre sur la tête
dont la pointe recevra l´anneau lancé par son partenaire masculin,
le tout accompagné par un flûtiste.
Les jeux sportifs :
Des athlètes,
vêtus d´un pagne, s´affrontent à la course à pied, à la
lutte, au pugillat, aux lancers du disque et du javelot et au saut en
longueur : programme grec classique.
Spectacle le plus prisé : les
courses de chevaux montés et surtout de chars ; des « biges »
(2 chevaux) et la spécificité étrusque, des « triges » tirés
par 3 chevaux, celui de tête “ libre “ facilitant la manœuvre
dans les virages. L´aurige nouait les rênes autour de sa taille
afin d´avoir les mains libres pour manier le fouet ; un
couteau à la taille servait à trancher les rênes en cas de chute …
Ces compétiteurs n´étaient pas
comme en Grèce une élite sociale, concourant pour le prestige de
leur cité, mais comme à Rome plus tard, des professionnels :
se donner en spectacle était considéré comme dégradant.
LA « MOLLESSE »
La « mollesse
voluptueuse » ou truphé en grec, est sans doute la
principale accusation des auteurs grecs et romains qui dénoncent :
–La nourriture : « l´obèse
étrusque » représenté sur les sarcophages tardifs
serait le résultat des excès alimentaires lors des banquets,
pourtant imités des Grecs.
–Le luxe : vêtements
somptueux, mobilier précieux, miroirs, bijoux (fibules, colliers,
boucles d´oreilles) en or, ambre, bronze, parfums.
–La musique (double flûte,
cor, trompette à son violent, castagnettes) qui accompagne les
banquets, les athlètes pour rythmer leurs combats, les cérémonies
religieuses.
–La danse grâcieuse des
femmes, guerrière des hommes et les « bals » entre
jeunes gens, divertissement gratuit.
En réalité, cet étalage de luxe qui
choque tant n´est que l´expression du prestige social des
familles aristocratiques dans leurs tombeaux. Mais c´est le moment
où Grecs et Romains prônent la modération : lois somptuaires
de Solon à Athènes ; idéal du citoyen romain qui exalte « une
austérité parée de toutes les vertus morales »
[Dominique Briquel].