NOS ANCÊTRES ….. LES GRECS
Jean-Claude Daumas pour Latine Loquere
– N´en déplaise à un personnage de BD aussi jovial que « bas de taille », les principales racines culturelles de l´Occident sont grecques, directement ou par l´intermédiaire des Romains. Les Grecs eux- mêmes avaient conscience de la valeur de leur civilisation : Isocrate (436-338) ne craignait pas d´affirmer que leurs œuvres « ont une telle renommée qu´elles sont adoptées par tous les hommes ».
Les paragraphes qui suivent ne sont évidemment qu´une évocation de cet immense sujet …
I. LE LEG POLITIQUE
Politique = l´art de gouverner la cité (polis), communauté de citoyens qui décident eux-mêmes des
lois (nomoi), donc de leur destin. Les Grecs ont expérimentés la plupart des régimes politiques possibles : – La monarchie (mono- = un seul ; -archie = autorité) ou royauté.
– L´oligarchie (oligoï- = un petit nombre) ou aristocratie (aristoï- = les meilleurs ; -cratie = pouvoir) = domination des grandes familles.
– La démocratie (démos = peuple) = gouvernement de tous les citoyens, fondé sur la loi.
– L´empire, à l´époque d´Alexandre le Grand, fut très bref et surtout contraire à l´esprit grec centré sur la cité-Etat jalouse de son indépendance et qui ne cherche pas vraiment à s´emparer des autres.
– La « tyrannie » (dictature au nom du peuple) préfigure les régimes autoritaires type populisme ou fascisme “ et peut-être même le communisme dont on trouve une vague lueur chez Platon.
– Le vocabulaire grec sert aussi à désigner d´autres faits politiques comme l´anarchie (“a privatif indiquant l´opposé de ce qui suit) = absence de pouvoir ; la démagogie (flatter le peuple, en particulier les travers de l´être humain) ; la technocratie ou pouvoir des techniciens/spécialistes.
La grande invention des Grecs reste évidemment la démocratie, système politique jusque là inconnu et qui restera par la suite ultra minoritaire ou absent dans l´ensemble du monde. Est-il seulement majoritaire aujourd´hui ?
Sûrement pas …
Les Athéniens du V° et IV° siècles ont même tenté de développer au maximum la démocratie directe :
– Magistratures (pouvoir exécutif) collégiales (à plusieurs), limitées à 1 an, parfois non renouvelables.
– Choix par tirage au sort des juges et des bouleutes qui préparent les projets de lois et contrôlent l´application de celles-ci : chaque citoyen pourra ainsi participer concrètement au pouvoir.
– Décisions (vote des lois ; ostracisme= exil pour 10 ans des dirigeants suspects) prises par l´assemblée (ecclésia) des citoyens, réunis 3 fois par mois et dédommagés financièrement.
Ce système aussi ses effets pervers et des citoyens correspondant à environ 1/5 des adultes (exclusion des femmes, des Grecs étrangers à la cité, des esclaves) n´est-ce pas finalement une oligarchie ?
II. LE LEG LINGUISTIQUE
L´alphabet d´abord, adapté de l´alphabet phénicien et perfectionné (voyelles), fort de 24 lettres
d´alpha à oméga, nous a été transmis par l´intermédiaire des Etrusques et des Romains.
Le vocabulaire ensuite : nous employons couramment, et sans le savoir, une partie des milliers de mots d´origine grecque qui figurent par exemple dans le Petit Larousse. Des mots commençant par un des
200 préfixes grecs ou finissant par un des 80 suffixe grecs ; des mots complets aussi, simples (lycée musée, gymnase,…) ou en accolant préfixe et suffixe : géo-graphie, géo-logie , géo-métrie, philo-sophie,… Quelques préfixes : aéro- air ; agro- champ ; anthropo- homme ; anti- contre ; auto- soi-même ; biblio- livre ; géo- terre ; hecto- cent ; hydro- eau ; logo- discours ; miso- haïr ; néo- nouveau ; ortho- droit ; péri- autour ; philo- aimer ; photo- lumière ; poly- nombreux.
