Vos pratiques sont fantastiques ! Régulièrement, ATC donne la parole à des enseignants pour qu’ils nous fassent découvrir une activité menée en cours de langues anciennes.
Valentinus in schola secunda, ubi Latinam linguam docet, magister est. Latine quoque per cursum loquitur. Et vous, êtes-vous prêt à faire un cours intégralement en latin ? Quels rituels peut-on commencer par mettre en place ? Valentin Pion, de l’académie d’Orléans-Tours, nous explique ses méthodes et ses astuces !
En Bref
Bonjour, pouvez-vous nous présenter en quelques mots la démarche : “Apprendre le latin en le parlant ?”
Je dirais d’abord que les rituels d’entrée de classe en latin permettent aux professeurs qui souhaitent enseigner le latin de façon vivante de ne pas se mettre une pression trop grande. Ils peuvent circonscrire cette pratique nouvelle pour eux dans des activités très courtes, simples à mettre en place, et revenir ensuite à un enseignement plus classique. Mais évidemment, la démarche vise d’abord et surtout les élèves. Il s’agit d’automatiser certaines connaissances qui seront bien utiles ensuite lorsqu’il s’agira de lire, de comprendre ou de traduire : connaître les cardinaux au moment où on fait le compte des présents et des absents du jour, utiliser les adverbes quand on dit comment on va ou le temps qu’il fait etc.
Les rituels, contrairement à ce que leur nom semble indiquer, ne sont pas toujours les mêmes et ne restent pas figés. On introduit petit à petit des notions plus complexes : on ne parle plus seulement du temps qu’il fait aujourd’hui, mais de celui qu’il a fait la semaine dernière. En expliquant en latin ce qu’on a fait lors du cours précédent, on manipule le parfait de scribere, legere, facere, transferre etc. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il faut les penser : un rituel qui ne permettrait pas ensuite d’exploiter l’automatisation d’un fait de langue pour mieux lire ou mieux traduire n’aurait à mon avis aucun sens.
Pour être très concret, voici le principal conseil pour mettre en classe ces rituels : aller observer la façon dont les professeurs de langues vivantes conduisent l’introduction de leur cours. Ce faisant, on peut extraire quelques très bonnes idées qui peuvent constituer une première approche du latin vivant. En voici quelques unes :
- Faire dire aux élèves qui est absent / présent dans la salle.
- Compter le nombre de présents / absents
- Dire le temps qu’il fait aujourd’hui (qu’il faisait hier…).
- Dire le jour de la semaine.
- Dire comment on va, et pourquoi.
- Rappeler ce qui a été fait la fois précédente.
Avec quelles classes la menez-vous ?
Je mets en place ces rituels dès la 5è et les fait évoluer jusqu’en 3è. C’est donc l’ensemble des niveaux de l’option qui sont concernés par cette activité. Ces rituels, évidemment, sont évolutifs. Ils se complexifient à mesure que l’aisance à l’oral se développe. On n’imagine pas le nombre de notions que l’on peut aborder avec ces activités peu chronophages : déclinaisons, modes, temps, adjectifs, adverbes, cardinaux, ordinaux etc.
Aux origines de la démarche
Comment en êtes-vous arrivé à appliquer les méthodes dites actives ?
C’est avec les méthodes actives que j’ai moi-même appris le latin et le grec, et ce après avoir terminé mes études de philosophie. Ma démarche était simple : être capable de lire sans traduction les auteurs qui m’avaient passionné, et que je ne voulais plus lire par le prisme du français. C’est un peu par hasard que je suis tombé sur la fameuse méthode Orberg. J’ai alors poussé mes recherches, et me suis rendu compte que cette approche avait ses adeptes, ses associations, ses écoles, ses universités d’été. Quand j’ai obtenu le capes et l’agrégation, il m’a paru évident que je ne pouvais pas enseigner le latin sans le parler moi-même. Je me suis formé, seul d’abord, puis au sein du Circulus Latinus Insulensis Online (fondé par Séverine Clément Tarantino). Pratiquer le latin vivant avec d’autres latinistes m’a considérablement aidé, mais la réciproque est vraie également. Quand on a parlé latin cinq heures par semaine en classe, dans des situations où le cerveau fonctionne sur un circuit d’urgence, on développe rapidement ses capacités d’expression.
