Chères / Chers collègues,
Je me permets de vous écrire ce message collectif pour vous confier mon sentiment concernant la situation des Langues et Cultures de l´Antiquité et vous proposer quelques pistes de réflexion et d´action.
Je dois bien avouer que, comme certains d´entre vous, avec lesquels j´ai pu échanger ces derniers jours de vive voix, par courriel, téléphone ou sur les réseaux sociaux, j´ai vécu cette nouvelle de la fusion des capes de lettres modernes et de lettres classiques comme un nouveau coup porté à cet enseignement des langues anciennes si cher à nos coeurs. Même si le problème du recrutement des enseignants de langues anciennes était connu de tous (le Capes de Lettres Classiques n´est d´ailleurs pas le seul dans ce cas, ce qui soulève la question plus large de la perte d´attrait du métier d´enseignant) et qu´il fallait bien s´attendre à voir un jour ce concours modifié, une annonce officielle préalable, nous expliquant les bienfaits attendus de cette nouvelle formule, aurait été la bienvenue.
Seul le concours distinct du Capes de lettres classiques disparaît mais pas les Lettres Classiques heureusement, même si le Grec ancien semble bien faire les frais de cette refondation.
On recrutera donc toujours des professeurs de Langues Anciennes, mais qui seront avant tout des professeurs de lettres à option « Lettres Classiques » (on notera au passage que le ministère a préféré le terme d´option à celui de mention qui eût été plus consensuel).
On en recrutera à condition cependant que les candidats choisissent cette option « lettres classiques ». Or si l´on consulte la maquette du nouveau Capes de lettres (cf. tableau synthétique ci-joint), on s´aperçoit très vite que les Lettres Classiques, au lieu d´être mises sur le même plan que les Lettres Modernes ont été complètement enfermées dans leur matière. En effet, tandis que le candidat « Lettres Modernes » aura le choix pour son épreuve orale d´admission entre 4 matières toutes indispensables au professeur de Lettres (latin pour Lettres Modernes, Français Langue Etrangère, littérature et langue françaises, cinéma ou théâtre), le candidat estampillé « Lettres Classiques » n´en aura aucun et devra obligatoirement passer son épreuve orale d´analyse d´une situation professionnelle dans sa discipline des Langues et Cultures de l´Antiquité. Demandons-nous également quel type de professeurs de lettres vont préférer les chefs d´établissement : un professeur de langues anciennes sans autre spécialité, ou un professeur de lettres qui pourra se charger d´un groupe FLE, d´une option cinéma ou théâtre, ou qui aura quelques connaissances en latin avec son option « latin pour lettres modernes ».
Cette situation est un véritable camouflet de la part du Ministère, d´autant plus après la belle réussite en 2012 de la rencontre Langues Anciennes – Mondes modernes (organisée de main de maître par le groupe de Lettres de l´IG au Lycée Louis le Grand) et du Prix Jacqueline de Romilly (108 projets déposés tout de même pour sa première édition) qui ont prouvé à tous, si besoin était, la modernité pédagogique, la capacité d´innovation et l´ouverture pluridisciplinaire des langues et cultures de l´Antiquité.
Hasard des calendriers ou non, on remarquera que cette réorganisation du Capes de lettres des plus conservatrices (les lettres ne sont d´ailleurs pas les seules concernées), intervient de surcroît seulement quelques jours après la publication de deux documents qui étaient venus ensoleiller – un court instant seulement – le paysage des lettres classiques : le rapport sur les « Humanités au centre de l´excellence scolaire et professionnelle » remis par le Centre d´Analyse Stratégique au Premier Ministre, et le nouveau texte d´orientation pour l´enseignement des LCA rédigé par l´IGEN Catherine Klein et ouvrant des perspectives qui ne pouvaient que réjouir les enseignants de langues anciennes.