Quelques suffixes : -algie douleur ; -cycle roue ; -gène naissance ; -gone angle ; -graphe écrit ; -logie étude ; -phage manger ; -phile aimer ; -phobe craindre ; -phone son ; -pode membre ; -scope regarder ; – therme chaleur.
III. LE LEG LITTERAIRE
Il correspond essentiellement à deux genres : l´épopée et surtout le théâtre.
L´épopée “ c´est-à -dire l´amplification d´aventures déjà extraordinaires par elles-mêmes “ nous a fourni un modèle de première grandeur avec les 15 000 vers de l´Iliade – récit épique (= grandiose) de la Guerre de Troie – et les 12 000 vers de l´Odyssée = retour d´Ulysse à Ithaque. « Odyssée » est d´ailleurs devenu un nom commun signifiant voyage riche en péripéties (peripeteia = événements imprévus), ce qui montre bien l´immense influence des poèmes d´Homère “ même si l´existence et l´unicité de l´écrivain sont discutées. Le théâtre a véritablement été inventé par les Grecs :
– D´abord le bâtiment adapté pour un tel spectacle : 1 “ théatron = gradins semi-circulaires assurant aux spectateurs une bonne vision ; 2 “ orchestra = espace occupé par les chants et la musique ; 3 “ skéné= scène pour les acteurs. Une structure qui sera reprise par les Romains et a perduré jusqu´à nos jours
– Ensuite, les deux types de base de l´art théâtral : la tragédie et la comédie.
Aristophane (445-385) fut le créateur de la comédie, satire de la société y compris celle de ses élites (Socrate). Eschyle (525-456), Sophocle (495-405) et Euripide (480-406) furent les maîtres de la tragédie qui montre l´Homme aux prises avec son destin. Les tragédies grecques “ pourtant vieilles de 2 500 ans “ ont des résonances très actuelles : l´humanité d´une Antigone ou d´une Electre n´a rien perdu de sa force. Le théâtre est un spectacle vivant (le dialogue des acteurs a beaucoup plus de force qu´une simple lecture de texte) qui a aussi un but civique : entrée gratuite parfois pour les citoyens pauvres.
L´éloquence (art de bien parler) est aussi une spécialité grecque vu l´importance de la parole pour un citoyen qui est censé intervenir à l´assemblée (ecclésia) ou au tribunal lorsqu´il doit se défendre. Démosthène (384-322) fut le plus célèbre de ces maîtres de la rhétorique (art de la persuasion) par ses discours enflammés contre Philippe II de Macédoine, prêt à soumettre la Grèce. Aujourd´hui une « philippique » signifie un discours violent contre quelqu´un.
L´histoire « scientifique » remonte à Thucydide (459-398) qui décrit un événement contemporain “ la Guerre du Péloponnèse (431-404) “ avec précision de la chronologie et des faits, sans prendre parti, tout en recherchant les diverses causes des événements, les motivations des acteurs, …
Pour mémoire : les poètes Hésiode (VIII° siècle), Sapho “ une femme dans une Grèce misogyne (VI° siècle) et Pindare (V° siècle) ont exploré divers genres poétiques ; les fables d´Esope (VI° siècle) ont beaucoup influencé Jean de La Fontaine.
IV. LE LEG MYTHOLOGIQUE
Le génie inventif des Grecs a créé un foisonnement de « contes et légendes » qui font toujours partie de notre patrimoine culturel.
