Compte rendu de lecture
Jules César, construction d’une image de l’Antiquité à nos jours. Actes du colloque, Besançon 20 et 21 octobre 2022. Sous la direction de Claire Mercier et Fabien Bièvre-Perrin. Presses universitaires de Franche-Comté, 2024.
Il y a presque quarante ans paraissait aux Belles Lettres un premier ouvrage de synthèse consacré à Jules César : Présence de César. Actes du Colloque des 9-11 décembre 1983. Hommage au doyen Michel Rambaud, sous la direction de Raymond Chevallier. C’est une approche différente mais complémentaire qui est présente dans le dernier ouvrage consacré à l’imperator et dont Claire Mercier et Fabien Bièvre-Perrin ont assuré la direction, à la suite du colloque qui a eu lieu en octobre 2022. Dans la lignée des travaux d’Antiquipop, cet ouvrage est davantage axé sur la réception de l’image de César dans la culture populaire contemporaine : bandes dessinées et arts audiovisuels (avec publicités, films, séries) forment ainsi une large part du corpus retenu dans les différents articles. L’illustration originale de la première de couverture joue ainsi sur l’imagerie traditionnelle de César (avec la présence d’un buste en pierre le représentant) comme fausse « image d’appel » puisqu’elle est placée sur une boîte de conserve et le « César » semble alors se transformer en nourriture pour animaux pour laquelle il convient de faire de la publicité. Et César, qui a perdu sa couronne de laurier, de se transformer alors en boulettes à chien, par ce clin d’œil amusant et judicieux à la culture populaire.
Comme l’indique bien le titre, il s’agit d’étudier la construction de l’image de César, en adoptant non seulement un point de vue diachronique correspondant au classement des articles de la première partie, mais aussi un point de vue synchronique avec une analyse de quelques thématiques concernant César dans la culture de masse.
On appréciera la présence bien pratique d’une bibliographie commune d’une vingtaine de pages en fin d’ouvrage, qui permet d’avoir une vue d’ensemble de nombreux articles et ouvrages (anciens ou très récents) consacrés à César.
Le résumé de tous les articles est accessible en fin d’ouvrage (p. 233-242) ; nous privilégions donc ici la présentation de quelques extraits qui ont retenu notre attention et vous renvoyons à l’ensemble des contributions pour en savoir plus.
L’introduction, assurée par Claire Mercier et Fabien Bièvre-Perrin (p. 11‑17), expose les enjeux d’un ouvrage consacré à la réception de la figure de César, synthèse qui faisait défaut jusqu’à cette parution car il y avait surtout des articles épars de plusieurs chercheurs ou quelques remarques ponctuelles dans des ouvrages consacrés plus largement à la réception de l’Antiquité. Les éditeurs scientifiques offrent alors quelques premiers jalons sur l’image de César dans la publicité, permettant d’appuyer leurs propos sur la présence de César dans la culture populaire contemporaine.
Extrait : « Il fait partie des rares personnages historiques antiques dont la notoriété ne s’est pas limitée à une poignée de spécialistes, mais s’est largement diffusée auprès du grand public, les médias contemporains (suppléant peut-être parfois à l’enseignement scolaire) continuant d’entretenir sa mémoire. » (p. 11)
L’ouvrage s’articule ensuite en trois parties : « I- César, de l’Antiquité aux années 1960 » (9 articles), « II- César aujourd’hui » (4 articles) et « III- César et les Gaulois : une vision croisée France/Belgique » (2 articles + une annexe avec les réponses à un questionnaire proposé aux visiteurs du MuséoParc Alésia).
