Mérida < Estremadure < ESPAGNE
site officiel : http://www.spainisculture.com/fr/monumentos/badajoz/conjunto_arqueologico_de_merida.html
Texte : Jean-Claude Daumas pour “Arrête ton char !”
Les monuments romains de Mérida sont suffisamment nombreux et importants pour qu’ils aient été inscrits au patrimoine de l’UNESCO en 1993.
I. HISTORIQUE d’une CAPITALE
Colonia Julia Augusta Emerita fut fondée en 25 avant J.-C. par Publius Carisius, légat d’Auguste, peut-être à l’emplacement d’une cité ibère, juste en amont de la confluence entre l’Anas (Guadiana) et son affluent le Barracca (Albarregas), là où l’Anas était facilement franchissable (gué, île). Cette cité était destinée à accueillir les vétérans [emeritum = pension de retraire pour un soldat] des guerres cantabriques (26 à 19) : V° légion Alaudae etX° légion Gemina (plus tard la VI° légion Victrix et la VII° légion Gemina ?).
En 16/13, lors de son voyage en Hispanie désormais totalement conquise, Auguste la divise en 3 provinces : Bétique (ex-Ultérieure), Tarraconaise (ex-Citérieure) et Lusitanie (l’actuel Portugal) dont Emerita devient la capitale.
Rapidement dotée d’infrastructures urbaines (ponts, égouts) et de magnifiques monuments qui en font la plus importante colonie romaine d’Espagne, une « petite Rome », carrefour routier et port sur le Guadiana, lien entre la Bétique et la Lusitanie (et plus tard la Galice), au centre d’un vaste terroir de 20 000 km2. Le poète Ausone (310-395) la classe au 9ème rang des plus importantes cités du monde romain.
A la fin du III° siècle, avec la réforme de Dioclétien (284-305), Emerita devient la capitale du diocèse des Espagne : 5 provinces hispaniques (Gallaecia, Tarraconensis, Carthaginiensis, Lusitania, Baetica) + la Maurétanie Tingitane (l’actuel Maroc).
² Elle est aussi un archevêché depuis le IV° siècle, ce qui montre une forte implantation chrétienne symbolisée par le martyr de sainte-Eulalie sous Dioclétien qui suscite un important pèlerinage.
Capitale à partir de 422 du bref royaume des Suèves, puis de l’une des 6 provinces de l’Espagne wisigothique, c’est dans Mérida que l’armée wisigothique, vaincue en 711 par l’armée d’invasion musulmane, vient se retrancher ; elle ne se rendra qu’au bout d’un an de siège.
Foyer d’opposition au pouvoir musulman, ses remparts sont rasés en 834 et une forteresse (Alcazaba) y est construite pour contrôler le pont sur le Guadiana. En 1230, Mérida est reconquise par les chrétiens, mais elle perd son archevêché au profit de Saint-Jacques de Compostelle.
Aujourd’hui Mérida (58 000 h) est la capitale de la région autonome d’Estrémadure.
II. HORS DE LA VILLE
Aqueduc Aqua Augusta : 16 km de tunnel voûté entre le lac artificiel de Cornalvo (énorme digue en terre et pierres qui enrobent un treillis de murs longitudinaux et transversaux, recouverte d’une dalle en béton revêtue de blocs de granit ; en amont de la digue, tour avec vanne de régulation : 4,50 x 4,50 m) et son arrivée à l’est de la ville pour desservir le théâtre et l’amphithéâtre.
Aqueduc Rabo de Buey/San Lazaro : 5 km (sur une longueur totale de 25 km) de segments souterrains bien conservés entre Cornalvo et le château d’eau du secteur de la maison de l’amphithéâtre pour la desserte du forum municipal. Du pont sur l’Albarregas, il ne reste que 2 rangées d’arcades superposées entre 3 énormes piles. Premier niveau : 9 assises de gros blocs de granit surmontées d’une corniche moulurée ; au-dessus : alternance de 4 assises de gros blocs de granit et d’une assise de briques.
Aqueduc Los Milagros [« les miracles » : la conservation de cet ensemble de piles semblait miraculeuse] Depuis le lac artificiel de Proserpina (digue de 425 m de longueur et de 12 m de hauteur) alimenté par un réseau de canaux et ses 2 tours à vannes de régulation en aval de la digue, parcours de 12 km dont 5 km en galerie voûtée (2 m de hauteur, 1 m de largeur) pour aboutir au castellum/bassin de décantation, puis franchir l’Albarregas et arriver au château d’eau terminal au nord de la ville. Les restes du pont de franchissement sont impressionnants : 827 m de long, 25 m de hauteur maximale, 3 rangées superposées d’arcades plein cintre en briques (remplacées à la verticale de l’eau par 9 voussoirs en pierre) pour mieux solidifier entre-elles les hautes piles de 3 m de côté à contreforts à l’avant et à l’arrière. Elles correspondent à un noyau de béton revêtu de gros blocs de granit bien équarris, séparés toutes les 5 assises par une assise de briques ; il reste une cinquantaine de piles, plus ou moins bien conservées. S’il est vraiment augustéen, le pont d’aqueduc Los Milagros serait alors l’ouvrage le plus colossal existant à cette époque.