Quoi qu´on puisse en dire, cette optionnalisation et cet enfermement des Lettres Classiques sur elles-mêmes, à l´heure où les missions du professeur de lettres sont de plus en plus nombreuses et techniques, ne facilitera pas, bien au contraire, le recrutement déjà problématique des enseignants de langues anciennes. Même les Inspecteurs commencent à s´en émouvoir : si l´on ne souhaite pas voir les langues anciennes disparaître dans un avenir très proche, il est temps de réagir et de réagir vite. Certes cette nouvelle maquette a été publiée au journal officiel, mais nous ne pouvons rester les bras croisés en nous contentant d´un alea jacta est. Il serait d´ailleurs assez contre-productif de se morfondre dans le pessimisme et de jouer les pleureuses grecques, ce qui a tendance à chaque fois à nous faire passer pour des enseignants corporatistes et réactionnaires, ce que nous ne sommes pas.
Cette mobilisation doit être non pas seulement celle des associations de professeurs, mais celle de toutes celles et ceux qui pensent que l´étude des langues et cultures de l´Antiquité font encore sens aujourd´hui et nous permettent de mieux comprendre et de mieux vivre dans le monde moderne : enseignants de toutes matières et de tous niveaux, élèves, parents d´élèves, associations patrimoniales ou simples amateurs passionnés d´Antiquité.
Mais comment agir me direz-vous, avant que les congés estivaux ne viennent étouffer en chacun de nous toute vélléité de révolte ? En ce qui me concerne, je vois trois moyens d´action.
Tour d´abord, il va sans dire que, vu le faible nombre de professeurs de lettres classiques, nous ne pourrons faire l´économie du déballage médiatique. Chacun de nous doit alerter ses élus locaux (maires, députés, sénateurs, …) les médias écrits, radio et télévisés locaux, régionaux et nationaux. Nous ne devons pas oublier non plus Internet et les réseaux sociaux. Presque tous les médias et toutes les personnalités politiques ont leur compte Twitter ou Facebook ; les réseaux sociaux permettant de diffuser l´information au grand public de façon beaucoup plus large et rapide que les médias traditionnels. Tous ceux qui le souhaitent peuvent également laisser, sur le blog « (non)morituritesalutant ! », un témoignage personnel sur la nécessité de continuer à enseigner aux nouvelles générations les langues et cultures de l´Antiquité : http://nonmorituritesalutant.tumblr.com
Ensuite, les enseignants de langues anciennes doivent, dans ces quelques semaines qui nous séparent du mois de juin et et des chaînes d´inscription dans les établissements, redoubler d´effort pour le recrutement des latinistes et des hellénistes. De nombreuses formules ont déjà prouvé leur efficacité : journée antiquité dans l´établissement, séance de présentation de l´option LCA d´une ou deux heures dans les classes de sixièmes (accompagné ou non d´élèves latinistes qui font du tutorat), suggestion du choix de l´option sur le bulletin trimestriel des élèves, campagne d´affichage pour la promotion de l´option (affiches réalisées par les élèves qui peuvent donner lieu à un concours, ou récupérées sur le site de la Cnarela ou Latine Loquere), présentation attractive lors des journées portes ouvertes, visite dans les classes de troisièmes d´élèves du lycée ayant poursuivi l´option…
Il faut absolument mettre l´accent sur cette liaison collège-lycée qui est “ encore plus depuis la dernière réforme du lycée – notre maillon faible : des effectifs de latinistes et d´hellénistes dépend en grande partie le nombre d´étudiant en lettres classiques susceptibles de passer un jour le concours de recrutement.
Dans les établissements où cette pratique a encore cours, il faut trouver tous les moyens possibles pour faire cesser la pré-sélection, par le conseil de classe ou le chef d´établissement, des élèves souhaitant suivre l´option. Non seulement ce tri arbitraire colle sur notre matière une étiquette d´élitisme mensongère, mais elle enlève en plus aux élèves la première possibilité de choix autonome dans leur scolarité.
