On a entendu ces dernières semaines beaucoup de critiques autour du film Gladiator II et de son réalisateur, Sir Ridley Scott.
Et force est de constater que certaines de ces critiques sont méritées, tant du point de vue scénaristique que du point de vue historique.
Cependant, il faut, je pense, essayer de considérer Gladiator II pour ce qu’il est : un blockbuster américain de 250 millions de dollars et non un documentaire historique et scientifique.
Parce que les états du nouveau monde comme de l’ancien n’investissent plus dans l’enseignement des Langues et Cultures de l’Antiquité qu’ils jugent souvent obsolètes alors même que la jeunesse n’a jamais été aussi friande de cette période, l’industrie des biens culturels (films, séries, jeux vidéos, BD, littérature jeunesse…) s’en est largement emparé.
Et c’est justement pour ne pas laisser la main à cette industrie du loisir qui fait de l’Antiquité un produit qu’elle est prête à vendre par tous les moyens en véhiculant clichés, idées reçues, anachronismes et autres erreurs historiques, archéologiques et linguistiques, que les spécialistes de l’Antiquité doivent s’emparer des productions comme Gladiator II.
Il ne s’agit pas de rejeter en bloc ce type de productions devant lesquels bon nombre de spectateurs auront certainement passé un moment, mais de dire à nos élèves, à nos étudiants et même au grand public : passer un bon moment, se distraire, cela ne veut pas forcément dire se vider la tête, mais au contraire se montrer critique, se remplir la tête en confrontant ces “produits culturels” que nous consommons aux données de la recherche scientifique. C’est prendre le temps de vérifier ce qui est une information et ce qui n’en est pas une.
Les commentaires du film ci-dessous ne visent pas à l’exhaustivité et n’ont d’autre ambition que de faciliter pour les enseignants et pour leurs élèves ce travail d’esprit critique. Jacques-Planchon, mon ami archéologue et conservateur du Musée de Die et du Diois avec lequel j’ai travaillé sur ces quelques notes, et moi-même espérons qu’elles vous seront utiles.
FORCE ET HONNEVR 😉
R. Delord
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I) HISTOIRE
1) Lucius Verus Aurelius
– Le héros du film est le neveu de Commode dans le 1er opus de Gladiator. Exilé en Égypte (voir la scène où Lucius enfant joue au foot devant les pyramides) puis en Numidie, il est capturé vingt ans plus tard lors d’une attaque romaine, ramené en tant qu’esclave et vendu comme gladiateur comme son père Maximus (Oui, je suis ton père, Luc(ius) !).
– En réalité, le neveu de Commode se nomme Lucius Aurelius Commodus Pompeianus. Sa mère Lucilla est exécutée alors qu’il n’est âgé que de 5 ans, en représailles au complot d’attentat raté contre Commode auquel elle a participé. Lucius, fils d’un général de l’empereur Marc Aurèle est tribun d’une légion stationnée à Lyon. Il devient Consul en 209 mais est assassiné à 35 ans sur ordre de l’empereur Caracalla qui vient d’assassiner Geta, son frère et coempereur. Caracalla aurait fait croire qu’il avait été assassiné par des bandits.
– À la fin du film on lui attribue de façon très exagérée le titre de “prince de Rome”.
2) Marcus Justus Acacius
– N.B. : Le Général Marcus Justus Acacius, ancien officier de Maximus Decimus Meridius (le vrai Gladiator joué par Russell Crowe) est une pure invention scénaristique.
– 47’ : On nous dit qu’Acacius prépare un putsch avec 5000 soldats stationnés à Ostie c’est à dire une légion sans génie ni auxiliaires ni ailes de cavalerie (voir nos remarques consacrées à l’armée)…
3) Lucilla
– Annia Aurelia Galeria Lucilla, dite Lucilla est la fille de Marc Aurèle, épouse de Lucius Verus, et soeur de Commode, mais elle a été exécutée par ce dernier en 182 pour complot, c’est à dire 14 ans avant le moment où est censée commencer le film.
– Dans le film, on nous dit que Lucilla a été mariée à Verus à l’âge de 14 ans. Petit problème de calcul : elle est née le 7 mars 149 et s’est mariée en 164. Elle avait donc 15 ans au moment du mariage et non 14. Si l’erreur est volontaire, l’intention était peut-être de rajeunir Lucilla pour choquer le public américain habitué à une majorité sexuelle établi entre 16 et 18 ans en fonction des états.
4) Geta et Caracalla
– Introduction du film : “16 ans après la mort de Marc Aurèle”. Cela nous amène donc en 196 p.C. Or Caracalla règne seulement à partir de 198 p.C. et Geta est officiellement coempereur seulement à partir de 209 p.C. Les calculs ne sont pas bons, Ridley !
– Geta et Caracalla sont appelés les “empereurs jumeaux”. Ils ne sont pas vraiment jumeaux, tous les deux fils de Septime Sévère et de Julia Domna, Caracalla, l’aîné, naît le 4 avril 188, Geta, le 7 mars 189.
– De plus, contrairement au risque de chute de l’empire évoqué dans le film, Septime Sévère, un des meilleurs empereurs romains a laissé à Caracalla et Geta un empire plutôt prospère aux dires des historiens.
– Caracalla est présenté comme un empereur fou, tyrannique, malade, alors que les historiens actuels ont plutôt tendance à réhabiliter son œuvre politique et militaire (l’édit de Caracalla en 212, par exemple, offre la citoyenneté à des millions d’hommes dans tout l’empire).
Dans l’Antiquité, Dion Cassius, historien et sénateur grec qui n’aimait pas Caracalla en dresse un portrait sévère. C’est peut-être cette source qui a inspiré les scénaristes qui ont en tous cas beaucoup forcé le trait.
– Le film évoque la volonté de l’empereur Geta de conquérir la Perse et l’Inde ce qui n’est pas le cas, en revanche Caracalla admirait et cherchait à imiter Alexandre le Grand.
– Le film insiste lourdement sur le fait que c’est Geta qui a l’ascendant sur son frère et dirige en fait à sa place, en oubliant que Caracalla est l’aîné.
– 1’01’53 : Caracalla est vêtu dans une tenue “décadente”, en fait il s’agit d’une tenue byzantine du Ve-VIe s.
– 1’45’30 : Geta explique que son frère Caracalla a une infection à l’entrejambe qui s’est étendue à son cerveau, la syphilis, or cette MST n’est apparemment pas connue sur le continent européen avant Christophe Colomb, soit douze siècles plus tard.
