On a testé pour vous : le British Museum de Londres

On a testé pour vous : les métiers antiques à travers la céramique grecque du British Museum

 

Une collection exceptionnelle

D’une exploration prolongée des salles gréco-romaines du British Museum de Londres, on reste ébloui par la profusion et la diversité des chefs d’œuvre, sculptures, céramiques, joaillerie… et cet article n’a évidemment aucune prétention de retracer une telle richesse, ce serait impossible ou indigeste.

La céramique grecque représente surtout des sujets et des scènes mythologiques, religieuses (divinités et héros), de festivités, de rituels (de mariage ou funéraires), de préparation à la guerre et de combats, d’animaux et de chasse, de jeux notamment olympiques, de musique et de théâtre (plutôt sous l’angle du spectacle), mais beaucoup moins fréquemment les métiers exercés. Il faut souvent les débusquer sous le registre de ce qu’on appelle la vie quotidienne, notion aux contours flous et hélas peu valorisante.

Aux yeux des Grecs classiques, les scènes que nous appellerions « professionnelles » n’étaient pas « nobles » à traiter. L’idéal type du citoyen libre était de pouvoir vivre sans travailler lui-même et les métiers, en particulier manuels, étaient socialement moins considérés, voire carrément méprisés en dépit de leur utilité. C’est ce qui explique la rareté de leur représentation dans la céramique par rapport à des thèmes plus prestigieux.

C’est précisément sur les quelques exemples disponibles dans les salles du British Museum que j’ai souhaité axer ce On a testé pour vous. Peut-être parce que mon origine professionnelle me rend particulièrement sensible au monde du travail et à l’économie. Alors je vais vous présenter les douze évocations de métiers que j’ai repérées (sachant que plusieurs salles d’exposition étaient inaccessibles lors de ma visite en août 2024 : les n°19 à 23, qui traitent notamment spécifiquement d’Athènes).

Nous allons cheminer de l’économie domestique aux professions culturelles en passant par l’agriculture, l’artisanat et le transport maritime. On fera ainsi de multiples incursions dans l’économie des cités et des foyers de la Grèce classique : les vases commentés ici sont tous issus de l’Attique entre 560 à 470 avant Jésus-Christ.

Prenons soin de ne pas projeter nos catégories mentales contemporaines autour du travail, qui sont issues de notre héritage judéo-chrétien : le sens chrétien de l’accomplissement par le travail et les œuvres et les réformes majeures qui ont impacté, depuis la Révolution française, les conditions d’exercice des métiers et du travail domestique : l’abolition de l’esclavage, l’encadrement des relations du travail salarié et l’émancipation des femmes.

Nous aborderons aussi indirectement la fonction des différents types de vases, aspect par ailleurs amplement documenté, notamment par cette typologie des vases grecs publiée par Arrête ton char.

 

Le travail domestique

Dans les sociétés antiques, le travail et la production s’inscrivaient d’abord dans le cadre domestique même s’il existait des entreprises minières, d’artisanat, de commerce ou de transport recourant à des employés et à des esclaves.

J’ai choisi de commencer par cette représentation d’un esclave probablement originaire d’Afrique du Nord. Le masque en terre cuite provient d’Italie du Sud, la “Grande Grèce”, et date d’environ 350 avant Jésus-Christ. C’est l’occasion de rappeler que la céramique désigne tout objet modelé à partir de l’argile (κέραμος – kéramos), donc pas exclusivement des vases : il peut aussi s’agir de statuettes ou de lampes, par exemple.

Revenons à la contribution des esclaves à la vie domestique et à la production au sein du foyer.

Dans la plupart des cas, l’esclave (δοῦλος – doûlos au masculin / δούλη – doûlè au féminin) était un(e) domestique (οἰκέτης – oïkètès), littéralement attaché(e) à l’οἶκος (oïkos) : la maison ou la famille (élargie, multigénérationnelle).

L’esclave accompagnait le maître (δεσπότης – despotès ou κύριος – kyrios) dans ses déplacements.

Il pouvait intervenir dans l’extraction minière (où les esclaves et les enfants étaient légion !), la production agricole, artisanale, le commerce ou le transport.


Source : British Museum
(photographie personnelle)

 

J’ai choisi aussi de mettre les femmes à l’honneur, avec ces trois céramiques différentes qui illustrent leur place déterminante dans l’économie domestique.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1843-1103-77)

Tout d’abord, cette hydrie (ὑδρία – hydria), vase destiné au transport et à la conservation de l’eau (ὕδωρ – hydôr) et qui représente cinq femmes. Quatre d’entre elles portent en équilibre une hydrie sur leur tête et elles conversent deux à deux, probablement avant de remplir leur récipient à la fontaine. Celle-ci est visible tout à gauche, avec son bec en forme de tête de lion et le jet d’eau qui alimente l’hydrie posée sur le sol tandis que la cinquième femme de la scène se tient à côté en attendant. Remarquons un autre détail croquant : près du bec de la fontaine est suspendu un aryballe globulaire : il s’agit d’un vase de petite taille qui contient des huiles parfumées, pour la toilette ou les soins du corps.