Enfin, cette situation ne doit pas faire oublier l´essentiel : la qualité et le renouvellement de nos enseignements. De nouvelles pistes qui montrent l´utilité des langues anciennes en mettant l´accent sur leur modernité ont été proposées à l´occasion du colloque Langues Anciennes “ Mondes modernes : intercompréhension entre les langues, LCA et français-lettres, méthode audio-orale d´enseignement des langues anciennes, LCA et espace méditerrannéen…
Nous devons non seulement nous emparer de ces thèmes de travail pour les intégrer à nos cours mais également passer progressivement à de nouvelles façon de travailler : LCA et interdisciplinarité, LCA et enseignement par compétences, LCA, TICE et validation du B2i, LCA et Histoire des Arts, LCA et travail en semi-présentiel… (cf. la rubrique « Enseigner les LCA » de Latine Loquere : https://www.arretetonchar.fr/?cat=389 )
Tous ces changements nécessitent évidemment des efforts d´adaptation importants qui rendent indispensable la mutualisation de nos travaux. Celle-ci nous permettra de gagner du temps, d´échanger autour de nos expériences, de diffuser les « bonnes » pratiques, et également de donner de la visibilité à nos enseignements auprès du grand public.
Il faut rappeler que les sites disciplinaires académiques sont souvent très demandeurs de travaux d´enseignants à mettre en ligne. Autre possibilité, le site Latine Loquere créé en 2006 justement à cet effet : mutualiser les travaux des collègues de langues anciennes et leur permettre, par le biais d´un forum de discussion disponible en bas de chaque article, d´échanger autour de leurs pratiques de classe. Deux possibilités s´offrent à vous pour diffuser vos travaux en ligne : envoyer simplement vos documents par courriel au webmestre du site (robert.delord@orange.fr) ou demander un identifiant et un mot de passe pour obtenir des droits de rédaction sur le site (vous accédez à une interface de création d´article simple qui vous permet de proposer et rédiger vous-même vos contenus).
Si le nombre d´abonnés à la liste des nouveautés du site est très important (plus de 1500), le nombre de contributeurs reste malheureusement relativement faible. Or, nous avons tous dans nos tiroirs une ou deux activités que nous avons réalisées nous-mêmes, qui ont bien fonctionné en classe et dont nous pourrions faire profiter d´autres collègues. Nous devons aujourd´hui dépasser cette pudeur intellectuelle pour montrer le dynamisme de l´enseignement de lettres classiques.
J´ajouterai pour finir qu´il faudrait également songer à mettre en place ensemble un mouvement autour de la question plus générale des humanités qui concerne l´enseignement supérieur autant que l´enseignement scolaire en essayant d´y associer des personnalités d´horizons divers et, si possible, des institutions comme l´Académie Française, la Commission Européenne, etc.
J´espère que ce long message, qui n´engage que moi aura suscité chez mes collègues plus de motivation que de morosité. La situation est réellement grave, mais optimiste de nature, je veux croire qu´elle n´est pas désespérée. Dans tous les cas, elle sera pour une bonne part ce que nous en ferons dans les semaines et les mois à venir.
Macte animo !
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Une pétition circule sur Internet pour la “Sauvegarde de l’enseignement du Latin et du Grec” : http://nonmorituritesalutant.tumblr.com/post/51670754683/petition-sauvegardez-lenseignement-du-latin-et-du
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Page Eduscol de la rencontre « Langues Anciennes “ Mondes modernes »
http://eduscol.education.fr/cid58407/rencontres-langues-anciennes-et-mondes-modernes.html
Page Eduscol du Prix Jacqueline de Romilly :
http://eduscol.education.fr/cid58430/prix-jacqueline-de-romilly.html
Rapport du CAS : « les humanités au coeur de l´excellence scolaire et professionnelle » :
https://www.arretetonchar.fr/?p=7319
Nouveau texte d´orientation de l´IGEN :
https://www.arretetonchar.fr/?p=7303
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Latine Loquere :
https://www.arretetonchar.fr/
Campagne d´affichage pour la promotion des langues anciennes :
https://www.arretetonchar.fr/?p=1588