L’Andalousie Médiévale (711-1492)

ANDALOUSIE MEDIEVALE (711–1492)

 

texte : Jean-Claude Daumas pour “Arrête ton char !”

Principale source : « AL-ANDALUS, le paradis perdu » L’HISTOIRE, n° 364, mai 2011, p. 38-65 [articles de Gabriel MARTINEZ-GROS, Cyrille AILLET, Maurice KRIEGEL].

 

La période des royaumes « barbares » (Vandales, Wisigoths) peut être considérée comme une transition entre l’Antiquité et un Moyen Âge marqué par l’empreinte islamique. 711 est en effet une coupure majeure dans l’histoire de l’Espagne en général et de l’Andalousie en particulier qui a été plus ou moins islamisée pendant 8 siècles

I. EVOLUTION POLITIQUE/MILITAIRE

Huit siècles qui peuvent être décomposés en cinq phases distinctes depuis une conquête foudroyante jusqu’à la disparition totale du pouvoir islamique

 

1°) La conquête musulmane (711-722)

En 711, Tariq Ibn Ziyad avec 10 000 soldats, essentiellement des Berbères à peine islamisés, traverse le détroit de Gibraltar et écrase en juillet, à Guadalete, l’armée du roi Wisigoth Rodrigue. L’Andalousie puis l’essentiel de l’Espagne sont conquis dans les années qui suivent (Saragosse 713, Tarragone 716, Barcelone 719). Par contre, le début des années 720 est marqué par des coups d’arrêt : à Covadonga au pied des montagnes des Asturies et à Toulouse, face à Eudes d’Aquitaine. Le nord montagneux de l’Espagne reste chrétien et la Gaule n’est plus atteinte que par des raids de pillage comme celui que Charles Martel a arrêté à Poitiers en 732.

 

2°) Emirat puis Califat de Cordoue (756-1009/1031)

Seul rescapé des Omeyyades massacrés par les Abbassides à Damas, le prince Abd al-Rhaman se réfugie à Cordoue (755) où il est proclamé émir (756) ; émirat indépendant du califat abasside. En 929, Abd al-Rhaman III devient calife pour contrecarrer l’expansion des Fatimides d’Egypte.

C’est alors l’apogée du califat qui règne sur toute l’Espagne islamisée, contrôle partiellement les royaumes chrétiens du nord (attaqués par Al-Mansour) qui lui fournissent nombre de guerriers mercenaires. Cordoue, sa capitale, est alors la ville la plus peuplée d’Europe avec 150 à 200 000 h. rehaussée de magnifiques monuments.

 

3°) Les royaumes taïfas (1031-1086)

De 1009 à 1031, une guerre civile entre Berbères, Arabes et Européens entraîne la fragmentation du Califat en une dizaine de principautés indépendantes : les Taïfas. L’importance de Cordoue décline alors que croît celle de Valence, Tolède et surtout Séville.

 

4°) Une province almoravide (1086-1143) puis almohade (1156-1269)

En 1085 la prise de Tolède par Alphonse VI de Castille apparaît comme un coup de tonnerre (même si Barcelone (801), Burgos et Zamora (885-888), Coimbra (1064) avaient été reconquise auparavant) : les princes Taïfas font alors appel aux Almoravides, dynastie berbère qui a pour capitale Marrakech. Al-Andalus devient alors une province du royaume almoravide (puis almohade) centré sur le Maroc actuel.

Les Almoravides ne peuvent reprendre Tolède et perdent au début de XIII° siècle Saragosse et la région de l’Ebre. Les Almohades, qui les remplacent en 1156, subissent la défaite décisive de 1212.

 

5°) La Reconquista en Andalousie (1212-1492)

A Las Navas de Tolosa (près de Jaén dans l’est de l’Andalousie), le 16 juillet 1212, la victoire des troupes cette fois unie des rois de Castille, Aragon et Navarre, sur l’armée musulmane annonce l’achèvement de la Reconquista. Les chrétiens reprennent Cordoue (1236), Jaén (1246), Séville (1248), Cadix (1261).

