est une atteinte profonde à notre professionnalisme.
La teneur méprisante de cette phrase fait écho aux propos des membres du cabinet de notre ministre, qui, lorsqu’ils ont reçu les représentants des associations disciplinaires de langues anciennes, leur ont reproché de ne pas rendre leurs enseignements suffisamment “sexy” (je cite le CR envoyé par la CNARELA).
Dans les deux cas, cela montre de la part du ministère une méconnaissance abyssale du dossier des langues anciennes. N’ont-ils pas lu le rapport Klein Soler de 2011, n’ont-ils aucune espèce de conscience des changements en cours dans l’approche de nos enseignements?
Si l’on en croit ces propos (des propos de perron tenus à un journaliste, non des propos d’analyse et de réflexion, précisons-le. Le jargon journalistique actuel appelle cela des “éléments de langage”), il y aurait un avant la réforme, au cours duquel un professeur austère inflige de la grammaire latine et de la traduction à ses élèves qui, terrassés par la charge, soufflent comme des bœufs et s’ennuient.
Car fatalement, lorsqu’on travaille la langue et la grammaire, on entre peu à peu, pas à pas, à son rythme, dans une compréhension plus précise, plus intime de la civilisation. Et par ricochet, par retour sur soi, sur ses habitudes, sur sa culture, son mode de vie ainsi remis en cause et interrogé, on se connaît mieux soi-même.
Plus fondamentalement, la rage des débats actuels autour des langues anciennes a aussi, à mon sens, une dimension symbolique, peut-être de deux ordres:
1) Le symbole de “l’ancien secondaire”:
Il faut remonter à l’article “Latin” du dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson et alii (2ème édition) pour tenter, peut-être, d’y voir un peu plus clair:http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3028Le début de l’article fait écho à des débats et des revendications encore actuels:
Est-ce à dire cependant que la connaissance du latin soit indispensable à ceux qui doivent enseigner le français, et que l’intelligence du mécanisme grammatical de notre langue, et de ses étymologies, exige absolument une étude préalable de la langue latine? Non, heureusement. Il est possible de suppléer dans une certaine mesure à la connaissance directe du latin pur celle du français lui-même, étudié par la méthode historique dans ses origines et dans ses transformations successives.”
Ce texte me semble important à rappeler car il délimite encore les camps que l’on voit s’affronter aujourd’hui. Même si elle est jugée importante, la connaissance de la langue latine n’est pas vue comme nécessaire pour les étudiants des écoles normales, c’est-à-dire les futurs instituteurs. Le latin (le grec n’est même pas évoqué) est laissé du côté des professeurs du secondaire, il ne reste la discipline distinctive par excellence, celle de la différenciation d’avec les instituteurs, qui ne sont pas dans un premier temps leurs “collègues”, puisque les statuts et niveaux de recrutement sont très différents.
Nous avons encore un écho de ces deux paragraphes de James Guillaume dans les textes de Jean-Michel Zakhartchouk, sur son blog ou dans les Cahiers Pédagogiques, textes dans lesquels il juge que la connaissance du latin n’est pas utile pour l’enseignement du français.
L’opposition tracée par la ministre dans son propos, ainsi que la demande de son cabinet de rendre l’enseignement des langues anciennes “sexy” participent de cette opposition symbolique entre primaire et secondaire: les langues anciennes, marques du secondaire, doivent disparaître en tant que disciplines autonomes du nouveau collège parce qu’elles sont le symbole de cette école de l’ancien temps, et sont perçues -à tort- comme incompatibles avec cette culture commune de l’école fondamentale issue du primaire.
2) Le symbole de l’enseignement grammatical:
Les propos de notre ministre insistent aussi sur l’aspect grammatical de l’enseignement du latin et du grec, et cette insistance, doublée de l’injonction à être “sexy”, ne me paraissent pas innocentes.
L’identité professionnelle des enseignants de langues anciennes comprend, de manière indubitable, la question de l’accès au texte. La lecture personnelle par l’élève du texte authentique d’auteur est le but annoncé de l’enseignement des langues anciennes, car tous les professeurs s’accordent à dire que c’est par cette fréquentation personnelle du texte que l’élève accède à la culture antique. Les débats internes à la discipline portent sur la question des moyens pour atteindre ce but (passage par le texte authentique ou non, pédagogie actionnelle de type LV, apprentissage par cœur ou imprégnation linguistique…).
Mais, de l’extérieur, le latin et le grec, langues flexionnelles, sont intimement liées à l’apprentissage par cœur des déclinaisons, et donc d’une certaine terminologie grammaticale.
Or, c’est autour de la nécessité, de la place et de la teneur de la terminologie grammaticale en français que se jouent les intenses débats autour de l’enseignement de la grammaire, débats que l’on peut encore voir aujourd’hui avec la parution des propositions de programme.
Le latin, symbole d’une certaine grammaire, de la grammaire scolaire de la IIIème république, du par-coeur de la déclinaison, est une nouvelle fois sur la sellette de ce fait.Conclusion:Les propos de notre ministre servent donc un plan de communication bien huilé. Il faut montrer que le latin et le grec sont incompatibles avec le projet ministériel de nouveau collège. Quitte à ne pas être au courant de l’évolution des pratiques et à laisser planer le doute sur le professionnalisme des enseignants de langues et cultures de l’Antiquité qui, donc, n’appliqueraient pas les programmes en vigueur.
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