« I- César, de l’Antiquité aux années 1960 »
* Nicolas Ben Mustapha et Thomas Guard, « la figure de César durant l’Antiquité » (p. 21‑34)
Extrait : (à propos de Cicéron rendant hommage à César dans son traité Brutus) « Le compliment, venu d’un maître de l’éloquence, pourrait être assimilé à une flatterie à l’égard du nouveau maître incontestable de Rome. Toutefois, Cicéron détourne cette célébration, dont il tire profit pour lui-même en plaçant sous la plume de César un éloge de sa propre supériorité oratoire, alors que César lui dédie un ouvrage de rhétorique (De analogia). » (p. 25)
* Maxime Cambreling, « Les monnaies de César (49-44) » (p. 35‑40)
Extrait : « Il faut attendre César pour qu’un Romain soit figuré de son vivant sur une monnaie de l’atelier de la Ville. Mais la chronologie est complexe et un certain nombre de ces portraits est posthume. Néanmoins, certains deniers, datés de 44, portent l’inscription CAESAR DICT QVART (César dictateur pour la quatrième fois). Ils précèdent donc l’attribution par le Sénat de la dictature à vie, en février 44. Frappés à Rome au tout début de l’année, ils sont donc émis du vivant de César. » (p. 37)
* Bernard Ribémont, « La figure de Jules César dans la littérature médiévale » (p. 41‑57)
Extrait : « Une première caractéristique de César, qui fera florès dans la longue durée – en dépit de l’erreur due à une mauvaise interprétation de Suétone, est qu’il fut le premier empereur romain, comme l’annonçait déjà Chrétien de Troyes. Jean Froissart le rappelle encore dans ses Chroniques : “Julius Cesar, qui fu li premieres emperères de Romme, et de qui tout li aultre sont descendu et venu”. Et, au XVe siècle, Jean de Bueil, dans Le jouvencel, enregistre la victoire de César sur Pompée et “a cause de ceste victoire Jules Cesar osta le consultat de Romme et en fist empire et en fust empereur de son vivant” » (p. 51)
* Graziella Pastore, « Les représentations de Jules César au Moyen Âge » (p. 59‑63)
Extrait : « L’assassinat de César à la suite du complot des sénateurs figure également parmi les sujets qui ont marqué l’iconographie médiévale. César y est souvent représenté en roi, ce qui atteste son gain d’importance et sa consécration parmi les personnages les plus illustres. » (p. 60-61)
* Rudy Chaulet, « La réception de César à l’époque moderne » (p. 65-96)
Extrait : « Le XVIe siècle est riche de créations littéraires inspirées de la vie de César. On y voit l’exemple à ne pas suivre, après tant de grandeur, d’une chute spectaculaire. Ici aussi le placere et docere d’Horace est une boussole. Il faut que les princes tirent profit tout en se distrayant à la lecture où [sic] à la représentation de ces œuvres. Le premier qui s’y essaie en France est le clerc et professeur de latin Marc-Antoine Muret (1526-1585), qui, en cette langue, rédige un Iulius Cæsar très “concentré” autour de son assassinat, joué dans un établissement scolaire en 1545-1546. L’intention pédagogique est patente. » (p. 73)
* Anna Eleanor Signorini, « Jules César et les sculptures dans les tableaux néoclassiques : ostentation d’une absence » (p. 97‑111)
Extrait : « Les peintures néoclassiques dans lesquelles César est évoqué sont des toiles très souvent adressées aux cours princières européennes, sensibles aux instances de l’absolutisme éclairé ou, même dans certains cas, aux valeurs républicaines. Ce sont des tableaux qui montrent surtout son rapport à la statuaire de célébration pendant trois événements historiques : au début de sa carrière (lorsqu’il est confronté à la statue d’Alexandre le Grand, à Cadix), pendant son assassinat (quand il s’effondre au pied de la statue de Pompée dans la Curia) et après sa mort (ses statues et bustes montrés par Cléopâtre à Octave). » (p. 97)
* Fabien Bièvre-Perrin, « Notes sur la réception de César de 1792 jusqu’aux années 1950 » (p. 113‑127)
