Prat’hic#14 : “Malus / Μηλίς” : écrire un livre coopératif en latin et en grec à la fin de l’année

Vos pratiques sont fantastiques ! Régulièrement, ATC donne la parole à des enseignants pour qu’ils nous fassent découvrir une activité menée en cours de langues anciennes.

Magistra Mala nous présente une activité menée en 2h, à la toute fin de l’année scolaire avec ses élèves latinistes et hellénistes de la  5è à la 3è : la création commune d’un livre en latin et en grec ancien. L’opus  “Malus / Μηλίς” a cette année pris la forme d’un pommier, à mesure que les élèves ajoutent leur feuille à l’édifice. Le projet est transférable et adaptable à l’envi !

 

En Bref

Bonjour, pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’activité “Malus / Μηλίς” : l’écriture d’ un livre coopératif en latin et en grec à la fin de l’année”  ?

La dernière semaine de cours de juin n’est pas la plus évidente : de nombreux élèves ont déjà les vacances en tête, commencent à songer à ne plus venir ou demandent des modalités de cours un peu différentes. Afin de parer l’inéluctable question “Magistra, et si on regardait un film ?”, j’ai proposé à tous mes élèves latinistes (5è, 4è et 3è) et hellénistes (3è) de collaborer pour créer un livre.  

Par groupe de 2 ou 3, chacun en composerait une double page dont le principe serait le même pour tous : une phrase en latin ou en grec ancien s’appuyant sur le thème d’ensemble proposé (le pommier : “malus” en latin / “Μηλίς” en grec ancien), et une illustration de cette phrase. L’objet fini prendrait lui-même la forme d’un arbre regroupant toutes les pages ainsi réalisées. 

Il n’était évidemment pas question de créer une histoire dont chaque page raconterait une étape : chaque groupe n’avait que 2h pour proposer une phrase (en français) au professeur, la traduire en latin ou en grec ancien, et l’illustrer. 

 

Avec quelle classe l’avez-vous menée ? 

Je travaille au collège où j’ai la chance d’enseigner le latin et le grec ancien, et j’assure les cours de l’option grec ancien  au lycée voisin. Les deux établissements sont situés dans un bassin peu favorisé, qui était encore en REP il y a peu. Les élèves qui choisissent l’option latin ou grec ancien sont motivés (c’est un choix de leur part, pas une stratégie familiale), mais ont des niveaux variés, parfois très bas. J’ai malgré tout à cœur de pratiquer la grammaire sous toutes les formes possibles, mes élèves ont donc l’habitude de traduire (que ce soit de la version ou du thème), même si beaucoup d’entre eux se trouvent parfois démunis.

J’ai impliqué tous les élèves latinistes et hellénistes du collège. J’aurais pu également faire participer les lycéens, mais à cette période de l’année, il n’y a plus déjà plus cours. 

Le projet est facilement adaptable : il n’y a pas de limite de nombre de pages, ou de langue cible. J’aurais pu demander aux élèves du cours de français de participer, mais j’avais envie que ce soit en latin ou en grec ancien pour mettre mes élèves à l’honneur.

J’ai simplement adapté mes attentes au niveau et aux compétences des élèves : j’attendais des latinistes de 5è ou des hellénistes de 3ème, qui apprennent une langue ancienne depuis seulement un an, des phrases simples (sujet / verbe / COD, complément circonstanciel….), et je leur ai apporté plus d’aide quand ils souhaitaient rendre en latin ou en grec des idées “complexes” ; j’ai laissé les latinistes de 3ème plus libres tout en leur disant que j’attendais au moins des phrases complexes (d’un point de vue grammatical).

 

Aux origines du projet

Quelle est la genèse de ce projet ?  

J’avais déjà mené ce projet deux fois, il y a quelques années (avant le COVID) de façon “moins organisée” mais avec le même fonctionnement : un thème imposé, une page par groupe, une collaboration de tous mes groupes de latinistes / hellénistes pour réaliser un livre commun : “Servus” en 2017 et “de Grumione” en 2018. 