Les musulmans ne conservent que le royaume de Grenade qui résistera encore 2,5 siècles : forteresse naturelle mais lointaine, immensité des territoires reconquis qu’il faut contrôler, aide militaire de volontaires venus du Maghreb. Le royaume des Nasrides, dynastie qui règne sur Grenade et l’embellit (Alhambra = ensemble de palais, mosquées, jardins), ne cèdera qu’à la fin du XV° siècle. C’est une conquête méthodique (destructions de récoltes, sièges de forteresses) sur 10 ans (1482-1492) qui aboutit à l’accord du 15 novembre 1491. Il assure une protection maximale aux musulmans de la ville de Grenade et du massif des Alpujarras ; il sera respecté du moins pendant quelques dizaines d’années.

 

II. SOCIETE et VIE CULTURELLE

L’Espagne musulmane (et chrétienne) est souvent présentée comme un modèle d’« âge d’or » avec une « société multiculturelle tolérante » : réalité ou légende ?

 

1°) VIII° à XI/XII° siècles : tolérance et âge d’or culturel

C’est l’époque de l’émirat/califat de Cordoue qui se continue au moins partiellement par celle des Taifas et de Tolède reconquise.

Au VIII° siècle sont arrivés quelques dizaines de milliers de Berbères et d’Arabes, apportant une nouvelle religion et un nouveau style de vie : l’islam. Pour les Hispaniques, essentiellement chrétiens mais aussi (très minoritairement) juifs, il a fallu s’adapter à leurs nouveaux statuts de dhimmi : liberté religieuse, personnelle et économique en échange de droits restreints et de lourds impôts.

Les chrétiens refusant tout contact avec les musulmans furent rares : à l’image des « martyrs de Cordoue » (850-859) – Euloge et Alvare qui diabolisent l’islam pour contrecarrer son attrait. D’autres à l’opposé se sont islamisés (l’islam devient majoritaire à partir du X° siècle), en premier les élites pour garder leur rôle de direction : mariages de notables musulmans avec des filles de l’aristocratie locale.

La plupart des Hispaniques restés chrétiens se sont peu à peu arabisés : apprentissage de la langue (l’arabe devient majoritaire au XII°siècle, supplantant le « roman andalous ») et adoption du mode de vie musulman (nom, vêtements, nourriture, …) : ce sont les MOZARABES. Les évêques encouragent la traduction en arabe des psaumes, puis de la Bible et des textes de droit canonique (même si le latin reste la langue liturgique) et même de textes profanes ; Des chrétiens arabisés sont utilisés par le califat pour des missions diplomatiques vis-à-vis de l’Occident chrétien : réception/traduction des ambassadeurs à Cordoue, un évêque envoyé auprès d’Otton 1er en 955. Il en est de même pour les Juifs : Hidaï ibn Shaprout (915-975) gère les relations diplomatiques du califat avec l’Occident et Samuel ibn Nagreda (993-1056) fut vizir du roi de Grenade (époque des Taifas) devenant même chef de guerre contre Séville en 1038 et 1056 !

Sur le plan culturel, connaître l’arabe donne accès au savoir antique par l’intermédiaire des lettrés musulmans et de l’immense bibliothèque de Cordoue riche de 400 000 ouvrages. Ecrits des savants musulmans (système de numération indien, …), textes d’Aristote et de Platon, sont ainsi transmis à l’Occident depuis Cordoue et, au XII° siècle, depuis Tolède et ses traductions réalisées par les mozarabes. C’est dans cette ambiance que s’épanouit la culture juive séfarade ouverte aux savoirs profanes (philosophie, sciences, poésie), illustrée par Salomon ibn Gabirol auteur d’un traité néo-platonicien. Séville, Cordoue Grenade (Tolède, Saragosse) abritent les communautés juives les plus florissantes.