Extrait : « Dans une société au sein de laquelle la référence à l’Antiquité est omniprésente, le Consulat et l’Empire suscitent naturellement des rapprochements avec la fin de la République romaine. Napoléon Ier se trouve rapidement assimilé à Jules César, auquel il dédie un volume durant son exil à Sainte-Hélène – Précis des guerres de Jules César, publié en 1836 –, et rêve plus de Rome impériale que de Rome républicaine. L’iconographie officielle fait de l’empereur un nouveau César, couronné de lauriers, même si d’autres référents politiques dominent nettement dans la symbolique monarchique mise en place, en particulier Charlemagne qui sert d’intermédiaire entre l’empire romain et le Premier Empire. Estimant le titre de dictateur dangereux, il préfère prendre celui très républicain de consul. » (p. 114)
* Emma Sutcliffe, « “Le paquet de linge sale” de Gérôme » (p. 129‑132)
Extrait : « Entre 1859 et 1900, Gérôme avait, en suscitant le scandale, cherché à être l’artiste d’une mutation iconographique. Ce n’était plus par les caractéristiques physiques du teint livide et du front dégarni qu’il fallait annoncer César mais par la simple toge et la couronne de laurier, attributs symboliques qui suffisaient et suffiront désormais à le résumer. » (p. 132)
* Eugène Warmenbol, « Jules César… finalement, un gars sympa » (p. 133‑136)
Extrait : “Dans les aventures d’Astérix et d’Obélix, le général romain apparaît donc comme un beau joueur, même s’il a ses mauvais jours. Un monstre sacré qui en toute circonstance se montre beau joueur, grand même dans ses échecs. Ses relations avec les Gaulois, Brutus et Cléopâtre en font un personnage burlesque mais respectable et finalement apprécié et attendu, qui permet de donner le beau rôle aux héros sans en faire des superhéros de la nation gauloise. » (p. 136)
« II- César aujourd’hui »
* Gaëlle Perrot, « “Le César du meilleur empereur a été décerné à César… Avé moi !” La représentation de César en chef de guerre dans la culture de masse contemporaine » (p. 139‑145)
Extrait : « Il semble en effet que dans notre imaginaire, et bien qu’il n’incarnât l’imperator qu’une seule fois au cinéma, Delon ne fasse qu’un avec son personnage. On pourrait penser que cette identification doit surtout à la boutade bien connue sur l’usage de la troisième personne du singulier dans la Guerre des Gaules. Mais si le physique de l’acteur nous paraît correspondre si bien à celui du général, c’est en partie en raison de sa ressemblance avec d’autres Césars qui ont marqué notre enfance ou celle de nos parents, comme Rex Harrison ou le “Jules” dessiné par Uderzo : des visages sévères qui correspondent parfaitement aux canons de la beauté virile des summi uiri de Rome dont les traits trahissaient la dignitas et l’auctoritas propres aux grands généraux. » (p. 139)
* Julien Olivier, « Jules César. Virilité, sexualité, séduction ? » (p. 147‑158)
Extrait : « Il existe cependant des représentations de César jeune. Les premières se trouvent dans la littérature jeunesse et pour adolescents. L’écart d’âge important entre César et Cléopâtre – ils avaient respectivement 52 et 21 ans en 48 avant notre ère lorsqu’ils se rencontraient pour la première fois – ne pouvant plus être représenté explicitement pour un public jeune [, l]e Romain est soit figuré sans qu’aucun indice ne puisse laisser deviner son âge, soit comme un jeune homme. » (p. 150‑151)
* Thomas Guard, « Brutus, opposant de César, dans la culture populaire : “Malheur aux vaincus” » (p. 159‑175)
Extrait : « Dans la bande dessinée, en 1932, E. C. Segar donnent à Popeye un certain Brutus pour antagoniste (dans la version française, en anglais ce nom alterne avec “Bluto” au gré des adaptations dessinées et animées en raison de craintes liées à la propriété intellectuelle). Leur rivalité mettant en scène la confrontation de la bonne et de la mauvaise violence. Du reste, le nom Brutus finit par être attribué de façon très conventionnelle pour désigner un homme fort. Ainsi, dans le film de 1940 (perdu) Tobie est un ange, Yves Allégret place parmi des forains un colosse surnommé Brutus. Le dogue Brutus dans Le secret de la Licorne, d’Hergé, met son flair et son instinct de prédateur au service de la mauvaise cause, celle des frères Loizeau [sic], lancés à la poursuite du héros. Enfin, deux alligators expriment toute leur cruauté en pourchassant les souris des Aventures de Bernard et Bianca : Brutus travaille avec son partenaire Néron, ces deux noms latins semblant confirmer le vice de créatures envisagées le temps d’un film comme malfaisantes par essence. » (p. 160‑161)