– Contrairement au film qui montre Macrinus assistant Caracalla dans l’assassinat de son frère, nous savons que Geta a été assassiné de la main de son frère, dans les bras de sa mère, qui, au passage, a été blessée à la main par le glaive qui a tué son fils. S’en est suivi, une damnatio memoriae de Geta.
– 1’52’40 : Caracalla nomme son singe Dondus premier consul : référence à Caligula et son cheval Incitatus nommé consul selon Suétone, ce qui renforce le cliché des empereurs fous voulu par le scénario. Macrinus est désigné second consul. Rappel : les consuls sont normalement sur un pied d’égalité.
5) Macrinus
– Macrin en laniste ? C’est le Préfet du Prétoire de Caracalla, le commandant de la garde prétorienne (dont il a d’ailleurs fait partie au début de sa carrière), les soldats d’élite de Rome ! Difficile de l’imaginer dans une arène en bois à Antium/Anzio, dans le Latium, au sud de Rome.
– On apprend de la bouche d’un autre personnage qu’il veut devenir sénateur. Soit.
– 55’45 : Le présentateur des jeux annonce Anno comme le gladiateur de Macrinus de Thysdrus (cité fondée par les Puniques, dans ce qui correspond à l’actuelle Tunisie, aux portes du Sahel). Le véritable Macrinus est quant à lui originaire de Césarée de Maurétanie, une ville antique sur la côte de l’Algérie.
– 1’08’39 : Macrinus dit avoir été soldat de Marc Aurèle en Afrique : malgré de nombreux conflits, pas un seul sur ces territoires durant ce règne (le plus proche, révolte en Egypte en 171-172).
– 1’56’35 : Macrinus se présente à Lucilla comme un ancien esclave de son père Marc Aurèle (il lui montre la marque au fer qu’il a sur la poitrine (voir remarque sur le marquage au fer des esclaves plus bas) alors qu’il disait à peine 50 minutes plus tôt qu’il avait servi dans l’armée romaine aux côtés de Marc Aurèle.
– Rappelons que le Macrin historique appartient au rang équestre qui, dans la hiérarchie romaine, arrive juste après le rang sénatorial.
6) Il voulait revoir sa Numidie…
– Le film présente une guerre entre la Numidie et Rome en 200 p.C. : c’est faux, la guerre de Jugurtha qui oppose Rome à la Numidie a eu lieu entre 112 et 105 avant J.-C. (300 ans avant le règne de Caracalla !!!)
– Une hypothèse à cette grossière erreur serait la mauvaise interprétation de la création d’une province nommée Numidie par Septime, qui légalise une semi-autonomie d’un territoire romain depuis longtemps inclus dans la province d’Afrique proconsulaire. Pas de conflit, c’est juste une évolution administrative.
– 11’00 : Au tout début du film, on découvre un fort numide en bord de mer à flanc de rochers : c’est possible géographiquement et géologiquement vers Annaba/Bône/Hippone/Hippo Regius (Algérie), en Numidie sévérienne. Historiquement, en revanche… La double enceinte est librement inspirée de celle de Constantinople, construite un siècle plus tard. Les toitures des tours, en ardoise de surcroît, semblent peu réalistes.
– De plus, une attaque navale du fort numide est une stratégie stupide et inutilement risquée que les Romains n’auraient pas tentée. Dans une situation pareille, l’armée romaine établit un siège devant la cité en attendant la reddition de l’adversaire privé d’eau et de nourriture et établit éventuellement un blocus maritime avec ses navires.
– Enfin, les populations indigènes de Numidie, donc d’Afrique du nord (des Berbères), sont représentées, Jugurtha le premier, avec la peau noire des populations d’Afrique sub-saharienne, alors qu’ils avaient certes le teint halé, mais beaucoup plus clair. Peut-être faut-il y voir la volonté d’établir un parallèle avec la traite des esclaves (mais c’est aussi le résultat d’une politique de discrimination positive menée par Hollywood : rien à voir avec l’Antiquité).
– Dans le film, Jugurtha est capturé et tué dans l’arène d’Antium, petite ville côtière du sud de Rome. Dans l’Antiquité, les chefs ennemis défaits étaient exhibés à Rome comme des trophées durant la procession triomphale derrière le char du général romain victorieux.
7) L’Armée romaine
– 11’00 : Des tours d’assaut sur les navires de guerre romains :
– Il s’agit certainement une confusion avec les “tourelles” présentes sur certaines représentations de navires de guerre romains sur lesquels étaient installées les armes de traits, scorpions ou balistes.
– Les naufrages de navires de guerre romains n’étaient pas rares et un tel dispositif de tours d’assaut hautes et pesantes, n’aurait pas arrangé la stabilité des navires.
– En revanche, les navires romains étaient équipés d’un système d’abordage surnommé “corbeau”.
– La scène présentant le général Acacius qui s’élance en premier à l’assaut de la forteresse numide (sans son casque qu’il perd opportunément en cours de route pour qu’on puisse plus facilement identifier le personnage principal) est très peu vraisemblable.
– Les cimiers et le capes des soldats prétoriens sont entièrement violets (ils l’étaient déjà dans le 1er opus de Gladiator, mais les prétoriens n’avaient pas de cimiers et leur capes étaient d’un violet plus sombre) : peut-être faut-il y voir mauvaise interprétation du mot pourpre.
Les prétoriens de Gladiator II (2024)
Les prétoriens de Gladiator (2000)
– 1’59’40 : Comment justifier le cantonnement d’une légion / d’une armée à Ostie (non sens) ; Il est impossible pour un civil de basse caste de pénétrer sans autorisation, pire à cheval et encore pire au galop dans un camp romain, ni de pousser le garde en faction devant le prétoire !
– 2’00’38 : étendards romains triangulaires façon fanions médiévaux : impossible sauf éventuellement s’il s’agissait d’auxiliaires, mais ce n’est pas le cas ici.
– 2’12’00 : Lors de la confrontation finale, les deux armées sont accompagnées de cavaliers tous équipés d’étriers qui n’existaient pas alors.
– 2’13’00 : Macrinus qui frappe en vain à plusieurs reprises sur la cuirasse de Lucius avec la pointe de son glaive (bruits de chocs métalliques).
– Une erreur classique dans les péplums. En effet, les cuirasses de combat sont en cuir et pas en métal. On réserve le métal aux cuirasses d’apparat qui pèsent entre 10 et 20kg et ne permettent pas de combattre.