J’essaie, dans ma pratique, de conjuguer les bénéfices d’une méthode rigoureuse comme celle d’Orberg, notamment quand il s’agit d’appareiller des textes avec des marginalia ou de les simplifier. Pour le reste, j’observe beaucoup ce que les professeurs de langues vivantes font dans leurs cours.
J’ai également trouvé des documents très bien faits sur ATC, des fiches pour la description d’image, pour dire le temps qu’il fait etc.
Voir la rubrique Memini#3 consacrée aux rituels de latin oral :
Quels objectifs vous donnez-vous ?
Je souhaite d’abord qu’ils prennent régulièrement la parole. Les rituels, en ce sens, sont rassurants. L’activité est courte et guidée par des documents.
Cette prise de parole est une occasion de manipuler la langue : poser une question avec la particule -ne, manipuler les trois genres, le singulier et le pluriel, utiliser le verbe être, conjuguer des verbes des quatre modèles de conjugaison au présent, à l’imparfait ou encore au parfait, utiliser les interrogatifs : ubi, quando, quomodo etc., employer les adverbes de temps : mane, heri, hodie, cras, antea, postea, nunc, mox, numquam, semper etc, et évidemment, être capable de fléchir un mot au bon cas. Sur ce dernier point, je tiens à dire que je ne me fixe aucun objectif systématique. Je m’explique : on se donne parfois pour but d’avoir abordé une déclinaison dans son intégralité avec les élèves (“Fin juin, ils connaîtront la troisième déclinaison”). Cet objectif me semble aller contre une façon plus naturelle d’envisager la flexion. Il m’arrive donc d’adapter un texte de façon à ce que les élèves soient dans l’obligation d’utiliser l’ablatif instrumental des trois premières déclinaisons. La question à laquelle je veux qu’ils associent une manière de fléchir le mot, Quo instrumento ?, je l’utiliserai à nouveau, dans d’autres textes.
– Quo instrumento utitur agricola ?
– Falce, aratro etc.
– Quibus instrumentis utuntur discipuli ?
– Pugillaribus, regulis, calamis, etc.
Revenons à cette troisième déclinaison : c’est seulement quand certains cas ont été rencontrés, manipulés et mémorisés qu’on complète le tableau en question et qu’on l’apprend par cœur. Cela vient bousculer l’idée selon laquelle le latin serait un jeu de piste, et la phrase une sorte d’énigme à résoudre. Je ne me représente pas les langues flexionnelles comme des défis logiques : ce sont avant tout des langues.
Au fond, si je ne devais donner qu’un seul conseil aux enseignants qui veulent pratiquer le latin vivant, je leur dirais : À quelle question, posée en latin, à l’oral ou à l’écrit, voulez-vous que vos élèves soient capables de répondre (en latin, évidemment) ?
La pratique du latin vivant, pour les élèves comme pour les enseignants, permet d’automatiser ce qui ne devrait pas faire l’objet d’un effort quand on manipule une langue. On peut, par la pratique orale, faire entendre, pratiquer et mémoriser une grande quantité de mots de vocabulaire et de constructions syntaxiques aux élèves.
Faber fit fabricando
Qu’ont à faire les élèves avant l’activité ?
Lors des rituels, les élèves ont dans les premières pages de leur cahier plusieurs fiches qui les aident à s’exprimer (images accompagnées de lexique, formules pour dire quel temps il fait, liste des cardinaux etc.)
Quel est le rôle du professeur pendant l’activité ?
Il s’agit avant tout d’un travail de reprise. Les élèves savent ce qu’ils ont à faire : ouvrir le cahier à l’endroit où se trouvent ces fiches d’aide à l’expression orale, répondre à la question que le camarade désigné leur pose. Pour ma part, j’écris au tableau ce qui par la suite devra faire l’objet d’une correction ou d’une précision.