 

Source : British Museum
(
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1814-0704-1205)

Ensuite, cet épinétron, céramique en forme de demi-cylindre, fermé à une extrémité, qui servait aux femmes à carder les fibres de laine. Il leur évitait de se salir la cuisse, le genou et les vêtements à cause du suintement de la graisse des animaux. La photographie plus détaillée fait apparaître, sur le côté de l’épinétron, deux paires de femmes qui préparent la laine à partir d’un panier.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1873-0820-304)

Enfin, l’oenochoé  (οἰνοχόη) est un pichet utilisé pour puiser le vin (οἶνος – oïnos) dans un cratère et le servir aux convives (χέ-ω – khéô signifiant : je verse). Une femme y est représentée en train de filer la laine à l’aide d’une quenouille. Le vase porte l’inscription ἡ παῖς καλή [hè païs kalè, sous-entendu, ἐστιν – estin], en majuscules : n’est-il pas vrai que cette jeune femme est belle ? Précisons que παῖς, qu’on traduit habituellement par enfant, est un substantif épicène (aussi bien masculin que féminin) qui pouvait aussi désigner des jeunes gens ou des esclaves, bref des personnes non émancipées.

 

Les métiers de l’agriculture

Nous les présentons ici après le travail domestique mais c’est une distinction économique en partie artificielle entre l’exploitation agricole et le foyer d’un propriétaire terrien, qui était la condition de la majorité des citoyens athéniens. Il va toutefois être question de gestes essentiels du travail de la terre.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1906-1215-1)

Sur cette scène du bord d’une kylix (κύλιξ, coupe à boire le vin), deux séquences fondamentales sont représentées : le labour et le semis selon le rite du culte voué à Démétèr, qui a appris l’agriculture aux hommes. L’autre côté de la coupe est décorée d’une scène de danse rituelle en l’honneur et en présence de la déesse.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1837-0609-42)

Cette amphore donne à voir la cueillette des olives, ce qui est d’ailleurs un clin d’œil à la fonction d’usage du récipient. La scène de ce côté de l’amphore campe quatre personnages : deux hommes mûrs, reconnaissables à leur barbe, qui secouent les oliviers à l’aide d’un bâton, un troisième grimpé à l’arbre central et un quatrième, un jeune homme nu, qui s’agenouille pour récupérer les olives qui tombent à l’aide d’un panier. La netteté des traits et la technique des figures noires sur fond orangé rendent la scène particulièrement lumineuse.

 

Les métiers de l’artisanat

En Grèce, l’artisan (τεχνίτης – tekhnitès) est la personne qui maîtrise une τέχνη (tekhnè), terme qui désigne une technique, un art ou un métier manuel ou ouvrier. En dépit de la grande utilité de l’artisanat, la condition des artisans est moins prestigieuse que celle d’un propriétaire terrien, par exemple, qui n’a pas besoin de travailler de ses mains et se repose sur une main d’œuvre libre ou servile. L’adjectif βάναυσος (banausos) parfois accolé à τεχνίτης signifie d’ailleurs à la fois ouvrier et vulgaire ou de mauvais goût.

Les salles grecques du British Museum présentent trois céramiques de métiers artisanaux : des forgerons, un cordonnier et un potier. Examinons-les successivement.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1846-0629-45)

Sur cette oenochoé, deux forgerons s’activent près d’un four à cuve. Le personnage de gauche, assis sur un tabouret, enfonce un morceau de métal dans le four à l’aide d’une paire de pinces, faisant un signe d’attente de la main gauche, tandis que le personnage de droite, debout, tient un marteau, probablement pour travailler le métal qui aura été rendu plus ductile par l’étape de cuisson. D’autres marteaux sont également figurés dans la composition. La technique de la figure noire sur fond orangé fait, ici, encore, merveille puisque la couleur du fond coïncide avec celle du foyer incandescent.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1865-0722-14)

La deuxième représentation d’artisan se trouve à l’intérieur de cette kylix. Il s’agit d’un cordonnier, assis sur un siège surmonté d’un coussin et attablé, en train de couper du cuir pour confectionner une chaussure, à l’aide d’un tranchet de cordonnier. En arrière-plan, dans l’atelier, sont suspendus deux lanières de cuir destinés à la semelle, une botte et une sandale achevées et un outil tranchant.

 

Source : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1847-1125-18)

Nous concluons ce chapitre relatif à l’artisanat par cette extraordinaire kylix au creux de laquelle un potier, assis à côté de son tour – lequel est à l’arrêt –, est en train de façonner et d’attacher une anse à une kylix, précisément ! Nous percevons aussi quatre autres kylix et une oenochoé déjà modelées, posées sur une étagère de l’atelier et un animal domestique, vraisemblablement un chien, regarde la scène.

 

Le transport maritime

Une fois que ces objets étaient fabriqués, il fallait les écouler sachant que par ailleurs il était nécessaire d’en importer autres. En effet, la cité d’Athènes était chichement dotée en terres arables et en forêts au regard de sa population. Cette étroitesse de la terre (στενο-χωρία – sténo-khôria) fut à l’origine notamment du commerce maritime.