8) Politique
– 43’40 : Macrinus à l’empereur au sujet d’Anno après le combat privé qu’il vient de remporter chez le sénateur Thraex : “il vient des colonies”. Même le terme “provinces” serait erroné. Le sens des mots a changé depuis l’Antiquité, où “colonia” est le statut juridique territorial le plus élevé.
– 1’30’45 : Macrinus “crucifixion” pour les voleurs, les chrétiens” ??? Réservé normalement aux non-citoyens.
– 1’43’14 : Macrinius à Anno : “Aurais-tu du sang bleu ?” (how blue is your blood) formulation anachronique, même si “le concept” existe déjà
– Les bandes des toges laticlaves réservées aux sénateurs trop sombres, presque noires. Elles devraient être pourpres.
– 1’52’52 : Mais que fait cette femme, évidemment sans toge laticlave, au milieu d’une réunion de sénateurs ???
…et une deuxième :
…et une troisième, complètement à gauche :
…et une quatrième au centre du groupe devant la colonne
…et de cinq, juste derrière Macrinus, à côté d’un homme noir lui aussi sans toge laticlave : des esclaves peut-être…
…non, peu probable, une de ces femmes porte un luxueux bracelet manchette en or. Le mystère s’épaissit !
– 1’55’00 : vote à main levé possible : vote par acclamation (contrairement au vote habituel). Les femmes présentes dans l’assemblée n’y participent pas.
– Grand discours final : mélange les éléments de la dénomination de Maximus (surnom), sachant que Decimus est un prénom, et Meridius (= issu de Mérida) est aussi un surnom : il manque un nom de famille.
II) URBANISME ET ARCHITECTURE
1) Les cités
– 22’25 : Ostie représentée sur une falaise en hauteur alors qu’il s’agissait du port de Rome. Cela s’explique peut-être par le fait qu’une partie du film a été tournée sur l’île de Malte dont certaines côtes présentent ce profil géologique.
– 50’20 : A l’entrée de Rome à l’extérieur des remparts : arc de triomphe surmonté par une statue de la louve et des jumeaux Romulus et Remus qui datent de la Renaissance. On voit mieux en fin de film qu’il s’agit d’un arc décorant un pont sur un ruisseau, mais dont la forme en servienne (grande baie centrale encadrée d’une petite baie de part et d’autre) est contraire à cet usage architectural. En outre, les pierres usées donnent une vision actuelle (XXIe s.) de Rome, pas la vision antique.
– 2’12’00 : On ne sait pas si l’on a affaire à un arc de triomphe au bord d’une rivière à la sortie de Rome ou à un arc ornant un pont : dans le second cas les deux passages en servienne de part et d’autre de la baie centrale sont un non sens architectural.
2) Antium
– 25’49 : Tout frais débarqués des bateaux, les prisonniers numides sont transportés à Antium pour y être jetés dans l’arène en pâture à des singes assoiffés de sang. Dans le plan d’ensemble présentant la ville et son arène, on aperçoit au fond la silhouette du Colisée. Problème : la ville d’Antium est située à cinquante de kilomètres de Rome à vol d’oiseau !
3) Forum et centre de Rome
– 23’10 : l’arrivée triomphale d’Acacius sur le forum se fait sur une Via sacra qui n’est même pas pavée (sable) en passant sous un arc de triomphe sans aucune décoration, ni aucun nom d’empereur, si ce n’est une inscription en latin de cuisine : Haec est gloria Romae in mundo, “Voici la gloire de Rome dans le monde”. En “vrai”, Acacius devrait passer entre l’immense temple de Vénus et l’arc de Titus, reconnaissable par ses décors sculptés, pour accéder à la via sacra pavée.
– On reconnaît la statue équestre de Marc-Aurèle en bronze (qui n’a rien à faire à l’extrémité de la via sacra), mais on reconnaît également plusieurs copies en marbre de l’Auguste Prima porta dont l’original était lui aussi en bronze. Les statues en marbre devraient au moins être peintes.
– 50’30 : Colisée au sommet d’une colline ???
– 51’11 : Une étrange façade de style composite en ruines et à moitié enfoncée dans le sol ? Un Colisée sans câbles externes de velum, avec un dernier étage aveugle ?
– 1’11’10 : L’arc de Titus est inexistant, il y a un bâtiment étrange à la place de la future basilique de Maxence, bordé par une illogique enceinte à tours crénelée.
– Bref, la topographie urbaine de Rome est totalement délirante.
4) Architecture et décoration domestiques
– 1’02’45 et 1’09’43 : À l’entrée de la maison d’Acacius deux bustes se font face à l’entrée celui de Marc Aurèle et d’Antinöus (amant d’Hadrien, une génération avant).
– La maison d’Acacius a des colonnes blanches (pas peintes) recouvertes de lierre.
– Les murs usés en pierre de taille sans enduit ni fresques, ni stucs décoratifs, correspondent à une vision romantique de l’Antiquité, une Antiquité en ruines.
– Le “salon” dans lequel se déroulent les scènes entre Acacius et Lucilla ne ressemble ni à un triclinium (salon) ni à un atrium : le bassin de type vasque est à remplacer par un bassin bas d’impluvium.
– La pièce est décorée d’agrumes en pots, or si le citronnier arrive en Méditerranée au Ier s. p.C., il faut attendre le Xe s. pour l’oranger et le XIXe pour le mandarinier.
– 58’30 : On retrouve pourtant ces oranges très précoces dans le Colisée, intégrées dans les guirlandes végétales qui décorent l’amphithéâtre. Habituellement ces guirlandes comportent des grenades ou des figues, fruits que les Romains avaient à leur disposition.
– 1’09’20 : En revanche, les abricots qui se trouvent dans la coupe de fruits de Lucilla lorsqu’elle reçoit Macrinus chez elle ne sont pas anachroniques puisque les Romains les connaissaient déjà depuis le Ier s. a.C.
– Sur un plan, derrière Acacius et Lucilla on aperçoit un beau spécimen d’althéa, ou Hibiscus Syriacus, qui contrairement à ce que son nom scientifique peut laisser penser n’est pas originaire de Syrie mais de Chine et ne fait son arrivée en Europe qu’au XVIe s. via la Syrie.
– 1’03’15 : fresque en frise en haut d’un mur en pierres de taille : non
– et 1’03’30 : remplacement quasi systématique des lampes à huile par des bougies.