La Guerre de Troie : enlèvement d´Hélène, sacrifice d´Iphigénie [Abraham et Isaac ?], colère d´Achille, cheval de Troie, …
Le retour d´Ulysse : cyclope, sirènes, Pénélope, …
Les héros (humains aux pouvoirs exceptionnels) : Héraclès (Hercule) et ses 12 travaux ; Thésée et le Minotaure (+ Ariane, Egée, Dédale et Icare) ; Å’dipe et le sphinx ; Persée et Méduse ; Jason et la toison d´or ; sans oublier les mythes « savants » de Prométhée (le feu), Sisyphe, …
Les Nymphes (Echo, Eurydice, Aréthuse, …) ; les Muses (Clio = l´Histoire, …) ; les Centaures ; Les Amazones ; …
Enfin, les extravagantes aventures (mais oh combien humaines !) des dieux et déesses – que les Grecs imaginent comme des humains, mais immortels et dotés de grands pouvoirs – jouant entre eux une inextricable « comédie humaine » : aventures extraconjugales de Zeus et leurs conséquences, …
V. LE LEG PHILOSOPHIQUE
La philosophie (philo = aimer, sophia = sagesse) – l´invention grecque par excellence – est une
réflexion sur l´Homme. Il était déjà le sujet principal dans les domaines littéraire et artistique ; en philosophie, c´est encore plus net : « Que de merveilles dans le monde, mais nulle n´est plus merveilleuse que l´homme » dit Sophocle par la bouche d´Antigone ; « l´homme est la mesure de toutes choses » affirme Protagoras (484-411).
Les philosophes, qui ont souvent été aussi des scientifiques, développent une réflexion globale sur l´homme, la nature, la cité afin de proposer un comportement citoyen fondé sur la raison et la morale.
Toutes sortes de questions philosophiques ont été explorées par la multitude des philosophes grecs. -Les sophistes, virtuoses du discours, enseignent l´art de la persuasion.
-Socrate (470-399) interpelle ses concitoyens pour leur faire prendre conscience des limites de leur
savoir en vertu du fameux « connais-toi toi-même » [to gnôti séauton].
-Platon (428-347) qui enseigne à l´Académie (gymnase du riche Académos) est à la recherche de la
cité idéale.
-Aristote (384-322) qui enseigne au gymnase du Lycée explore lui aussi l´art de bien gouverner en
critiquant d´ailleurs férocement la démocratie.
-Diogène (407-323) apostrophe les passants depuis son fameux tonneau de « SDF volontaire » : provoquer est la technique employée par le courant « cynique ».
-Epicure (341-270) préconise la tranquillité de l´âme par les plaisirs (épicurisme).
-Zénon (330-263) propose la maîtrise de soi : c´est le stoïcisme [stoa = portique ; il enseignait au portique de l´Agora].
Epicurisme et stoïcisme auront une grande postérité, et d´abord chez les Romains.
VI. LE LEG SCIENTIFIQUE
La réflexion scientifique grecque est de type global, beaucoup plus « recherche fondamentale » que « recherche appliquée » : le savant grec est un avant tout un théoricien : c´est en cela qu´il a établi les bases de la science « moderne » -oubliées ensuite pendant 1,5 millénaire “ et redécouverte s à la Renaissance, pour s´amplifier ensuite siècle après siècle.
En mathématiques et physique : recherche d´une explication rationnelle et systématique des phénomènes naturels dans l´Univers, à traduire par des formules mathématiques : pour Pythagore, le monde est régi par des nombres. Tout doit être démontré par un raisonnement rigoureux, type théorèmes énoncés au VI° siècle par Thalès et Pythagore qui sont toujours les « vedettes » des mathématiques enseignées au collège ! Et, évidemment, de la géométrie euclidienne (Euclide : III° siècle avant J.-C.)
En astronomie, les Grecs ont été les premiers à établir des lois mathématiques expliquant le fonctionnement de l´Univers : par exemple, l´éclipse de soleil du 28 mai 585 a pu être prédite et de nombreux phénomènes complexes ont été mis en évidence comme celui de la précession des équinoxes. Au III° siècle avant J.-C., Eratosthène a prouvé que la Terre était une sphère en calculant, avec une précision époustouflante, sa circonférence (donc rayon et diamètre). Le système de Ptolémée (100-170), géocentrique (= Terre au centre de l´Univers), ne sera révisé qu´aux XVI° et XVII° siècles ; mais déjà Aristarque de Samos (310-230) avait émis l´hypothèse de la rotation de la Terre sur elle-même et autour du soleil = l´héliocentrisme (soleil entouré de planètes tournant autour de lui). Une précocité surprenante à mettre en parallèle avec celle de Démocrite (460-370) qui a eu l´intuition de l´atome (particule de base insécable : a privatif et tomein = couper).