Cirque : élevé à 500 m hors de l’enceinte (vu son énorme superficie) sur la route de Corduba, il est long de 433 m et large de 114 m (223 m x 8,50 m pour sa spina). 30 000 spectateurs pouvaient prendre place sur des gradins étagés en cavea de 11 rangées. Construit sous Tibère (14-37) et restauré en 337-340, il est un des mieux conservés du monde romain : l’emplacement des 12 garages à chars (biges tirés par 2 chevaux, quadrige tirés par 4) est bien visible sur son côté hémisphérique.
Pont sur le Guadiana : il a été construit à l’endroit où le franchissement de ce fleuve était facilité par la présence d’une île qui le divise en deux ; il conduit à l’entrée du Decumanus maximus, emplacement de la monumentale Puerta del Puente. C’est le plus ancien monument de Mérida puisqu’il remonte à la fondation de la colonie. Large de 7,20 à 7 ,80 m, long de 800 m pour 60 arches : il en reste 57, réparties en 3 tronçons. Le premier, côté ville : 10 arches en grande partie antiques ; le second, au centre, sur l’île protégée par un grand avant-bec à l’époque romaine : 26 arches des XVII° et XIX° siècles ; le troisième, côté extérieur : 21 arches presque toutes antiques mais enterrées tout comme la rampe d’accès. Les 6 premières arches côté ville sont totalement romaines : âme en béton avec parement en bel appareil à bossage de blocs de granit surmonté d’un reste de corniche moulurée. Les dimensions croissent de la rive vers le centre ; ouverture des arches : 7,40 m à 10,40 m ; largeur ders piles : 4,70 m à 5,30 m ; le rapport pile/ouverture reste proche de 1/2. Ces piles sont pourvues d’avant-becs semi-circulaires et les écoinçons (espace triangulaire entre 2 arcs) percés d’une ouïe (déversoir) de crue, haute de 1,50 m et large de 90 cm.
Pont sur l’Albarregas (à proximité de Los Milagros dans le prolongement du Cardo Maximus) : augustéen, long de 145 m, large de 7 m ; il n’en reste que 4 arcs de 5,30 m d’ouverture entre des piles sans avant-bec ni ouïe de crue.
Enceinte (il n’en reste que quelques pans) massive de 3 800 m de longueur, flanquée de 25 bastions, ouverte de 4 portes (3 reconstruites dont la fameuse Puerta del Puente) ; elle entoure un espace de 70 hectares, en forme de triangle rectangle irrégulier au classique plan en damier (rues parallèles au Cardo Maximus et au Decumanus Maximus, donc se coupant à angle droit).
III. DANS LA VILLE
23 égouts maçonnés (0,86 m = 3 pieds romains de largeur, 1 à 2 m de hauteur) drainent les eaux de pluie et les eaux usées comme celles qui sortent des thermes de San Lazaro ou de ceux de Reyes Huertas où la neige était utilisée dans le frigidarium.
Forum municipal : entouré d’un portique décoré de têtes de Méduse et de Jupiter Amon avec comme monument principal, en bordure, le temple de Diane. Le Cardo Maximus le reliait à l’autre forum.
Forum provincial : il comportait une basilique (?), à coup sûr un grand temple (Capitole ?) sur podium de 3 m de hauteur et 25 m de longueur. Son entrée était « monumentalisée » par l’arc de Trajan. Haut de 14 m, large de 8,70 m, épais de 5,70 m, il est bâti en blocs de granit et recouvert de plaques de marbre (aujourd’hui disparues).
Temples : Jupiter, Mars (il n’en reste que 2 colonnes engagées à chapiteaux corinthiens soutenant un entablement décoré de têtes de Méduse et de palmiers), Auguste et celui de Diane, bien conservé car inclus dans un palais Renaissance dont il reste une partie à l’intérieur des vestiges actuels du temple. Caractéristiques architecturales : hexastyle (6 colonnes de 8 m de haut, 0,85 m à la base, entrecolonnements de 2,10 m, en façade sur le forum municipal ; plus 6 à l’intérieur pour délimiter un étroit vestibule) ; périptère (11 colonnes sur chacun des 2 longs côtés et 6 à l’arrière : la colonnade fait donc tout le tour du temple, « à la grecque ») ; d’ordre corinthien avec des colonnes cannelées reposant sur une base à tores et surmontées de chapiteaux à feuilles d’acanthe ; fronton ; sur un haut podium (3 m) rectangulaire (21,50 x 15,50 m) et à cella unique = 2 caractères romains. Il serait d’âge augustéen et pour le culte impérial : Diane étant un nom arbitraire.