– 32’08 : Les lampes à huile sont donc les grandes absentes du film, à l’exception de la scène à la “cantine” des gladiateurs…
…et de la maison de Macrinus (35’20) :
– À 1’42’41, un garde prépare l’arrivée de Macrinus dans la cellule d’Anno en apportant une lanterne dans laquelle on aperçoit clairement une ampoule électrique !!!
– À 35’30, on découvre le bureau de Macrinus et sa belle collection de volumina.
– 47’30 : Les mosaïques sont les grandes absentes des maisons romaines du film. En effet, la seule petite mosaïque que nous avons à nous mettre sous la dent se trouve dans le sous-sol de la maison de Lucilla, dans la pièce où se trame le coup d’état en secret. Non seulement la mosaïque ne couvre pas la totalité du sol de la pièce, mais son motif ne paraît pas très romain antique.
– 1’08’05 : À l’entrée dans la villa de Lucille : les sphynges de la porte sont normalement des décors funéraires et ne sont donc pas à leur place.
III) VIE QUOTIDIENNE
– 18’20 : Dès sa capture, Anno est marqué au fer rouge par son propriétaire (un souvenir des westerns ?), un traitement réservé normalement aux criminels et aux esclaves fugitifs. En revanche, il lui manque ici les chaînes.
– 21’05 : Anno, enfant qui joue au foot, à deux pas des pyramides (en Numidie ? ou exil d’abord en Egypte)
– Le baise-main à l’empereur représenté dans le film n’aurait pas existé et ce serait plutôt médiéval, une marque de la féodalité.
1) Les banquets
– Contrairement à ce qui est représenté dans le film, le fameux banquet romain, ou cena, était donné le soir et non dans la journée. Ridley Scott donne une image très “show business hollywoodien” des réceptions romaines antiques.
– 38’55 : Des charriots de luxe dépose les invités de marque devant l’entrée de la demeure sous le regard curieux de la foule. Des esclaves souriant vérifient la liste des invités et les orientent vers la fête.
– À 39’10 le sénateur Thraex exhorte ses invités à “s’amuser dans la démesure” en opposition totale à la moderatio, une des vertus romaines cardinales. Une fois encore, le film veut nous présenter une élite romaine décadente prête à tous les excès : une réception plus proche de l’orgie que de la cena.
– 39’20 : On voit sur une table une tête de rhinocéros coupée en décoration. Les Romains aimaient surprendre en présentant des mets ou décorations exotiques et extravagantes, mais pas au point de décapiter un rhinocéros.
– 40’54 : On peut voir des esclaves qui rapent la corne du rhinocéros. En effet, en Asie, la poudre de corne de rhinocéros (pourtant uniquement composée de kératine) est réputée avoir des vertus aphrodisiaques. Cela n’existe pas dans le monde romain, mais cette scène renforce l’idée que l’on a affaire avec une élite romaine débauchée.
– 41’30 : En revanche, pas une seul trace du lectus triclinaris, les trois lits habituellement utilisés dans le triclinium, ou salle à manger. Même les empereurs Geta et Caracalla doivent se contenter d’un vulgaire canapé en position assise.
2) Les femmes
– Tout au long du film, on voit des femmes romaines aux cheveux détachés, en décolletés ou épaules nues : contraire à la décence et réservé aux prostituées.
– À 58’ : Lucilla respire un petit bouquet de lavande dans la loge impériale : vraisemblable car les Romains se servaient déjà de la lavande pour le linge et les bains.
– 10 minutes plus tard, à 1’08’00, elle respire le même bouquet en recevant Macrinus chez elle
3) La musique
– 7’50 : Le premier instrument antique que l’on entend dans le film est le cornu, une trompette recourbée qui produisait un son proche du cor de chasse. Normalement, le cornicen, ou joueur de cornu, avait pour rôle tactique de diriger les signa (enseignes) des cohortes en fonction des consignes du général sur le champ de bataille. Chaque manoeuvre était en effet associée à une mélodie que les soldats s’entraînaient à reconnaître à chaque exercitatio, ou entraînement.
– 39’14 : Lors de la réception chez le sénateur Thraex, on peut voir un groupe de musiciens composé d’un chanteur, d’un joueur de flute (pas double malheureusement), d’un joueur de lyre dont l’instrument semble en plastique et d’une jeune femme jouant des crotales, des cymbalettes antiques qui tenaient dans le creux des mains.
– Plusieurs gros plans sur des tambours qui n’étaient pas utilisés par les Romains. Certainement un cliché repris aux péplums des années 60 qui les utilisent pour rythmer les jeux du cirque.
– Le tuba, une longue trompette droite (sans piston) était effectivement utilisé pour annoncer le début des jeux du cirque et de l’amphithéâtre.
– 1’34’17 : On aperçoit aussi juste avant le combat d’acacias contre les prétoriens le lithuus, une trompette plus courte au pavillon recourbé, celle-ci en revanche, semble avoir plutôt été utilisée en contexte militaire.
– Les seuls moments du film où l’on remarque la musique du pourtant très talentueux Hans Zimmer, ce sont les moments où il reprend le thème du 1er opus de Gladiator en souvenir de Maximus.
4) Les statues
– Si le film ne présente quasiment aucune mosaïque ni aucune véritable fresque, en revanche il regorge de statues dont il faudrait dresser la liste exhaustive.
– Dans le film, elles sont toutes représentées blanches, sans aucune peinture et dans leur état moderne : il leur manque souvent leurs accessoires, armes ou bâton de commandement.
– 1’24’54 : dans l’auberge où le sénateur Thraex boit un verre en lisant le “journal”, on voit au fond de la pièce la statue de l’Apollon du Belvédère telle qu’elle est conservée aux Musée du Vatican… sans son arc !
Et on retouve la même statue, à 1’24’57 (3 secondes plus tard seulement, en haut des marches de la domus du sénateur !)
IV) GLADIATURE et JEUX DU CIRQUE
1) Gladiature
– Pendant le générique qui retrace les événements du 1er opus de Gladiator, on attend la fin d’une citation célèbre : “…te saluent” < Morituri te salutant, “ceux qui vont mourir te saluent” : cette phrase n’a pourtant jamais été prononcée par les gladiateurs romains. La seule occasion à laquelle cette phrase aurait été prononcée, serait la naumachie donnée au lac Fucin par l’empereur Claude en 52 p.C. et ce seraient donc des condamnés à mort et non des gladiateurs qui l’auraient prononcée.