Aucun des élèves que j’ai actuellement n’avait participé et c’était donc pour eux une nouveauté.

Début juin, quand j’ai commencé à formaliser le projet et à chercher un thème, j’ai découvert le magnifique album pour enfants Arbre d’Amandine LAPRUN, publié chez Acte Sud.  Les illustrations sont splendides, la forme que prend le livre est originale.

     

 

 

 

 

 

 

 

Photos du livre Arbre d’Amandine LAPRUN issues de son site personnel

 

J’avais trouvé là mon inspiration pour mon livre collectif de fin d’année : l’arbre, aussi bien pour le thème que pour la présentation finale de l’ouvrage.

Plutôt qu’”Arbor”, j’ai choisi comme titre “Malus /  Μηλίς”, car en latin le mot “Malus”, malgré sa terminaison en -us, est féminin. Ce serait l’ultime occasion pour moi, fin juin, de faire une piqûre de rappel grammatical concernant l’accord des adjectifs !

De plus, nous avions vu en 5ème la phrase “Mala malus mala mala dat” qui joue sur des homonymes  “malus, a, um (adjectif) = mauvais / malus, i (nom) = le pommier / “malum, i  (nom) = la pomme”. 

En grec ancien, nous avions vu le nom μέλισσα, ης, qui pourrait lui aussi être rapproché (pour la sonorité uniquement) de μηλίς, ίδος. Il y avait donc plein de jeux de mots à exploiter, de même que des épisodes mythologiques évoqués en classe.

Re-exploitation d’un proverbe par des élèves de 4è

 

Quels objectifs vous étiez vous donnés ?  

Mon objectif principal était d’occuper la fin de l’année avec une activité plus “relâchée”, mais avec  de la grammaire et de la traduction quand même. Il m’est souvent arrivé de demander dans l’année aux élèves d’écrire de petites histoires en latin en utilisant la grammaire et le vocabulaire appris (et le dictionnaire en complément), pour vérifier les compétences acquises. L’écriture d’invention est un exercice souvent négligé mais très formateur !

Evidemment, en ce qui concerne les illustrations des phrases, je n’avais aucune attente. J’ai imposé un délai court  et n’attendais donc pas de dessins sophistiqués…

J’ai aussi dit aux élèves, quand je leur ai présenté le projet, que nous serions tous ravis, l’année suivante, de voir l’ouvrage décorer mon bureau, de pouvoir le feuilleter de temps en temps, d’avoir le plaisir de retrouver une page, de confronter l’évolution de nos connaissances, et que je pourrais le montrer aux nouveaux latinistes / hellénistes en mettant en avant ce que les “anciens” avaient appris.

 

Faber fit fabricando

Qu’ont-eu à faire les élèves pendant l’activité ?  

J’ai présenté rapidement le projet à chaque groupe à l’occasion du premier cours de la semaine, tout en leur disant que nous devions avoir fini à la fin de la même semaine  (pour tous les niveaux, je vois les groupes 2h par semaine).

J’avais composé un diaporama très simple avec une première diapositive présentant le projet (image ci-dessous), une deuxième avec la page potentielle de couverture de l’ouvrage (la même image, sans le cadre violet, et les titres déportés vers la droite), une troisième avec quelques photos du livre d’Amandine Laprun pour donner une idée de ce que vers quoi nous tendions, et enfin une quatrième avec un gabarit de page.

l’image de présentation du projet

J’ai expliqué mes attentes et comment nous allions procéder : par groupe de 2 ou 3, les élèves devaient se concerter pour me proposer une phrase en français, ayant un rapport avec le thème proposé. Elle pouvait faire appel à un texte lu dans l’année, à un personnage étudié en classe, à la mythologie… Reprendre le vocabulaire acquis en cours de latin ou de grec était vivement conseillé, mais comme il y a des dictionnaires à disposition, nul besoin de se limiter ! 

