La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat auditionnait le 3 juin Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la réforme du collège.
Nous pouvez lire une retranscription complète des échanges sur le site du sénat : www.senat.fr
Quelques extraits choisis :
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente (de la commission ) :
les modalités pratiques de votre réforme font débat, chacun ayant son idée de la réforme idéale.(…)La semaine prochaine, nous entendrons des représentants des chefs d’établissement et des inspecteurs.
Mme Vallaud-Belkacem :
Les enseignements interdisciplinaires et l’accompagnement personnalisé ont déjà fait l’objet de tentatives d’introduction au collège, mais sans les accompagner d’un changement des programmes. Ainsi, on a fait peser une injonction paradoxale sur les enseignants en leur demander de travailler en petits groupes, de mieux accompagner les élèves, tout en leur imposant des programmes très lourds, d’où la souffrance qu’ils ressentent.
(…)
Dans un monde complexe où les sources d’information sont multiples, l’enseignement cloisonné et disciplinaire ne suffit plus. Pour prendre du sens, ce travail doit s’organiser autour de projets concrets – ce que les anglo-saxons appellent learning by doing – par exemple en établissant un lien entre des formules mathématiques et le développement durable.
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Enfin, nous ne voulons pas seulement corriger les lacunes du collège, mais aussi le moderniser. En 2023, quand les collégiens de 2016 entreront dans la vie active, de quoi auront-ils besoin ? De connaître plusieurs langues vivantes, de mieux maîtriser l’oral, de savoir travailler en équipe, de développer la créativité, de savoir utiliser les outils numériques.
Note : On doit sûrement déduire du fait que les langues anciennes n’ont plus le statut de disciplines, et ne sont plus considérées comme des “langues” qu’elles sont donc considérées comme inadaptées au monde moderne…
M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement scolaire.
La méthode et la philosophie de la réforme suscitent elles aussi des interrogations. L’école mérite mieux que des prises de position politiciennes, dans un jeu où droite et gauche se renverraient le « référentiel bondissant » ! Pourquoi supprimer les classes bilangues et les sections européennes ?(…)
Le latin et le grec sont injustement taxés d’élitisme ; votre réforme n’offre pas la possibilité de les étudier sérieusement, elle propose un enseignement au rabais dans le cadre des EPI. L’arrêté crée, en plus, un enseignement de complément sans dotation horaire dédiée. Certes, un programme est en projet, mais qu’en sera-t-il sans volume dédié ? Ce sont pourtant des fondements de notre culture.Je m’interroge sur la pertinence des EPI, qui sont créés au détriment de l’enseignement disciplinaire. Rappelons-nous les expériences, peu concluantes, des travaux personnels encadrés (TPE) et des itinéraires de découverte (IDD).
Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis des crédits de l’enseignement technique agricole :
L’acquis des fondamentaux dès le primaire est essentiel. La réforme ne présuppose-t-elle pas que tous les élèves doivent savoir lire, écrire et compter convenablement en entrant en sixième, ce qui favoriserait la réduction des inégalités par la suite ?
(…)je déplore la logique qui consiste à maintenir les élèves autant que possible dans une filière générale.
Mme Françoise Laborde.
Premièrement, quelles sont les conséquences de cette réforme sur le diplôme national du brevet ? (…)L’école privée sous contrat sera-t-elle soumise aux mêmes règles, ce qui la contraindrait à assurer des cours le mercredi matin ?
Mme Vallaud-Belkacem :
Il y a un temps pour la polémique et un temps pour la confiance. Les langues anciennes sont une richesse, un apport dans les domaines de l’histoire, de la citoyenneté, du français, mais aussi du développement de l’imaginaire ; c’est pourquoi, plutôt que de les réserver à une minorité, nous devons les ouvrir à un plus large public grâce aux EPI qui aborderont toutes ces dimensions. Je fais le pari que ces matières attireront ainsi davantage d’élèves. S’ils sont 18 % à étudier le latin au collège, ils ne sont plus que 5 % au lycée. Les langues et cultures de l’Antiquité pourront être étudiées en cinquième, quatrième et troisième de façon continue dans le cadre des EPI, avec en plus la possibilité d’enseignements de complément. Au total, elles bénéficieront du même nombre d’heures, mais pour un plus grand nombre d’élèves. Quant aux professeurs, ils enseigneront ces matières dans le cadre des EPI, comme tous leurs collègues et l’augmentation du nombre d’élèves leur permettra de continuer à assurer des cours de latin et de grec.