En médecine, Hippocrate (école de Cos) recherche les causes naturelles des maladies en auscultant les patients et en décrivant avec une grande précision les symptômes. Il établit ainsi de véritables tableaux cliniques : sa description du visage d´un mourant ou « faciès hippocratique » est encore utilisée. Son approche globale comporte aussi une partie éthique comme le respect du patient ou le secret médical : déontologie que l´on retrouve aujourd´hui dans le « serment d´Hippocrate » prêté par tout nouveau médecin. Enfin, la médecine « parle grec » : anatomie, antiseptique, clinique, diagnostic, pathologie, pharmacie, posologie, stéthoscope, thérapie, … sont, malgré tout, des mots simples !
VII. LE LEG ARTISTIQUE
En peinture : la peinture grecque était trop mal connue pour avoir laissé des traces directes, mais les
peintres « classiques » se sont largement inspirés de la mythologie et de l´histoire grecque.
En sculpture : forte influence – surtout à travers les copies romaines “ sur les sculpteurs, en particulier les classiques qui idéalisent leurs personnages (visages sereins, attitudes calmes, beauté
« canonique ») et les baroques qui s´inspirent de l´expressionisme hellénistique (Pergame).
En architecture surtout, l´empreinte grecque a été forte : chez les Romains d´abord, puis en Europe
occidentale du XV° siècle (Renaissance dans la Florence des Médicis) au XX° siècle et en Amérique du Nord aux XIX° et XX° siècles : quantité de monuments imitant la façade d´un temple dorique (colonnade, fronton triangulaire surbaissé à tympan sculpté) ; répertoire décoratif de triglyphes, métopes, larmes, …
VIII. LE LEG SPORTIF
S´il n´est pas primordial, il n´est cependant à négliger avec :
– La création de l´athlétisme : courses de vitesse (1 à 2 tours de stade = 190 et 380 m) et d´endurance (12 et 24 tours = 2 300 et 4 600 m) ; saut en longueur (avec ou sans haltères) ; lancer du disque et du javelot.
– La codification des épreuves de combat : lutte, pugilat (boxe avec lanières de cuir autour des poignets), pancrace qui mêle lutte et boxe (karaté ?).
– L´idée des épreuves combinées = pentathlon (course, saut en longueur, lancer disque et javelot, lutte) qui a inspiré le décathlon masculin (10 épreuves) et l´heptathlon féminin (7 épreuves), mais aussi le pentathlon moderne qui regroupe cross, escrime, tir au pistolet, équitation et natation.

– Les Jeux Olympiques : regroupement tous les 4 ans (= 1 olympiade), depuis au moins 776 avant J.-C., des épreuves sportives existantes. Ils furent restaurés fin XIX° siècle “ premiers J.O. modernes à Athènes en 1896 “ à l´initiative du baron de Coubertin dans l´esprit grec : réservés aux hommes et à condition qu´ils soient amateurs, conception élitiste favorisant les familles aisées. Il en était de même dans la Grèce antique où seuls les plus riches pouvaient payer un entraineur. Par contre l´idée de record n´est pas grecque.
CONCLUSION
Sans doute pourrait-on discuter tout ou partie des paragraphes précédents dans la mesure où ils simplifient, sans doute trop, un domaine forcément complexe ; mais l´essentiel en la matière a été parfaitement résumé par Jean-Pierre VERNANT dans le n° 232 (mai 1999) de la revue L´Histoire :
« Au V° siècle avant J.-C., en Grèce, l´homme a changé dans ses façons de penser, d´être à soi- même, avec les autres, avec le monde, avec le divin …. Ce monde là … c´est celui d´où l´on vient, parce que nous en sommes les héritiers »

FICHE : Nos ancêtres… les Grecs – Jean-Claude Daumas pour Latine Loquere