J’ai regroupé sur un document commun les phrases en français proposées par chaque groupe (pour éviter les doublons), puis proposé des améliorations ou simplifications de celles-ci (surtout pour les 5èmes qui partaient sur des idées qui leur seraient compliquées à traduire). Cette première étape de présentation puis remue-méninge a été assez rapide (pas plus d’un quart d’heure !)

J’ai ensuite remis à chaque groupe une feuille A4 qui lui servirait de support : au centre, mon gabarit de double-page en forme d’arbre.

une page support

 

Dans l’espace du dessus, les élèves ont recopié la phrase proposée en français, puis en dessous proposé une traduction  en latin ou en grec ancien. Pour ce faire, ils ont utilisé les leçons du cahier, le vocabulaire appris au cours du cycle, et éventuellement le Gaffiot (ou le Bailly). Cette activité  leur a pris entre 15 et 30  minutes.

Des élèves  de 5ème en activité  de traduction

 

Dans l’espace du dessous, le mini-arbre leur a servi à esquisser un “brouillon” de la page finie, avant de se lancer. 

Pour la partie illustration (souvent faite lors de la seconde heure de cours de la semaine), je les ai laissés libres. Ils ont parfois cherché  (voire décalqué) de l’inspiration visuelle sur leur téléphone  ! 

Emploi judicieux du téléphone…

 

Quel a été le rôle du professeur pendant l’activité ?  

À ma grande surprise, j’ai été moins sollicitée que je l’aurais pensé. J’ai suivi les groupes surtout dans la première partie de l’activité : les élèves composaient souvent des phrases riches en français, mais un peu complexes (pour eux) à traduire en latin. Je proposais alors des reformulations plus simples : ainsi en 5ème, “Caius trouve que la pomme qu’il vient de croquer n’est pas bonne” est devenue “La pomme n’est pas bonne car elle n’est pas mûre.”  

Une page qui mêle inspiration mythologique & Stranger Things selon des élèves de 3ème

 

Chaque groupe est venu me proposer  sa traduction avant de pouvoir se lancer dans la réalisation de la page. Ce fut l’occasion de faire à chacun des rappels sur des points de grammaire : je pointais les éventuelles erreurs qu’ils corrigeaient. Ce fut souvent l”occasion de se dire que nous aurions besoin d’acquérir l’année prochaine de nouvelles compétences qui nous seraient utiles : le datif et la proposition infinitive, par exemple, qui font encore défaut pour les 5èmes, et les limitent dans ce qu’ils souhaitent écrire.

Nous avons parfois eu des conversations assez rigolotes sur la représentation à donner à des choses simples. Deux élèves ont ainsi passé au moins 30 minutes à se demander  comment représenter un philosophe antique. Je leur ai alors suggéré d’aller lire le dernier article publié sur le carnet Antiquipop ! Il y a aussi eu de vives discussions sur le jardin des Hespérides.

Une page en grec ancien

 

Pendant qu’ils dessinaient, j’ai préparé le support pour coller les pages : j’ai simplement plié en deux des pages A4 un peu plus épaisses et je les ai assemblées pour constituer un livret. Quand les pages terminées m’étaient rendues, je les collais sur le livret (la structure cartonnée a donné plus de tenue), puis j’ai découpé les pages pour leur donner leur forme définitive. Mon gabarit avait été conçu avec une forme symétrique à cet effet. Cela m’a pris assez peu de temps pour un résultat plutôt sympathique.

une page collée sur le livret support

 

Les élèves ont-ils gardé une trace écrite ? Si oui, laquelle ?

La seule “trace écrite” est le livre fini que je mettrai sur mon bureau l’année prochaine. 

J’ai déjà hâte de recommencer les années prochaines pour me constituer une “bibliothèque de classe”.

 

Le livre plié puis déplié

 

Quelle implication des élèves ?   

