Carthage – #01 : Le souffle de Baal


Rayon : Bandes dessinées
Texte : LASSABLIERE Grégory, DAVID Fabrice
Dessin : DE LUCA Mauro, LUBLIERE Romain
Editeur : Soleil
Site de l'éditeur
Format : 47 pages

Présentation:

Le sang encore chaud de 12 nouveaux-nés s´écoule sur le parvis du Tphet, cimetière sacré de Carthage la Punique. Mais les larmes amères de mères éperdues ne peuvent suffire à  contenir l´enthousiasme d´une foule en ébullition. Un enfant a survécu au rituel mené par les prètres de Baal ! Comme le veut la coutume, il rejoindra le mystérieux et redouté corps d´élite des Enfants de Tanit. Déjà , son nom alimente les plus folles rumeurs… Les augures sont formels, Hamilcar sera l´artisan du renouveau et le bourreau de Rome, cette rivale arrogante qui se fait chaque jour plus menaçante. Sous l´innocente apparence d´un nourrisson ensanglanté couve le feu de la colère des divinités tutélaires de la cité ! Même à  l´abri de ses puissantes murailles, Rome ressentira les effets du souffle de Baal.


Commentaires :
Une BD dans l´air du temps : des couleurs bien trop photoshopées, trop belles pour être vraies, de l´épique trop appuyé (on est dans les secrets des « grands », tout ce que l´on voit du « peuple », ce sont des tavernes, des femmes en passe de vivre de mauvais quarts d´heure…), des dialogues qui sonnent très modernes, et une intrigue à  laquelle on n´arrive pas vraiment à  s´identifier, puisque le seul intérêt de ce tome réside dans le fait de suivre le père d´Hannibal, Hamilcar Barca, en prise à  la noblesse « traître » de Carthage.
Le résumé met l´accent sur le sacrifice des enfants, « détail » qui peut certes faire frémir le lecteur moderne, mais il y avait certainement plus intéressant à  mettre en avant dans une BD qui se veut quelque peu historique. Les scènes de combat sonnent par exemple totalement faux : les uniformes ne sont pas les bons, on se bat avec un gladium comme avec une épée… mais cette dernière critique peut être faite unanimement à  l´ensemble des BDs récentes et anciennes…
Un effort a été fait pour montrer des lieux emblématiques de la Carthage… Les dessins sont précis, mais la mise en couleur avec une prédominance du jaune fatigue assez vite.

La critique de Michel Eloy :

Carthage est une série qui ne saurait laisser indifférent, car aucun de ses protagonistes n´est tout-à -fait bon ni tout-à -fait mauvais. Les événements historiques sont tellement lointains, et le lecteur moyen de toute manière si peu au fait de l´Histoire, qu´il ne prend pas parti si ce n´est en fonction des paramètres de sa propre sensibilité politique. Dirigé par le suffète Hannon, un parti de la paix (et du commerce) s´oppose à  un parti de la guerre (et de la conquête coloniale) dominé par Hamilcar Barca. Le lecteur le moins doué sait ” ou devrait savoir ” que finalement Rome l´emporta, rasa Carthage, massacra ou réduisit en esclavage sa population. Hamilcar avait-il eu raison, ou ” justement ” eut-il tort de s´obstiner à  vouloir régler par les armes le différend qui l´opposait à  Rome ? La question est existentielle !
Pour sa part, le lecteur éclairé sait l´absurdité de cette guerre qui opposa une puissance maritime commerçante à  un minuscule Etat péninsulaire et terrien, peu intéressé de s´étendre au delà  des mers. [ Mais la classe équestre, celle des banquiers romains, était dans ses intérêts liée à  ceux des Grecs de Campanie, les vrais rivaux maritimes des Carthaginois. ]

Difficile de ne pas voir ici une allusion à  l´Amérique bushienne guerroyant en Irak ou en Afghanistan pour s´assurer de ne plus être contredite par personne. Un libre électron de la paix, le sénateur Jolkmar se bat pour empêcher la guerre et le sacrifice à  Baal Hammon de son petit garçon nouveau-né ” le sacrifice molk, coutume barbare qui met Carthage au ban des sociétés civilisées (dixit), âprement défendu par le parti de la guerre, dont il est en somme une métaphore.
Ce faisant, Jolkmar trahit délibérément sa patrie en renseignant les Romains afin de décrédibiliser la guerre. Difficile aussi de ne pas l´identifier à  ces « porteurs de valise » du FLN, qui trahirent leurs propres compatriotes ” civils et militaires ” au nom de leur idéal politique.

Les sentiments exprimés par Jolkmar sont, bien entendu, tout-à -fait actuels. Dans l´Antiquité, aucun citoyen d´une quelconque ville n´aurait songé à  trahir sa patrie pour une simple divergence philosophique, sachant que la mort et l´esclavage était la conclusion normale pour tous les vaincus. A moins, bien sûr, de vouloir s´en venger : après tout, dans les rangs spartiates, Xénophon d´Athènes certes combattit ses compatriotes qui l´avaient exilé…
Pour l´essentiel, ce premier album s´appuie sur la Salammbô de Flaubert (la révolte des mercenaires), tout en prenant soin de s´en démarquer. Mais quel est ce corps d´élite des « Enfants de Tanit », apparemment muets (mais Hannibal, qui en ferait partie, ne l´était manifestement pas), qui ont surmonté une terrible épreuve qualifiante, où beaucoup d´entre eux laissaient la vie ” neuf sur dix ? La BD évoque le sacrifice molk, mais sans nous définir en quoi il consistait : il est vrai que nous en savons peu de choses (*).


(*) Michel ÉLOY, « Moloch-le-Brûlant, un poncif de la barbarie orientale. De G. Flaubert à  J. Martin », in (COLLECTIF), Péplum : l´Antiquité dans le roman, la BD et le cinéma, Actes du 2e colloque international des paralittératures de Chaudfontaine (Liège, 11 13 novembre 1988), Les cahiers des para-littératures, n° 5, Chaudfontaine-Liège, éd. CÉFAL, 1993, pp. 75-183.


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