Autre temple remarquable : un mithraeum du milieu de II° siècle, le mieux conservé et le plus richement orné du monde romain. Il montre l’importance qu’avait pris en Hispanie ce culte oriental et aussi le syncrétisme religieux romain : statues de Mithra mais aussi de Isis, Sérapis, Jupiter, Mercure, Vénus, Esculape, Océanus, Eros et même – sous forme d’ex-voto – des divinités hispaniques comme Edigenus ou Ataecina.
Amphithéâtre : inauguré en 8 avant J.-C. (il est donc augustéen), bâti en béton recouvert de pierres de taille, long de 126 m et large de 103 m, il pouvait accueillir 15 000 spectateurs accédant par 16 portes et 32 vomitoria à ses 3 cavea en partie adossées à la colline de San Alban. N’est conservée que la plus basse : l’Ima cavea (une rangée de sièges pour les autorités, séparée de l’arène par une lice et surmontée de 10 rangées de gradins) ; la Media cavea (12 rangées) et la Summa cavea (10 rangées) ont servi de carrière de blocs après l’époque romaine. Au centre de l’arène (64 x 41 m), une grande fosse en croix matérialise l’emplacement des cages pour les animaux sauvages utilisés lors des venationes ; peut-être servait-elle aussi pour des reconstitutions de combats navals. Le musée de Mérida conserve la dédicace d’un gladiateur à Némésis (patronne des gladiateurs) et une peinture représentant le combat d’un rétiaire contre 2 fauves au milieu d’un paysage rocheux.
Théâtre : Construit à l’initiative de Marcus Agrippa, inauguré en 16 avant J.-C. [M. AGRIPPA. L. F. COS. III. TRIB. POT. III.dit une inscription …], rénové sous Hadrien puis sous Constantin, c’est le plus somptueux d’Espagne. Remarquablement conservé, il est toujours utilisé pour des spectacles théâtraux ou musicaux. Bâtis en grands blocs de granit et adossés à la colline San Alban (la plus haute de la ville et qui offre une pente parfaite pour une bonne acoustique), les gradins d’un diamètre maximal de 87 m pouvaient contenir 6 000 spectateurs. Ima cavea : muret entre l’orchestra (30 m de diamètre et dallage de marbre) puis 3 rangées de bancs spacieux pour les personnalités, surmontées par 21 rangées de gradins ; les 13 entrées et les 13 vomitoria s’ouvrent à la base d’une Media cavea de 5 rangées de gradins alors que la Summa cavea n’en a que 4.
Le joyau de ce théâtre c’est son mur de scène (frons scaenae) haut de 30 m, reconstruit en 135 à la suite d’un incendie, puis réparé en 333. Sur un haut podium de 2,50 m, 2 colonnades superposées (colonnes en marbre avec bases à tores et chapiteaux corinthiens ; 24 de 6m de haut au 1er niveau, 32 de 5m de haut au second niveau), encadrées d’un sous-bassement et d’une architrave à corniche, servaient de cadre majestueux pour des statues : Cérès, Pluton, Jupiter, Proserpine, Auguste divinisé et des torses à cuirasse. Deux entrées latérales et une centrale qui, au fond d’une exèdre surmontée d’une statue féminine, donne accès à l’arrière à un vaste péristyle.
Des maisons somptueusement décorées complètent un palmarès déjà bien fourni. Hors de la ville, la maison de l’Amphithéâtre, villa patricienne du 1er siècle après J.-C.à atrium et à péristyle trapézoïdal de 18 colonnes, est célèbre pour ses mosaïques naturalistes : mer avec poissons, scène de foulage du raisin, … La maison du mithraeum, complexe de 3 cours intérieures, présente une mosaïque de 4 x 5 m du III° siècle à sujet cosmogonique (allégories de la nature comme vents, nuages, rivières, mers, …) réalisée pour moitié en tesselles de verre. Maison de la rue Suarez Somonte : fresques du IV° siècle exceptionnellement bien conservées montrant une chasse au cerf et au lièvre, un chasseur à cheval, … Maison de la rue Holguin : mosaïque du banquet des Sept Sages, dont Solon d’Athènes et Thalès de Milet.
—–
à visiter :
Musée National d’Art Romain : inauguré en 1986, il est à la mesure des richesses archéologiques de Mérida. Architecture rappelant celle de Rome (brique, espace, grande nef flanquée de salles latérales sur 2 niveaux, entrée monumentale : portes en bronze, linteau en marbre surmonté d’un statue féminine.
Rez-de-chaussée = éléments des grands édifices : forum municipal (caryatides, tête Méduse, statues Agrippa, empereur en cuirasse) ; théâtre (portraits Auguste, Tibère, Drusus, Agrippine) ; cirque (inscription datant sa restauration) ; amphithéâtre (dédicace à Némésis, combat rétiaire-fauves, inscription le datant de 8 avant J.-C.) ; mithraeum (statues de divinités et ex-voto) ; sans oublier la fresque de chasse de la maison rue Suarez Somonte.
Premier étage = vie quotidienne : céramiques, verreries, mosaïques (dont Sept Sages), fresques (adieux de Briséis à Achille), monnaies, stèles funéraires, époques paléochrétienne et wisigothique.