Les élèves ont totalement adhéré au projet. Ils ont travaillé avec sérieux, amené leurs crayons de couleur, feutres… pour la deuxième heure. Chacun a travaillé collaborativement autant que possible et chaque groupe est allé au bout de ce qu’il avait prévu en me rendant une page finie. Personne n’a râlé quand il fallait traduire, corriger…

Parfois, je leur ai demandé de corriger ou de recommencer une page (quand la phrase en latin ou en grec n’était pas bien lisible), mais c’était souvent d’un commun accord.

Évidemment, les qualités artistiques des uns et des autres étaient parfois limitées mais l’ambiance étant bon enfant, nous en avons souvent ri. 

la première page du livre par des élèves de 5ème

 

On fait le bilan

Quel est le ressenti du professeur ? des élèves ?

La magistra “mala” que je suis est vraiment très fière d’avoir fait faire à ses élèves de la grammaire jusque fin juin. La pratique de l’écriture d’invention en latin ou en grec est vraiment complémentaire du travail quotidien d’apprentissage de la langue. Il a permis à chacun (professeur comme élèves) de repérer ce qui est acquis, ce qui ne l’est pas encore.

J’ai présenté aux élèves présents ce lundi (le 27 juin) le produit terminé. Ils ont adoré le feuilleter, voir ce que les autres groupes ont fait, écrit, dessiné. Ce fut d’ailleurs (sans qu’ils ne s’en rendent compte) un nouvel exercice de  traduction  car ils avaient à cœur de traduire les phrases des autres ! 

De nombreux élèves n’avaient pas bien perçu la notion “collaborative” et inter-classes du projet. Les pages en grec des hellénistes sont une vraie surprise pour les latinistes. 

 

Y-a-t-il eu des difficultés, des surprises ?

Quand deux élèves de 5ème m’ont proposé la phrase “Grumio culina la solanum”, il m’a fallu quelques minutes pour comprendre qu’il s’agissait de la traduction de “Grumio cuisine une pomme”. Ils étaient fiers de se souvenir que “culina  = cuisine”… J’ai assez aisément compris pourquoi ils avaient confondu le nom et le verbe…. mais je ne sais toujours pas pourquoi la pomme est venue  “la solanum” (= une mauvaise herbe)…

Plusieurs groupes se sont littéralement perdus dans les dictionnaires français-latin, mais ça s’est souvent terminé en fous rires car ils y ont trouvé, à défaut, des pages rigolotes.

Les difficultés sont venues des lacunes des élèves.  J’ai pu noter, grâce à cette activité, ce que j’allais devoir reprendre avec chacun d’eux l’an prochain.

  

Pensez-vous mener cette activité à nouveau ? Changeriez-vous quelque chose ?

Le projet est très facilement adaptable, je pense donc le proposer à la veille des vacances de noël (avec pour thème “saturnalia”), et évidemment à la fin de la prochaine année scolaire, toujours en collaboration. Je pense aussi proposer aux futurs élèves de 4ème de faire une version propre à la classe en prolongement d’un texte de Pétrone que nous étudierons vers octobre évoquant une “rencontre avec un loup-garou”. Nous travaillerons alors sur un tome “fabulae mirabiles” (prenant la forme d’un fantôme ?),  avec des histoires un peu plus longues, mais toujours inventées par les élèves, utilisant comme image d’illustration des fresques romaines.

Les élèves étaient fiers de présenter leur travail à d’autres personnels de l’établissement.

 

Si vous souhaitez poser des questions à Magistra Mala, n’hésitez pas à le faire en commentaire de cet article, nous les lui ferons suivre.

Si vous souhaitez vous aussi raconter un de vos cours, n’hésitez pas à prendre contact avec nous.

A propos ju wo

Professeur de français et des options FCA et LCA dans l'académie de Lille. Passionnée de cultures antiques et de langues anciennes et attachée à leur rayonnement et à leur promotion dès l'école primaire. Co-responsable du concours ABECEDARIVM pour l’association ATC.

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