– Jean-Léon Gérôme, peintre français du XIXe s. a intitulé ainsi un de ses tableaux peint en 1859 représentant des gladiateurs dans l’arène saluant l’empereur avant d’engager le combat. Ce tableau étant conservé dans un musée américain depuis 1925, on comprend qu’il a dû influencer bon nombre de réalisateurs de péplums et d’epic movie.
RAPPEL : avec son 1er Gladiator, Ridley Scott avait dit qu’il ne voulait pas faire un film historique, mais rendre hommage aux peintres pompiers, école à laquelle se rattachait Jean-Léon Gérôme.
– 27’ : Les jets de nourriture sur les gladiateurs quand le public n’est pas satisfait du combat sont documentés et donc vraisemblables. Mais là encore, dans les gradins d’Antium, le public est essentiellement composé d’hommes en turbans, d’asiatiques.
– 40’45 : Le film a raison d’évoquer les paris qui étaient pris sur les combats de gladiateurs (comme sur les courses de chars d’ailleurs). Cependant, la somme de 2000 deniers d’or (ou aurei), pariée par Thraex avec Macrinus, semble toute fois un peu excessive quand on sait que l’aureus à l’époque de Caracalla pesait 6,54 grammes. Cela veut dire que Thraex met en jeu pas moins de 13kg d’or pour un simple combat privé. Un peu plus tard, Macrinus rappelle à Thraex qu’il lui doit 10.000 deniers or, soit plus de 65kg d’or !
– 42’ : Scène de combat entre Anno et un gladiateur de l’écurie du sénateur Thraex. Les riches Romains pouvaient en effet offrir à leurs invités un combat privé. La scène ressemble beaucoup à celle du documentaire “Gladiator” de la BBC (2003)
– 45’ : Scène où Anno profite des thermes après son combat privé chez le sénateur : possible, car les gladiateurs étaient bien soignés et entretenus.
– 56’10 : Les gladiateurs avaient bien des surnoms ou noms de scène : on en a conservé plusieurs sur des mosaïques représentants des combats de gladiateurs (ici : Vincens, pour le gladiateur du combat privé, le destructeur pour celui qui monte le Rhinocéros)
– 57’ : le fameux combat contre le rhinocéros présent dans la bande-annonce du film : un morceau d’anthologie (ou pas).
– La hache ne fait pas partie des armes conventionnelles de la gladiature.
– Le lasso à 3 boules, ou bolas originaire d’Amérique du sud non plus.
– la masse d’armes : médiévale
– 1’01’10 et 1’01’30 : Le fameux pouce vers le haut ou vers le bas repris dans tous les péplums comme le signe donné par l’empereur depuis sa tribune pour indiquer s’il décidait de laisser vivre le gladiateur vaincu ou le faire exécuter par le vainqueur. Là encore, c’est la faute du peintre Jean-Léon Gérôme, mais avec un autre tableau, cette fois, Pollice verso (1872) qui a inspiré tous les réalisateurs de péplums américains qui ont pu aller l’admirer à l’Art Museum de Phoenix (Arizona).
– On peut aussi s’étonner de l’impudence d’Anno qui refuse la grâce impériale : non seulement, compte tenu de la clameur des spectateurs, il y a peu de chance que l’empereur entende le gladiateur depuis sa loge, mais il est également peu probable qu’un gladiateur aille à l’encontre d’une décision de l’empereur, sauf s’il souhaite vraiment mourir.
– 1’02’00 : La présence de vendeurs ambulants dans les gradins est attestée par les textes : les Romains passaient parfois la journée entière dans les gradins, il fallait donc bien qu’ils puissent se restaurer…
…d’où également les ombrelles que l’on aperçoit rapidement sur un plan pour se protéger du soleil. Un bon point, donc pour les gradins !
– 1’05’30 : Apparition du médecin : Ravi. On sait que les gladiateurs bénéficiaient des meilleurs médecins car ils étaient un investissement coûteux pour leurs propriétaires et qu’il fallait donc en prendre soin.
– En revanche le médecin parle de ”souffle du diable”, un composé chimique à base de scopolamine et d’atropine découvert à la fin du XIXe s., qui, inhalé sous forme de poudre, provoque des pertes de volonté et de mémoire.
– L’opium également évoqué était bel et bien utilisé par les Romains comme sédatif, de même que le vinaigre utilisé comme désinfectant dès 2000 avant J.-C.
– 1’50’02 : Gros plan sur le bras blessé d’Annio : on distingue clairement 3 agrafes de suture sur la plaie, une technique de suture utilisée seulement depuis les années 1960.
– 1’15’50 : Les gladiateurs s’entraînent au rameur : pas dans l’Antiquité. Ici cette scène prépare l’arrivée de la scène de naumachie avec les gladiateurs.
– 1’38’14 : Lors du duel contre Anno : Acassius lève la main “il se rend”. Dans la gladiature, le gladiateur au sol qui levait la main ou le pouce (la question est débattue) réclamait son renvoi sain et sauf (missio). Or ici, Acassius n’est pas au sol mais debout.
– 1’43’02 : Macrinus vient rendre visite à Anno dans sa cellule et lui demande pourquoi il n’a pas tué Acacius. Anno lui répond : “Tu as acheté un gladiateur, pas un esclave.” Mais c’est la même chose, bon sang !!!
– 2’02’10 : Le doctor, l’entraîneur des gladiateurs, fait miroiter à Annio la rudis, épée de bois symbole de libération. Mais il s’agit là d’une nouvelle provocation, puisque, pour gagner cette épée, Annio doit affronter seul la garde prétorienne pour défendre sa mère Lucilla. Aussi, Annio décide-t-il d’utiliser l’épée de bois pour tuer son entraîneur, car après tout “une lame reste une lame”.
– 2’04’20 : Annio fait un (énième) discours à sa troupe de gladiateurs, mais pas n’importe où. S’il n’a pas été fait au hasard, le choix de la statue colossale (3,60m pour l’original) devant laquelle il se tient est très bon puisqu’il s’agit de la statue de Mars (Mars Ultor, dont la copie en marbre est aujourd’hui conservée dans les Musées capitolins) qui est, avec la déesse Némésis une des deux divinités protectrices des gladiateurs. Les décorateurs du film ont choisi la version en bronze de la statue et contrairement à l’Apollon du Belvedere, ils lui ont rendu l’accessoire qui manque à la copie en marbre, sa lance.
