Interview d’Émilie SUTER, déléguée départementale aux Langues Anciennes de Lausanne en Suisse

 

 

     En novembre 2021, Cesla AMARELLE, alors cheffe du Département de la formation et de l’enseignement professionnel, a lancé, pour 2021-2025, un ambitieux plan d’action pour la valorisation des Langues Anciennes. Le 4 novembre 2022, avaient lieu à l’Université de Lausanne, les premières Assises de l’Antiquité, organisées par Sylvie KAIRIS GRASSET (EPS du Belvédère), Antje KOLDE (HEP), Danielle van MAL-MAEDER (UNIL), et Émilie SUTER, déléguée départementale aux langues anciennes.

Arrête Ton Char a eu le grand honneur d’être convié, en la personne de son président, Robert Delord, pour la première allocution de ces Assises. Notre association souhaite à la fois s’inspirer de ce modèle suisse pour émettre des propositions pour l’enseignement des Langues Anciennes en France, mais également poursuivre et renforcer les échanges avec nos collègues Helvètes.

Aussi avons-nous le plaisir de vous proposer ci-dessous une interview d’Émilie SUTER, enseignante de latin au Gymnase (équivalent suisse de notre lycée) du Bugnon de Lausanne, en charge de ce plan d’action pour les Langues Anciennes.

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ATCÉmilie SUTER, parlez-nous un peu de vous et racontez-nous comment vous êtes devenue enseignante de latin et déléguée départementale aux langues anciennes.

Émilie SUTERQuand j’étais enfant, j’avais trois vœux : jouer du violon, habiter à la campagne… et être institutrice ! Même si je n’ai pas réalisé mes deux premiers espoirs (sans regrets d’ailleurs !), je me sens comblée dans ma vie professionnelle. Quelle chance j’ai eue de me sentir appelée par cette profession et de n’avoir jamais eu besoin de réfléchir au métier que je souhaitais exercer !

Et puis le latin… Là aussi, une évidence, tant l’étude de cette langue et de la civilisation romaine m’a passionnée dès mon plus jeune âge.

Enseignante depuis 20 ans dans le canton de Vaud, en Suisse romande, j’ai travaillé dans un collège lausannois pendant 6 ans, avant d’être engagée au Gymnase du Bugnon. Latin, culture antique et français : voici les cordes à mon arc.

Depuis 2013, motivée à m’engager dans différents projets en lien avec l’enseignement du latin dans le canton, je suis nommée présidente de la file cantonale de latin (un poste administratif permettant quelques initiatives pédagogiques et institutionnelles).

En 2021, Cesla Amarelle, alors Cheffe du département de la formation et ancienne latiniste, décide d’un plan d’action pour la valorisation des langues anciennes. Elle pense à moi comme déléguée afin d’accompagner la bonne mise en place de ce plan. Dans ce cadre, les enseignant·e·s de grec et de latin, soutenu·e·s par la hiérarchie scolaire, ont quatre ans pour gagner en visibilité et engager différentes démarches favorables à leur enseignement. Une « fenêtre de tir » exceptionnelle que nous apprécions à sa juste valeur !

ATCPourriez-vous nous dresser un état des lieux de l’enseignement du latin et du grec ancien en Suisse pour les collègues français qui ne connaîtraient pas la situation des langues anciennes chez leurs voisins suisses ? 

Émilie SUTERLa situation de l’enseignement du latin et du grec différant selon les cantons, je me limiterai ici à présenter celle du canton de Vaud.

Pour le Latin :

Au collège (ou secondaire 1) :

  • 3 ans de formation, entre 12 et 15 ans environ (9e, 10e et 11e années)
  • Latin en Option spécifique1 pour les élèves en Voie Prégymnasiale2
  • 4 périodes de 45 minutes / semaine
  • Examen de fin d’études obligatoires, intitulé « Certificat de fin d’études secondaires »
  • En 2022, 1326 élèves dans le canton (environ 10% des élèves de Voie Prégymnasiale)
  • En 2022, 79 enseignant·e·s (dont 49 enseignent uniquement le latin et 30 enseignent le latin et le grec)

Au gymnase (ou secondaire 2) :

  • 3 ans de formation, entre 15 et 18 ans environ (1e, 2e et 3e années)
  • Latin en Option Spécifique : 4-5 périodes de 45 minutes / semaine
  • Latin en Langue 3 : 3 périodes de 45 minutes / semaine
  • Examen de baccalauréat ou « de maturité »
  • En 2022, 10 enseignant·e·s

Pour le Grec ancien

Au collège (ou secondaire 1) :

  • 2 ans de formation, entre 13 et 15 ans environ (10e et 11e années)
  • Cours facultatif pour les élèves en Voie Prégymnasiale (ou en Voie Générale)
  • 3 périodes de 45 minutes / semaine
  • Pas d’examen pour ce cours facultatif
  • En 2022, 641 élèves dans le canton (environ 5 % des élèves de Voie Prégymnasiale)
  • En 2022, 46 enseignant·e·s (dont 16 enseignent uniquement le grec et 30 enseignent le latin et le grec)

Au gymnase (ou secondaire 2) :

  • 3 ans de formation, entre 15 et 18 ans (1e, 2e et 3e années)
  • Grec en Option Spécifique : 4-5 périodes de 45 minutes / semaine
  • Grec en Langue 3 : 3 périodes de 45 minutes / semaine
  • Examen de baccalauréat, ou « de maturité »
  • En 2022, 3 enseignantes

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ATCQuelle est votre mission en tant que délégué départementale aux langues Anciennes ? Et quels projets vont être mis en place dans le cadre de votre plan d’action pour la valorisation des Langues Anciennes ?

