La phrase latine du mois : Mens sana in corpore sano
par Estelle Debouy
En ce début d’année, vient le moment des bonnes résolutions. Pourquoi ne pas adopter celle-ci qui nous vient de Juvénal, Mens sana in corpore sano ? Cette sentence, bien connue, est souvent aujourd’hui détournée de son sens premier, puisqu’on l’emploie pour exprimer que la santé du corps est une condition importante à la santé de l’esprit. Or, quand Juvénal l’emploie dans ses Satires, x, 356-366, c’est pour montrer que l’homme vraiment sage est celui qui ne demande aux dieux que la santé de l’âme avec la santé du corps :
Orandum est ut sit mens sana in corpore sano. […]
Monstro1 quod ipse tibi possis dare ; semita certe
Tranquillae per uirtutem patet unica uitae.
Nullum numen2 habes, si sit prudentia : nos te,
Nos facimus, Fortuna, deam caeloque locamus.
Proposition de traduction :
Ce qu’il faut demander, c’est un esprit sain dans un corps sain. […] Je désigne là ce qu’on peut se donner à soi-même ; une vie tranquille n’a assurément qu’un sentier, celui qui passe par la vertu. Tu n’as aucun pouvoir, Fortune, à condition que nous ayons du discernement : c’est nous, oui nous, qui te faisons déesse, et qui te donnons une place au ciel.
D’ailleurs Virgile vante une jeunesse rompue aux exercices physiques : « Devant la ville, des enfants, toute une jeunesse dans la fleur de l’âge s’exercent sur des chevaux, domptent des chars dans la poussière, d’autres tendent des arcs nerveux ou brandissent avec vigueur des dards qui vibrent ; ils se préparent à la course et au combat. » (Énéide, VII, 162-165)
Un peu d’étymologie :
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- l’adjectif verbal orandum vient du verbe oro, -are, -aui, -atum (demander, prier) qui a donné notre nom « oraison »
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- le nom mens, qui désigne la faculté intellectuelle, l’intelligence, l’esprit, est à l’origine de toute la famille des noms ayant pour radical men- : mental, mentalité, mentalement, etc.
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- pateo, -ere, patui signifie « être ouvert, être praticable ». C’est le sens figuré « être évident, être patent » que notre langue a conservé.
Cet adage a souvent été repris, notamment par les penseurs de la Renaissance qui renouent avec les auteurs de l’Antiquité. Ainsi Montaigne, dans les Essais, I, 26, résume ce plaidoyer pour l’homme total en ces termes :
Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme ; il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également comme un couple de chevaux attelés à un même timon.
Il fut aussi parodié, par exemple par Rabelais chez qui on lit Mens sana non potest uiuere in corpore sicco, « une âme saine ne peut vivre dans un corps sec » [c’est-à-dire qui ne boit pas].
1Pas de confusion : il s’agit de la 1re p. sg. du verbe monstro, -are, -aui, -atum, montrer, indiquer.
2Le numen désigne littéralement le mouvement de la tête manifestant la volonté, d’où la volonté. Il est employé ici pour qualifier la puissance divine.
Pour aller plus loin :
Cette chronique est adaptée de Ipse dixit! Le latin en bref d’Estelle Debouy
Dans ce livre, Estelle Debouy souhaite laisser la parole aux auteurs latins : ainsi, plutôt que de lui faire réviser des règles de grammaire, elle propose au lecteur qui a le désir de perfectionner son latin, de se replonger dans la lecture des grands auteurs de l’Antiquité latine. À travers la lecture bilingue de proverbes latins en contexte, ce livre permettra au lecteur de se remettre de façon plaisante à l’apprentissage de la langue.