En fait tout cela ne concerne qu’une toute petite minorité, sans influence sur une culture centrée sur l’Orient, trait qu’on retrouve aussi dans le domaine des arts. Plus généralement, chrétiens et juifs sous domination musulmane (tout comme juifs et, plus tard musulmans, sous domination chrétienne) ont un statut de « protégés » avec nuance péjorative (infériorité juridique). Chacune des deux cultures dominantes (islam, christianisme) ne sont tolérantes que dans la mesure où il leur est impossible de faire disparaître (exil, conversion réelle) les autres, vue l’importance numérique des groupes minoritaires. Cette tolérance obligatoire est plus le fait des élites (intérêts économique, financier, diplomatique) que du peuple antisémite, antimusulman (antichrétien ?) selon les cas, par rivalités religieuse et économique.

La période suivante le démontre parfaitement tout comme le destin de l’un des plus grands penseurs de toute l’histoire de l’islam : AVERROES (1126-1198). Né dans une famille de juristes de Cordoue, il est d’abord cadi puis médecin, avant de devenir le commentateur savant des œuvres d’Aristote qu’il a fait connaître dans toute son ampleur aux Occidentaux. Ayant vécu à la charnière des deux périodes, il finit sa vie disgracié par les Almohades.

 

2°) XI/XII° à XVI/XVII° siècles : l’époque des intolérances

La prise de Tolède par les chrétiens (1085) entraîne les premières représailles ; elles s’accentuent à partir de 1150 suite à l’arrivée des Almohades qui persécutent chrétiens et juifs : c’est la fin du pacte de la dhimma. Les conversions forcées à l’islam pour les juifs entraînent les pratiques religieuses clandestines ou l’émigration vers les royaumes chrétiens au nord de l’Andalousie où règne – jusqu’au XIV° siècle – la tolérance envers juifs et MUJEDARES (musulmans en terres redevenues chrétiennes à la suite de la Reconquista). Mais le pogrom (massacre de juifs) qui commence à Séville en 1391, entraîne la conversion forcée au christianisme des conversos plus rarement leur exil. L’Inquisition s’installe en Andalousie en 1478 et finit par obtenir, en 1492, de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille le décret d’expulsion [1298 en Angleterre, 1348 en Allemagne, 1182, 1306, 1321, 1394 en France]. 150 à 200 000 Juifs quittent alors l’Espagne ; les restants (50 000 ?) deviennent des MARRANES forcément suspects et qui migrent rapidement au Portugal.

Peu après, ce fut le tour des musulmans qui, eux, choisissent en masse de rester en se convertissant au christianisme : ce sont les MORISQUES. Une conversion forcée à laquelle ils résistent en refusant confession, messe et sacrements (lavage énergique du front des enfants ou des deux époux après avoir subi baptême ou mariage à l’église), en affichant ostensiblement un mode de vie non chrétien et même en aidant la piraterie « barbaresque » sur le littoral méditerranéen d’Andalousie. Unanimement rejetés par la population espagnole, 250 à 300 000 morisques sont chassés d’Espagne (essentiellement d’Andalousie) entre 1609 à 1613 : ce sont d’excellents agriculteurs qui gagnent le Maroc et la Tunisie où leur trace est encore visible dans l’architecture si particulière des maisons de Sidi Bou-Saïd à Tunis [voyage latinistes diois 2007].

EPILOGUE : l’autre 1492

1492, c’est aussi le premier voyage de Christophe Colomb (parti de Palos de la Frontera, petit port voisin de Huelva), début de l’aventure coloniale espagnole. Séville devient au XVI° siècle le grand port de l’Espagne par où affluent les (fausses ?) richesses venant de l’Amérique espagnole (or et argent) controlées depuis 1503 par la Casa de contratacion.. Evénement dont le demi-millénaire fut commémoré par l’exposition internationale de Séville en 1992.

L’Andalousie fut un des tombeaux de l’ambition de Napoléon : Trafalgar (octobre 1805) au large de Cadix, puis Bailén (1808) à proximité de … Las Navas de Tolosa. [Séville 8 juillet 1982]. C’est enfin par le détroit de Gibraltar que débarquèrent les troupes putschistes de Franco en 1936 …

A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

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