Émilie SUTEREngagée par le Département en août 2021 pour 4 ans à temps partiel (théoriquement, à raison d’une journée et demie par semaine ; dans les faits, je ne compte pas mes heures…), je suis chargée de coordonner les différents groupes de travail mettant en place le plan d’action (cf. document joint). Je suis aussi la porte-parole des enseignant·e·s de langues anciennes auprès de nos hiérarchies et du grand public.

A l’heure actuelle, voici les projets que différents groupes de travail ont déjà réalisés :

  • Pour améliorer l’information donnée aux élèves et à leurs parents, nous avons mis en place le contenu d’une courte vidéo servant à présenter le latin dans les classes de 8e année (élèves de 12 ans environ) : https://vimeo.com/681816386/e163d10c9e
  • Au printemps 2022, nous avons organisé un grand concours cantonal, sur le thème de la santé et de la médecine dans l’Antiquité. Sur base volontaire, les latinistes et hellénistes de 10e et 11e années pouvaient présenter un projet de leur choix (pièce de théâtre, jeu de plateau, escape game, vidéo, herbier, …). 28 classes se sont inscrites : un très grand succès ! Départagés au cours de 5 demi-finales ayant eu lieu dans différents gymnases du canton (où les élèves plus âgé·e·s du secondaire 2 intervenaient dans le cadre de petits sketchs théâtraux), les 5 meilleurs projets ont ensuite été défendus en une grande finale, face à un parterre d’invité·e·s remarquables : parents, autorités scolaires, enseignant·e·s du secteur tertiaire (université et haute école pédagogique) et presse locale. Une soirée très réussie, proportionnelle à l’important engagement des élèves et de leurs enseignant·e·s. Les projets se sont révélés magnifiques et enthousiasmants !
  • Au gymnase, nous avons mis en place de cours facultatifs de culture antique : suite à une réforme dans le plan d’études pour les élèves du secondaire 2 en École de culture générale, le cours de culture antique a été supprimé. Un cours facultatif le remplace. Il a fallu s’assurer qu’il puisse être proposé par des enseignant·e·s qualifié·e·s dans tous les établissements.
  • Pour inciter les classes à se rendre dans les musées et à visiter les nombreux sites archéologiques du canton de Vaud, j’ai dressé, avec l’aide de partenaires spécialisées dans la médiation scolaire, une liste d’activités culturelles proposées en lien avec l’Antiquité. Le but était de mettre à disposition des enseignant·e·s un outil clé en main pour leur faciliter l’organisation de sorties (objectif inscrit dans notre plan d’études).
  • Bénéficiant du soutien de nos hiérarchies (DGEO, DGEP, UNIL et HEP), les « Assises de l’Antiquité » (le 4 novembre 2022) ont permis la rencontre d’environ 90 enseignant·e·s de langues anciennes et de culture antique. Les objectifs de cette journée étaient de créer des liens entre collègues des 4 degrés d’enseignement et de réfléchir à notre enseignement. Nous avons ouvert notre horizon en écoutant les interventions de Robert Delord, président d’« Arrête ton char », et d’Andrea Taddei (Université de Pise). Avec Anne Bielman (Université de Lausanne), nous avons aussi réfléchi aux questions soulevées par le courant de la cancel culture et avec Justin Favrod (éditeur du magazine « Passé simple ») à la manière de vulgariser les connaissances sur l’histoire locale auprès du grand public. Nous avons chanté des tubes actuels traduits en latin par notre collègue Denis Lefebvre et nous avons assisté à une performance théâtrale des étudiant·e·s de l’université de Lausanne. Une journée stimulante et enrichissante de teambuiding qui a ravi et intéressé les participant·e·s !

Projets en cours :

  • Dans l’idée d’améliorer la fréquentation des cours facultatifs de grec au collège, la Commission de coordination des langues anciennes a mis sur pied un groupe de travail dans le but de réaliser un sondage portant sur la forme et le fond de ces cours. Selon les réponses de nos collègues (l’analyse des résultats est en cours), nous étudierons la nécessité (ou non) de réformer cet enseignement et/ou de changer de manuel.
  • La Direction pédagogique a également détaché plusieurs enseignant·e·s dans le but de créer des plateformes numériques, à l’intention des élèves comme des enseignant·e·s. Celles-ci auront pour buts de faciliter le partage de documents, l’accès à des versions numérisées des manuels d’enseignement, la communication entre collègues. S’y trouveront aussi des liens vers des sites utiles à notre pratique professionnelle, ainsi que des propositions de lectures et d’activités culturelles. En bref, il s’agira d’outils facilement accessibles et d’une vitrine pour mettre en valeur nos activités.

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ATCQuels espoirs fondez-vous dans cet ambitieux plan d’action pour les Langues Anciennes ?

Émilie SUTERNous pouvons considérer que, dans l’ensemble, nous avons de la chance de travailler dans le canton de Vaud !

Nous sommes soutenus par nos autorités scolaires et nous sentons que nos projets sont valorisés. Espérons maintenant que cette confiance se répercute sur les effectifs de nos classes ! En 2025, lorsque le plan d’action arrivera à échéance, le canton de Vaud comptera-t-il plus de latinistes et d’hellénistes ? A suivre dans un prochain épisode !

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Notes :

1 Discipline obligatoire, à choisir entre 4 possibilités :1) latin, 2) italien, 3) économie et droit, 4) maths et physique 

2 Elèves se destinant à des études gymnasiales

A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

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