Paestum : les tombes lucaniennes

PAESTUM
: LES TOMBES LUCANIENNES (IV siècle avant J.-C.)

par Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere

Si les premières découvertes
remontent à  1805 et 1819, la grande période de fouille des tombes
lucaniennes se place entre 1967 et 1976 [1969 à  1971 pour la
nécropole d´Andriuolo] ; il en est résulté un corpus d´une
étonnante richesse documentaire.

NECROPOLES ET TOMBES PEINTES

Paestum est entouré de 8 nécropoles
urbaines – à  moins d´1 km de son rempart – et de 4 nécropoles
rurales, à  plus d´1,5 km.

Ces nécropoles regroupaient, parfois
par familles, des tombes en caisson, longues de 2,5 à  3 m, formées
de 4 dalles verticales [411] en
travertin local : 2 longues rectangulaires, 2 courtes carrées (toit
plat) ou pentagonales – leur sommet étant taillé en triangle [345] (toit à  double pente).

Un seul inhumé par tombe, couché sur
le dos et sur un support en bois, accompagné de divers
objets/offrandes qui variaient en quantité et qualité selon
l´importance du statut du défunt..

Etre inhumé dans une tombe aux parois
peintes, c´était une distinction supplémentaire : sur un
millier de tombes connues, 80 seulement sont peintes, dont 50 dans
les nécropoles urbaines, en particulier à  Andriuolo « la
prolifique ». Le plus fort % de tombes peintes se place au
milieu du IVème siècle avec 15 à  20 % de l´ensemble des tombes
de cette période.

80 tombes peintes, cela fait sans
doute 320 panneaux décorés de fresques exécutées juste avant
l´inhumation, d´un seul jet sur des dalles polies recouvertes
d´une mince couche de chaux et déjà  en place. Le ou les peintres
avaient donc très peu d´espace et pas beaucoup de temps pour
réaliser leur œuvre, à  main levée, à  partir d´un dessin
préparatoire plus ou moins précis : les détails figurés ne
concernent bien souvent que les visages ou les vêtements.

Le schéma d´ensemble majoritaire
est « tripartite » : haute base rouge ou noire ;
zone centrale blanche pour les scènes avec personnages ; frise
sommitale décorative : guirlandes, festons, couronnes,
palmettes, végétaux (surtout des grenades). [345,
391, 406, 428]

LES GRANDS TRAITS DE LEUR EVOLUTION

Le rituel d´inhumation change avec
la domination lucanienne : le modèle grec (uniquement du
mobilier d´accompagnement, réduit ou même inexistant) est
abandonné. La quantité et la qualité des objets (vases et armes
pour les hommes, vases et parures pour les femmes) mis dans la tombe
et la présence de fresques montrent l´importance du défunt dans
la société où il vivait ; leur rôle : lui assurer la
même place dans l´au-delà .

Fin Vème siècle : simples
motifs géométriques ou végétaux. [407]

Début IVème siècle :
apparition des scènes avec personnages.

Milieu IVème siècle :
multiplication des tombes ; meilleure qualité du dessin et de
la couleur ; petites colonnes pour découper des scènes qui
s´étalent sur plusieurs dalles [411] ;
spécificité des scènes selon l´âge et le sexe : retour du
guerrier, jeux funèbres, exposition de la morte.

Fin IVème siècle :

– Figures
monumentales occupant tout l´espace de la dalle. [408,
428]

Nouveaux
motifs : combats de panthères contre griffons, Victoires ailées
conduisant un char, …

– Séparation
nette entre tombes à  médiocres motifs simplement décoratifs et un
petit nombre de tombes de grande qualité, en particulier dans la
nécropole de Spinazzo. Les techniques de la peinture grecque
contemporaine sont alors utilisées : étagement en plans
successifs, ombres portées, trompe l´œil, visages de trois-quart
et réalistes formant de véritables portraits de famille.

DES THEMES ETHNOGRAPHIQUES

Le principal intérêt de ces
peintures c´est leur valeur documentaire pour l´histoire, la vie
quotidienne (armes, vêtements, véhicules), les coutumes et les
croyances de la haute société lucanienne de la fin du Vème siècle
au début du IIIème siècle, à  la veille de la romanisation.

Univers masculin (prédominant)

Scène du « retour du guerrier »
[404, 405] sur la paroi
principale (derrière la tête de l´inhumé) : barbu, courte
tunique et ceinturon, armes défensives lucaniennes (cuirasse à  3
disques, casque à  grandes plumes blanches), à  cheval avec les
dépouilles de ses adversaires vaincus. C´est le retour triomphal
d´un prince lucanien, héroïsé. [346,
347]

Univers féminin

Il montre la place des femmes de
l´aristocratie lucanienne dans la société : un rôle
complémentaire à  celui des hommes.