– 2’05’00 : la révolte de gladiateurs avec leurs casques (secutor au premier rang pendant le discours d’Anno est ridicule : les casques ont davantage pour objectif de handicaper le gladiateur que pour le protéger (provocator, thrace, mirmillon). Certains portent d’ailleurs des casques de légionnaires qui ne sont pas utilisés par les gladiateurs qui ont des casques spécifiques.
– 2’18’12 : Anno retourne dans le Colisée pour une scène finale qui fait écho au geste de Maximus dans le 1er opus de Gladiator. Problème, ce n’est pas une poignée de sable que saisit Anno dans l’arène de l’amphithéâtre, mais une poignée de petits cailloux. Or, on sait par l’archéologie expérimentale que les gladiateurs qui avaient des semelles de cuir cloutées avaient besoin d’une arène recouverte d’une couche conséquente de sable de façon à assurer leurs appuis qui étaient essentiels pendant le combat. Pour un gladiateur, combattre sur une arène couverte de petits cailloux aurait été tout bonnement impossible.
– Le plus grand paradoxe du film Gladiator II réside donc dans le fait que le film ne montre aucun combat de gladiateurs au sens strict du terme, c’est à dire un combat qui oppose des gladiateurs par paire opposée, avec les équipement défensifs et offensifs adéquats et en présence d’un arbitre.
– On ne peut pas non plus parler de combats de masse puisque lorsqu’ils sont en groupe dans l’arène, les gladiateurs ne combattent entre eux, mais contre des animaux ou contre les gardes impériaux, les prétoriens.
2) Colisée
– Colisée visible de l’extérieur de Rome posé sur une colline : or le Colisée (entre Palatin et Esquilin) et le Circus Maximus (entre Palatin et Aventin) ont au contraire été bâtis dans des plaines entre les collines de Rome.
– 50’30 : On aperçoit un pied isolé, sans mollet, du colosse de Néron érigé à côté du Colisée et qui lui a donné son nom, lequel ne sera pourtant détruit qu’après le VIIIe s.
– Il n’y avait pas de metae (bornes) en bordure de l’arène du Colisée (même erreur dans le premier opus de Gladiator).
D’ailleurs, pour le combat final dans le Colisée (2’06’50), les metae on mystérieusement disparu !
– Le film présente en symétrie deux tribunes impériales alors que le Colisée n’en comportait qu’une (image précédente).
– La précinction du deuxième étage en est séparée par un haut mur à arcades jaunâtres, ce qui ne correspond pas à la réalité archéologique.
– Les coulisses du Colisée dans Gladiator II n’ont ni la forme ovale du Colisée, ni leur disposition.
– 1’11’10 : un temple circulaire ou tholos inventé à côté du Colisée (qui serait à l’emplacement de la Meta Sudans). L’arc de triomphe est également mal placé, ainsi que le ridicule temple de Vénus (à droite de la tholos).
– À 1’11’17, on voit ce qui semble représentrer l’entrée principale du Colisée, ce qui n’a aucun sens puisque l’on pouvait entrer dans le Colisée sur toute sa circonférence.
– 2’10’34 : Un Colisée représenté juste derrière les remparts de Rome (à une centaine de mètres) alors qu’il en est relativement éloigné.
3) Les animaux en folie
– Le film Gladiator II n’a pas lésiné sur les animaux en tous genres présents dans l’arène. Malheureusement, leur utilisation n’est pas très heureuse, c’est le moins que l’on puisse dire.
– Certes, les Romains raffolaient des spectacles mettant en oeuvre des animaux : courses de chars, voltige à cheval, dressage exhibition d’animaux exotiques, combats entre animaux, condamnés jetés aux fauves et bien sûr chasses opposant des bestiaires, gladiateurs spécialement entraînés qui ne combattaient que des animaux, mais Ridley Scott pousse le bouchon un peu loin.
– Voici une liste des animaux chassés dans l’amphithéâtre dont on trouve une trace dans les textes antiques : chez les herbivores, l’antilope, l’autruche, le buffle, le cerf, le daim, l’élan, l’éléphant, la gazelle, la girafe, l’hippopotame, le lièvre, l’onagre, le rhinocéros, le sanglier, le taureau ; pour les carnivores : le crocodile, la hyène, le léopard, le lion, le loup, l’ours, la panthère, le phoque et le tigre.
– Oui, des singes ont bien été présentés dans l’arène, notamment à l’époque de Pompée, mais pas des singes enragés qui tuent par morsure des gladiateurs excités par des fléchettes envoyées par des sarbacanes. En revanche, on sait que les ours et les fauves étaient artificiellement excités pour pouvoir combattre malgré le bruit et l’aspect non naturel de l’arène.
– À 29’40, il semblerait que l’on puisse voir, derrière le corps sans vie de Jugurtha, le seul babouin qui ne soit pas en images de synthèse.
– Un rhinocéros dans le Colisée : d’accord, ce fut le cas à l’époque de Pompée, mais dans le cadre des venationes, “chasses”, avec des venatores, “chasseurs”, pas au milieu des gladiateurs standard.
– 57′ : De plus, il est impossible de monter un rhinocéros et de le diriger avec des rênes : l’animal pèse 2 à 3 tonnes, soit 20 à 30 fois le poids du gladiateur, il est donc indomptable et les Romains montaient à cheval sans étriers.
– Les jeux avec animaux fabuleux sont plutôt réservés aux jubilés : Philippe l’Arabe et Gallien, par exemple.
– Nous parlerons bien sûr des requins dans notre partie consacrée à la naumachie.
4) Naumachie
– Des naumachies ont certainement eu lieu dans le Colisée, mais peu de temps après sa construction, au Ier s. p.C., quand les coulisses souterraines n’existaient pas encore. Il est peu probable que des naumachies aient eu lieu au 3e s. p.C. alors que les coulisses étaient en place. D’ailleurs à 1’19’30 : on voit Anno faire son discours de harangue de sa troupe de gladiateurs dans les coulisses les pieds dans l’eau, mais si les coulisses avaient été inondées, ils seraient complètement sous l’eau !
– Les naumachies nécessitant plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’hommes dont beaucoup allaient périr, on ne sacrifiait donc pas des gladiateurs pour ces spectactles mais on utilisait des prisonniers et des condamnés à mort qui n’étaient donc pas formés.
– Pour les naumachies d’amphithéâtre, les bateaux devaient être plus petits et donc plus maniables mais également plus nombreux pour reconstituer une bataille navale historique (ici, celle de Salamine entre les Grecs et les Perses en 480 a.C.)