Vous craignez le retour des IDD, qui déjà étaient destinés à introduire l’interdisciplinarité au collège. Leur échec s’explique par le fait que les heures d’IDD, qui n’étaient pas sanctuarisées dans l’agenda des élèves, sont devenues des heures « gadget ». Les EPI, eux, auront une réalité dans les agendas et une base dans les programmes.
(…)
Mme Laborde m’a interrogée sur les conséquences de la réforme sur le brevet. Le nouveau brevet apportera une évaluation en conformité avec les orientations du référentiel, en matière de maîtrise de l’oral, de travail en équipe et de connaissance de deux langues vivantes. Contrôle continu et contrôle final seront maintenus.
Enfin, les établissements privés sous contrat devront naturellement respecter le référentiel du collège ; en revanche, la loi leur laisse la possibilité d’organiser la semaine comme ils l’entendent. Ils n’auront donc pas obligation de dispenser des cours le mercredi matin.
Mme Corinne Bouchoux :
Chez les enseignants, l’individualisme et le sens de l’autonomie priment sur le travail en équipe. Nous le savons tous, l’ouverture de classes bilangues ou l’enseignement du latin servent à créer des classes « Camif » destinées à améliorer l’attractivité du collège dans un univers de plus en plus compétitif. Enfin, transformer les petits effectifs volontaires pour apprendre une langue ancienne en gros effectifs non volontaires n’ira pas sans difficultés.
Mme Colette Mélot :
Supprimer les classes européennes ou les langues anciennes prive ceux qui l’auraient voulu de la possibilité de bénéficier de cet enseignement. Vouloir généraliser les apprentissages est irréaliste, et particulièrement dans les établissements difficiles. Il n’y a pas que les enfants issus des classes sociales favorisées qui choisissent ces options.
M. Louis Duvernois :
Quelle continuité avez-vous prévue pour les enseignements et les contenus du collège au lycée, sachant que chaque professeur aura enseigné le latin selon ce qu’il lui aura été possible ? Sous couvert de faire découvrir les langues anciennes à plus d’élèves, les disparités qui seront rendues inévitables par les mises en pratique propres à chaque collège inciteront-elles à poursuivre cette option ? Pourquoi la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) ne reconnaît-elle pas l’inscription véritable des langues et cultures de l’Antiquité dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture ?
Pourquoi la DGESCO a-t-elle choisi huit thématiques d’EPI, dont certaines ne sont pas forcément adaptées, alors que le CSP en proposait dix parfaitement justifiées ?
M. Jean-Pierre Leleux :
Selon vous, la réforme ne passera pas si les enseignants ne l’accompagnent pas. Or, lors de notre table ronde avec les enseignants, la majorité de leurs syndicats s’y est opposée, certains allant même jusqu’à en demander l’abrogation. Comment comptez-vous faire ?
Mme Vallaud-Belkacem :
Le 12 juin, je saisirai le CSP à la lumière de ces remontées, puis je validerai définitivement les programmes en septembre, ce qui laissera aux éditeurs une année pour publier les nouveaux manuels. À cela s’ajoutent des consultations plus larges : un forum se tient actuellement en Sorbonne, où de grands historiens éclairent de leurs regards ce que doit être l’enseignement de l’histoire. Une réflexion de même nature devrait s’organiser pour les autres matières.
Un plan national de formation ambitieux sera publié dans quelques jours pour préparer les enseignants à mettre en oeuvre la réforme, avec l’organisation de vingt-trois séminaires nationaux sur la réforme du collège, les nouveaux programmes et le numérique. On pourra ainsi former les cadres – chefs d’établissement ou inspecteurs – qui formeront à leur tour les enseignants, sur site, à raison de quatre à cinq jours par personne entre les mois d’octobre 2015 et de mai 2016. Des crédits supplémentaires seront délégués aux académies.(…)
Monsieur Duvernois, le CSP est une instance indépendante dont nous avons la liberté de ne pas forcément adopter les projets. Nous avons tenu à ce que les EPI soient ancrés dans les programmes. C’est le cas des langues et cultures de l’Antiquité qui prennent en compte l’étude de la civilisation et de la culture en plus de l’apprentissage linguistique.