– En costume
lucanien [429](voile, diadème,
longue robe), elle tend à  son mari (retour du guerrier = à
l´extérieur) un vase à  libation pour qu´il se purifie après
les combats.

– Cheveux courts
et bras nus [426] (= intérieur
de la maison), elle file la laine avec sa servante.

Rituel
funéraire
 :

la morte, étendue après la toilette funéraire sur un lit de parade
parfois surmonté d´un baldaquin, [410,
416-419]
enveloppée dans un suaire blance, tête ornée
d´un diadème, est exposée (prothésis).

Déploration funèbre [426] par
les femmes et enfants de la famille : pleureuses aux gestes
emphathiques (douleur mise en scène) rythmés par un flutiste.

Cortège funèbre, ouvert par un flûtiste, pour conduire la morte au
lieu de sa déposition : participants porteurs de grenades
(fruit symbole de survie/résurrection), nourriture, vases à
parfum ; parfois un taureau à  sacrifier. [345] La présence d´enfants et de jeunes gens montre le rôle
central de la femme dans la famille : assurer la lignée.

Finalement, la défunte monte dans une barque ou dans un chariot,
conduits par un monstre ou un génie ailé (évocation de Charron ?).
[411]

- Les chasses au cerf, au lion, aux animaux fabuleux, sont aussi un
marqueur des tombes féminines ou de jeunes gens. [392,
393, 399]

Les deux univers : les jeux funèbres

Dans les
tombes féminines comme dans celles des hommes, foisonnent les scènes
de compétition en l´honneur du défunt ou de la défunte, scènes
qui représentent souvent le moment final qui va consacrer le
vainqueur ; la barbe, ou son absence, indique l´âge des
protagonistes.

Courses de
chars (biges)
 : la colonne centrale rappelle la borne autour
de laquelle tournent les attelages. [400,
401, 422]

Pugillat :
un flûtiste rythme le combat dont la violence est suggérée par le
sang qui coule (combattants nus). [402, 403]

Duels en
armes
 : juge, derrière le vainqueur, prêt à  le
couronner ; combattants nus, protégés par jambières, casque,
bouclier, parfois cuirasse. [394, 409, 421,
423]
Autre version : pas d´arbitre et combattants
vêtus.

Ces compétitions
rappellent les vraies batailles [427] et
mettent en valeur le statut social du défunt mais servent aussi à
conjurer la crise du deuil, y compris par le burlesque avec la figure
masquée d´un acteur bouffon, comme le « soldat fanfaron »
[420]

Dans la seconde
moitié du IVème siècle, pour dépasser la mort, héroïser encore
plus les défunts tout en exaltant la valeur du groupe des dominants,
apparaissent :

– des grands coqs,
intercesseurs entre le monde des vivants et celui des morts. [398]

– des animaux
fantastiques : griffons attaquant une panthère, … [395]

des
Victoires ailées (génies ou démons ?) [411] conduisant chars/chariots, des sphinx arbitrant un duel.

– des cavaliers
debout près de leur monture. [428]

QUELLE VALEUR ARTISTIQUE ?

Partiellement
inspirées des Grecs (rituel funéraire pour assurer le passage de la
vie terrestre à  celle de l´au-delà ) et des Etrusques (jeux
funèbres), ces peintures sont avant tout lucaniennes par le réalisme
(vêtements, armes, …) des représentations ainsi que par le
caractère peu soigné de la réalisation qui, il est vrai, manquait
de temps et d´espace.

– Traits épais
et tracé peu rigoureux. [407]

– Gamme limitée
de couleurs (noir, rouge, bruns, jaunes ; exceptionnellement
bleu et vert)

– En fait, un
dessin coloré de teintes plates. [430]

Sauf pour les
tombes de la fin du IVème siècle (Spinazzo en particulier), les
découvertes grecques contemporaines “ pourtant évoquées par les
vases grecs mis en nombre dans les tombes “ ne sont pas utilisées :
raccourci, perspective, profondeur (plans étagés), …

De simples
artisans (et non des artistes ?) peut être, mais qui nous ont
légué un remarquable corpus de scènes de vie quotidienne qui,
même sans parler de leur sens symbolique, ont fait faire un
véritable « bond en avant » à  la connaissance des
Lucaniens.

Source principale  : Angela
PONTRANDOLFO, Agnès ROUVERET, Marina CIPRIANI Les tombes peintes
de Paestum
, Pandemos, 2004, 79 p.

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A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

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