– 1’22’19 : Problème. Comme en témoignent la lettre lambda, initiale de l’autre nom de la ville de Sparte, Lacédémone, présente sur la voile du navire et sur les boucliers qui entourent son bastingage, les organisateurs de la naumachie laissent entendre qu’une flotte spartiate aurait participé à la bataille navale de Salamine. Or, au moment de cette bataille, les spartiates se trouvent sur terre à 200km de là, chargés d’arrêter la progression de l’immense infanterie perse dans le défilé des Thermopyles.
– Lors des reconsitutions (batailles navales ou chasses), les organisateurs essayaient de reproduire également les décors des lieux réels. Mais que dire des îles avec les sortes de faux palmiers gonflables du film ?
– La scène où le navire d’Anno éventre la coque du bateau adverse avec son rostre n’est pas vraisemblable car le navire qui vient de manoeuvrer n’a pas assez d’élan et donc de vitesse pour pénétrer la coque.
– Le bateau adverse compte 9 rames de chaque côté, celui d’Anno seulement 5 ! Difficile d’aller très vite avec une “motorisation” si légère !
– 1’23’30 : Anno saisit une arbalète pour tuer Acassius durant la naumachie (rappel de la scène du 1er Gladiator, lors de laquelle Maximus, qui vient de vaincre un essédaire, s’apprête à lancer une lance sur l’empereur Commode : 1’33’00), or l’arbalète n’existait pas du moins sous cette forme dans l’Antiquité romaine qui ne connaissait que la baliste à main (manuballista).
– Enfin, la présence de requins dans une naumachie au Colisée est impossible à plusieurs titres. D’abord, les Romains connaissaient certainement les requins mais nous n’en avons conservé aucune représentation. Pour eux, tous les requins, orques ou autres baleines étaient classés dans la catégorie “monstres marins”. Le premier problème qui se pose est la capture et le transport d’un tel animal jusqu’au Colisée. La seconde, et non des moindres est que le Colisée était rempli à l’aide du système d’aqueducs de la ville qui fournissait de l’eau douce. Or, ce qui est possible pour des cétacés munis de poumons est impossible pour un poisson de mer muni de branchies : le requin blanc meurt dans l’eau douce – exception : le requin bouledogue, mais il est tropical, inadapté en Méditerranée, et il semblerait que dans le film nous ayons plutôt affaire à des requins blancs.
V) LATIN ET CITATIONS
– Si nous terminons par là, c’est peut-être parce qu’en tant que professeur de latin, il nous est impossible de rester insensible à l’accumulation d’erreurs liées à la langue latine dans le film : erreurs grammaticales, faux sens, anachronismes, citations apocryphes, mal comprises ou mal utilisées. C’est un véritable festival !
– Seules les deux premières citations du film (après les consultants spécialiste en langue latine ont dû être virés) apportent des références culturelles et littéraires intéressantes et bien
– Anno à son épouse au début du film, au moment de l’attaque du fort numide par les Romains : “là où tu es je suis aussi” à rapprocher du célèbre “Ubi tu Gaius, ibi ego Gaia”, formule rituelle du mariage latin prononcée par l’épouse, promesse de loyauté (Plutarque, Quaestiones Romanae, XXX)
– Anno à ses troupes à propos des Romains avant l’attaque sur le fort numide : “Ils n’ont pas de territoires en dehors de ceux qu’ils ont volé. Partout où ils vont ils apportent la destruction et appellent cela la paix. Nous sommes la dernière cité libre en Africa Nova.” // discours de Calgacus (Tacite, Vie d’Agricola, XXX, 1-7) :
Auferre trucidare rapere falsis nominibus imperium, atque ubi solitudinem faciunt, pacem appellant. “Rafler, massacrer, saccager, c’est ce qu’ils appellent à tort asseoir leur pouvoir. Font-ils d’une terre un désert ? Ils diront qu’ils la pacifient.”
Et ensuite, place au grand n’importe quoi…
– 17’50 : “Je prends cette cité : Vae victis !” Acacius après la prise du fort numide. Vae victis est une expression latine signifiant « Malheur aux vaincus », prononcée par le chef gaulois Brennus qui avait vaincu Rome en 390 a.C. Citation répétée deux fois
– 40’30 : Au sénateur Thraex qui lui demande si Macrinus souhaite briguer un poste de sénateur, Macrinus lui répond qu’il ne sait même pas utiliser un abaque.
– 43’50 : Anno à l’empereur Geta à l’issue du combat. Il cite le chant VI de l’Énéide de Virgile (VI, 126-129)
“Les portes de l’enfer sont ouvertes jour et nuit ; Facile est la descente, et aisée est la voie. Mais revenir, contempler les cieux, c’est là la tâche et la puissante œuvre”
il est facile de descendre dans l’Averne :
nuit et jour, la porte du sombre Dis est ouverte ;
mais revenir sur ses pas et s’échapper vers les brises d’en haut,
voilà l’épreuve, voilà la difficulté.
…facilis descensus Auerno ;
noctes atque dies patet atri ianua Ditis ;
sed reuocare gradum superasque euadere ad auras,
hoc opus, hic labor est…
– 45’30 : Macrinus à Anno après son combat privé à propos de sa citation de Virgile : “Tu n’as pas appris Virgile en Afrique” : c’est idiot, l’Africa romaine est riche et cultivée.
– 46’25 : Anno évoque son statut d’esclave et Macrinus lui répond par une citation qu’il attribue à Cicéron : “l’esclave ne rêve pas de liberté, mais de pouvoir lui-même appeler quelqu’un esclave”, mais qui est en fait une citation moderne que l’on attribue à Hegel ou Richard Francis Burton.
– 52’45 : Dans les coulisses du Colisée, Anno découvre une stèle en l’honneur des gladiateurs morts avec l’inscription fautive “virtus et honore” qui liste les paires de gladiateurs ayant combattu ensemble. Ainsi à côté du nom effacé de Maximus figure celui de l’empereur Commode, ce qui est peu vraisemblable car on peut difficilement considérer Commode comme un véritable gladiateur.
On peut tout de même accorder au film d’avoir représenté sur la pierre la damnatio memoriae de Maximus dont le nom a été martelé pour le faire disparaître.
– 54’45 : Acassius : “Je ne suis ni un orateur ni un politicien” : le concept de politicien est anachronique, un général est un homme d’Etat.