Athènes avait besoin en permanence d’exporter pour équilibrer ses importations de blé (d’Égypte, de Sicile, de Cyrénaïque ou du Pont-Euxin) et de bois ainsi que de fer, de cuivre, de tissus, d’épices, de papyrus… et d’esclaves. Pour ce faire, elle exportait surtout du vin, de l’huile, du marbre extrait de ses carrières, de la céramique et des monnaies d’argent produites à partir des mines du Laurion.

La pénurie de ressources, en particulier agricoles, provoqua aussi, comme dans de nombreuses autres cités grecques, l’impressionnant mouvement d’essaimage vers des colonies, que les Grecs désignaient par le terme d’ἀποικία, ἀπό exprimant l’éloignement par rapport au foyer οἶκος (oïkos). Elle contribue également à expliquer l’impérialisme athénien autour de la mer Égée : Athènes est ainsi devenue, au Vème siècle avant JC, une véritable thalassocratie (de Θάλασσα – thalassa, forme attique de Θάλαττα – thalatta, la mer et κράτος – kratos, la puissance ou le pouvoir).

Pour revenir à notre sujet de métiers, Athènes dépendait par conséquent fortement des échanges maritimes dans cette Grèce classique et plus largement cette Méditerranée orientale qui fut, dirions-nous depuis Fernand Braudel, le théâtre d’une première “globalisation” économique.

 

Source : British Museum (photographie personnelle)

Cette élégante kylix représente quatre embarcations, par paire. Chaque paire comporte un navire marchand, au fort tonnage, et un vaisseau pirate, plus léger et plus rapide, qui le rattrape et s’apprête à l’aborder alors que le navire marchand, aux voiles repliées, paraît inconscient du danger.

 

Deux métiers artistiques : le rhapsode et le joueur de flûte

Terminons ce tour d’horizon des métiers antiques par deux professions artistiques, le rhapsode et le joueur de flûte, représentés chacun sur un côté de cette amphore.

A la différence de l’aède, auteur-compositeur-interprète qui accompagne ses chants ou poèmes épiques d’une lyre, le rhapsode déclame des poèmes ou des chants mais sans jouer d’un instrument. C’est sans doute pourquoi figure sur la même amphore le joueur de flûte qui l’accompagne.

 

 

Source des deux illustrations : British Museum
https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1843-1103-34)

 

Vêtu d’un manteau (ἱμάτιον – himation), le rhapsode se tient debout sur une tribune et s’appuie sur un bâton noué. L’étymologie de ῥαψῳδός – rhapsôdos est fascinante : le nom désigne celui qui attache ou ajuste en cousant (ῥάπτειν – rhaptein) un chant (ᾠδή – ôdè).

De son côté, le joueur de flûte (αὐλητήρ – aulètèr) porte une tunique (χιτών – khitôn) à losanges. Ici, c’est donc un homme. Lors d’un banquet (συμπόσιον – symposion) nocturne, où l’on se réunissait (σύν – sun) pour boire (πίνω d’où dérive πόσις – posis, la boisson) et festoyer, il était fréquent de recourir à une joueuse de flûte (αὐλητρίς – aulètris) avec laquelle le convive (συμποσιαστής – symposiastès) pouvait se livrer ensuite à une séquence plus érotique – comme en témoignent par ailleurs de nombreuses autres vases.

 

Pour résumer sur la classification des vases

Notre voyage dans les métiers de la Grèce classique nous aura fait rencontrer presque toutes les catégories de vases, à l’exception des cratères qui servaient à mélanger le vin et l’eau lors des banquets (κρατήρ – kratèr provient du verbe κεράννυμι – kérannumi, je verse, et non de κρατέ-ω – kratéô, je domine) :

  • les grands vases destinés à la conservation et au transport, notamment l’amphore (pour le vin, l’huile, des céréales…) et l’hydrie (pour l’eau),
  • les vases de plus petite dimension utilisés lors du service du vin : l’oenochoé, pour puiser celui-ci dans le cratère et la kylix, coupe à boire munie de deux anses,
  • les vases destinés à la toilette, avec cette aryballe rencontrée, souvenons-nous, sur l’hydrie représentant plusieurs femmes à côté d’une fontaine,
  • une céramique qui n’est pas un récipient mais un instrument dédié à la préparation de la laine : l’épinétron.

 

Nous avons aussi pu admirer des vases à figures rouges sur fond noir et d’autres à figures noires sur fond rouge ou orangé (les deux techniques les plus fréquentes), ainsi qu’un vase à figure noire sur fond blanc.

 

Puisse cet article, consacré à une infime partie de ses collections, vous rendre encore plus désireux de (re)venir arpenter les salles antiques du British Museum.

 

A propos Laurent Caillot

Amateur autodidacte des langues et cultures de l'Antiquité, parallèlement à mon métier d'inspecteur général des affaires sociales

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