Les élèves gardent-ils une trace écrite ?
Il arrive que lors du rituel, un élève ait voulu dire quelque chose que la fiche ne lui permettait pas d’exprimer. Il peut alors demander comment cela peut se dire en latin. Si cet apport peut avoir un intérêt et être exploité par la suite, les élèves le notent sur leur cahier, sur la page du rituel correspondant.
Un élève à qui je demande quel temps il a fait hier, par exemple, veut savoir comment on dit “toute la journée”, pour indiquer qu’il a plu toute la journée. Dans ce cas, faire noter “per totum diem / totum diem” dans le cahier peut être utile, le jour où l’on devra aborder l’accusatif de durée.
Quelle implication des élèves ?
Les élèves se lassent de tout. C’est dommage, car toutes les connaissances ne s’acquièrent pas dans l’excitation et la joie. Passé ce constat, dont je n’analyserai ni les causes ni les conséquences, il me faut reconnaître que, lorsque je sens que l’ennui pointe, je change le rituel, le met de côté quelque temps, pour mieux y revenir ensuite. Pour impliquer plus fortement les élèves, je confie la conduite de cette activité de début de cours (comme le font les professeurs de langue) à un élève de la classe. J’appelle cela “auxilium magistri”, teacher’s assistant (je crois qu’en espagnol on dit “patatas fritas”, mais vous me direz, car je ne suis pas sûr). Il s’agit pour l’élève en question de préparer à la maison les questions qu’il posera à ses camarades (il doit interroger autant d’élèves qu’il a de questions sur sa feuille : Quot sumus hodie ? Quo die sumus ? Quis abest ? Quomodo te habes ? Quid de caelo ? Quid fecimus sessione praeterita ?). A la fin, il interroge un dernier élève sur les mots appris lors du cours précédent. Il obtient une note, la personne qu’il a interrogée également.
On fait le bilan
Quel est le ressenti du professeur ? des élèves ?
Quand il m’arrive de percevoir un début de lassitude sur ces rituels, je fais une petite pause de deux ou trois semaines. Il n’est pas rare alors que des élèves me demandent s’ils pourront être “auxilium magistri” la fois prochaine. Alors, rassuré, je reprends ce petit rituel avec eux. Je pense que ces demandes sont un signe assez évident du plaisir qu’ils éprouvent à parler en latin.
Quelle “évaluation” / retour pour savoir si les élèves ont compris ?
C’est là tout l’intérêt du latin vivant. On peut croire qu’un élève a compris quelque chose à un point de langue en le voyant réussir un exercice systématique à l’écrit. Dès lors qu’on passe par le latin pour interroger, une compréhension partielle apparaît tout de suite. Pensez à ce séjour en Angleterre, lors duquel vous vous êtes rendu compte que vos bonnes notes à l’écrit ne témoignaient en rien de vos capacités à lire, écrire et parler véritablement la langue. Il en va de même pour le latin. C’est en situation d’urgence de la communication qu’on sait si on maîtrise ou pas la langue.
Pour poser des questions à Valentinus ou vous renseigner sur les cours qu’il dispense aux adultes qui désirent se former au latin et au grec, ou aux professeurs qui souhaitent apprendre à parler la langue et mieux la comprendre, rendez-vous sur :
J’apprécie la solution de l'”auxilium magistri” pour redonner de l’élan aux groupes qui se lassent !
Merci pour ce partage passionnant et inspirant !
Χαίρετε, amis philhellènes!
Une nouvelle BD a été ajoutée au site « le grec en BD » (https://sites.google.com/view/grec-en-bd) adaptée du « Banquet » de Platon où les convives dialoguent sur l’Amour. Elle est maintenant la huitième BD sur le site (après celle sur les Celtes et Gaulois).
Elle contient en page 8 le fameux mythe d’Aristophane sur les amoureux vus comme les « moitiés » des anciens humains doubles et, en page 12, un abrégé de l’enseignement sur l’Amour que Socrate dit avoir reçu de la prophétesse Diotime.
Bonne nouvelle année – καλὸν νέον ἔτος !