– 1’03’15 : Lucilla retourne chez elle et va dans ce qui devait être la chambre de Lucius : elle y lit la citation de Virginie écrite en anglais sur le mur dans une mauvaise imitation de cursives romaines
– 1’03’49 : Lucilla consulte une tablette de cire (cera) sur laquelle elle retrouve la phrase de Maximus écrite en latin “ce que nous faisons dans la vie résonne dans l’éternité” ; on arrive à peu près à lire “quam in vita agimus in aeternitate” même si le in est un peu effacé et si le latin utiliserait plutôt le neutre pluriel quae que le féminin singulier.
– On sait qu’il s’agit de la tablette de Maximus, parce qu’il a écrit “Scatto et Argento” qui sont les noms de ses chevaux représentés avec sa femme et son fils sur sa cuirasse. Dans le premier opus de Gladiator, il y a une scène où Maximus explique à Lucius les noms de ses chevaux : Argento et Scatto, “argent” et “déclencheur”. Il s’agit d’une référence cinématographique voulue par Ridley Scott, puisque ce sont en fait les noms des chevaux de The Lone ranger et de l’acteur de western américain Roy Rogers. Ridley Scott a d’ailleurs intégré cette scène dans Gladiator II comme un souvenir de Lucius à 1’33’30.
Le motif de la cuirasse de Maximus.
Trigger, le cheval de Roy Rogers, dans le film Le retour de Billy the Kid (1938)
Lone ranger et son cheval (1957)
– 1’07’30 : Macrinus dit à Anno qu’il a le “Thumos” des Grecs qu’il traduit de façon très réductrice par “la rage” en prenant l’exemple d’Achille. Or le concept philosophique grec de thumos est bien plus vaste que la simple rage et varie en fonction du philosophe qui l’emploie. Il englobe à la fois le désir de ce qui est noble, l’esprit de compétition, la bienveillance envers les amis, et le courage militaire.
– 1’09’00 : Macrinus cite Marc Aurèle (2X) “la meilleure vengeance est de ne pas ressembler à celui qui t’a fait du tort” (Pensées, début du livre VI) en grec : Ἄριστος τρόπος τοῦ ἀμύνεσθαι τὸ μὴ ἐξομοιοῦσθαι.
– 1’12’15 : graffiti dans la cellule d’Annon : on reconnaît “cano” : arma virumque cano ? 1er vers de l’Enéide de Virgile ?
– 1’24’40 : Le sénateur Thraex est attablé dans une auberge et lit une sorte de journal imprimé sur papyrus : on y lit le titre Poma d’un côté et ridia de l’autre. On peut imaginer que le début du deuxième mot est caché dans la pliure du document et imaginer qu’il s’agit de l’adjectif viridia, accordé à poma. Il faudrait donc lire poma viridia, “le fruit vert”, mais la référence nous échappe. Compte tenu des mots “spectatus cras” sur le verso du document, on peut imaginer qu’on a voulu représenter le programme des jeux qui était effectivement distribué pendant les jeux mais certainement pas sous la forme d’une sorte de grand document format A3 comme celui-ci.
– 1’26’52 : Scène nocturne sur le forum. Sous une arche, on lit le graffiti IRRUMABO IMPERATORES, “je me ferai sucer par les empereurs”, écrit avec un U majuscule en lieu et place du V majuscule. Hommage à la scène du cours de latin dans le film La vie de Brian des Monty Python ou au poète élégiaque Catulle et son fameux “Pedicabo ego vos et irrumabo” (Catule, Carmina, 16)
– 1’33’10 : Inscription en anglais sur la tombe de Maximus : “what we do in life echoes in eternity”. Ravi, le médecin des gladiateurs précise qu’ils ont enterré Maximus dans le sous-sol du Colisée, or les Romains n’enterraient pas les gens à l’intérieur de l’enceinte de la cité. On ne mélangeait pas les morts aux vivants et on les enterrait le long des routes à la sortie de la ville. En revanche, Maximus est bien écrit avec un V et pas un U.
– 46’55 et 1’10’54 : Difficile de comprendre la présence du bouton dans le mur de pierre actionnant une porte qui n’est pas du tout cachée, ouvrant sur un passage secret chez Lucilla. Le réalisateur a certainement essayé de trouver un moyen maladroit pour fair comprendre qu’un complot secret (qui n’allait pas le rester longtemps) s’ourdissait dans le secret du sous-sol de la maison de Lucilla et d’Acacius.
– 50’41 : inscription honorifique en arrière plan derrière un éléphant
– 1’08’00 : braséros extérieurs allumés en plein jour. Eh, Ridley, c’est pas Versailles, ici !
– 1’28’50 : buste d’Hadrien à côté du prétorien ?
– 2’07’31 : Caracalla portant une prothèse dentaire argentée ?
– 41’00 : Anno portant les menottes par-dessus ses bracelets manchettes en bronze !
manichéisme du film
– opposition plan sur les colonnes noires du palais de Geta et Caracalla devant lequel on découvre les empereurs pour la première fois VS montée d’escalier imaculée qu’emprunte Acacius tout de blanc vêtu pour les rejoindre
– Certaines représentations de la ville de Rome sont tellement aberrantes que c’est à ce demander si certaines images n’ont pas été réalisées à l’aide de l’Intelligence Artificielle. C’est le cas de cette vue de Rome :
Conclusion :
Malgré un budget faramineux, un casting solide et une multiplication des scènes d’action, Gladiator II n’arrive malheureusement pas à retrouver le souffle du premier Gladiator qui avait ranimé le genre du péplum. Dans son Gladiator II, Ridley Scott va trop loin dans la surenchère : avec 2 empereurs fous au lieu d’un, une bataille navale en Numidie à la place d’une bataille terrestre dans une forêt de Germanie, un rhinocéros et des requins à la place des tigre, une naumachie au lieu d’un combat contre un essédaire…
Même le happy end est de trop : en représentant un Lucius qui à lui seul réussit à éviter la guerre entre les deux armées romaines, celle fidèle à l’empereur, et l’autre qui veut sa chute, Ridley Scott aurait-il cherché à symboliser, de façon un peu grossière tout de même, le nécessaire retour à l’union du peuple américain profondément divisé après la réélection de Donald Trump ?
Finalement, peut-être aurait-il mieux valu que, comme Maximus, Lucius meure également à la fin du film.
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Et si vous voulez en apprendre plus sur la gladiature, la vraie, je vous invite à lire mon livre “Gladiator” sortie en janvier 2024 aux éditions Les Belles Lettres.
https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782377750702/gladiator-gladiateur