* Claire Mercier, « “César mon grand humour” dixit Cléopâtre, ou l’exploitation comique de César » (p. 177‑186)
Extrait : « […] il convient de noter une particularité exceptionnelle de Jules César que peu d’autres personnages antiques possèdent : certaines de ses paroles sont inscrites dans notre patrimoine culturel. Collectivement, nous nous souvenons notamment de ses formules telles que Veni, uidi, uici, Tu quoque mi fili, ou encore Alea jacta est. Il faut rendre à César ce qui est à César, il est indéniable qu’il possédait un talent certain pour la formulation. Parmi ces expressions, celle qui a connu un succès incontestable à l’échelle mondiale est sans nul doute Veni, uidi, uici. Cette locution incarne parfaitement l’image que nous avons du général romain : une efficacité implacable couronnée de victoire. » (p. 181)
« III- César et les Gaulois : une vision croisée France/Belgique »
* Mathilde Le Piolot-Ville, « Jules César vu du MuséoParc Alésia » (p. 189‑196)
Extrait : « En 2010, dans le cadre des actions de promotion du MuséoParc Alésia, alors en construction, un jeu de questions-réponses, simple pour assurer un maximum de gagnants, est proposé aux visiteurs de la foire gastronomique de Dijon. Consternation des organisateurs : à la question “Qui a gagné le siège d’Alésia ?”, une grande majorité répond “Vercingétorix”. Dans la continuité du xixe siècle, c’est bien lui le héros ! » (p. 190)
* François de Callataÿ, « “De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves” : les spécificités du regard porté par les Belges sur Jules César » (p. 197‑205)
Extrait : « Ce qui diffère entre la France et la Belgique est bien sûr l’image unifiée de la nation d’une part et celle prévalente désormais des régions de l’autre. César reste en France le conquérant qui soumet la Gaule et non pas les Gaules après que plusieurs siècles de centralisation soient [sic] parvenus à gommer la pluralité originelle de son peuplement. En Belgique, c’est tout l’inverse. Avec César et la Gaule Belgique, on assiste à des passes d’armes communautaires qui tire [sic] peuples et territoires du côté tantôt des Celtes, tantôt des Germains. » (p. 202)
* Claire Mercier, « Annexe : enquête sur l’image de César des visiteurs du MuséoParc Alésia » (p. 207‑212)
Cette enquête de terrain sur les idées reçues liées à César apporte un éclairage intéressant et pertinent pour faire un état des lieux de la manière dont le grand public perçoit le grand personnage historique. Bien sûr, il s’agit quand même d’un public déjà assez spécifique puisqu’il est suffisamment intéressé par l’histoire des Gaulois et/ou des Romains pour faire la démarche de venir au musée d’Alésia ; mais les résultats de l’enquête restent tout autant intéressants : à la question « Comment connaissez-vous César ? » notamment sont le plus souvent associées les mots « école »… et « Astérix ».
Conclusion
Les rares coquilles qui traînent encore dans certains articles n’enlèvent rien à la qualité de l’ouvrage dans son ensemble, qui offre une synthèse inédite sur différents aspects de la présence continue (mais selon des caractéristiques variables) de César dans la littérature et les arts « traditionnels », ainsi que dans la culture populaire. Même si l’ouvrage ne peut faire le tour de la question tant la matière est vaste, il offre l’avantage de regrouper dans un même ouvrage la numismatique et la publicité, Gérôme, le Grand Jojo et Alain Delon, ou encore Li Fet des Romains et Astérix, sans donner une impression de regroupement artificiel, mais permet au contraire d’approcher la diversité des représentations de Jules César.
Plusieurs articles pourront être directement utiles aux collègues du secondaire, notamment ceux sur la figure de César dans l’Antiquité, ceux sur les monnaies, les tableaux néoclassiques ou l’œuvre de Jean-Léon Gérôme. Le principe de l’enquête présente en annexe pourra aussi servir comme base pour mettre en place un état des lieux auprès des élèves, avant de commencer une séquence autour de la figure du plus célèbre des Romains.
Julie Gallego
Université de Pau et des Pays de l’Adour
Laboratoire ALTER