Aujourd’hui, pour Arrête ton char !, je suis allée à la rencontre d’Ugo Bimar. L’auteur et réalisateur de Confessions d’Histoire s’est lui-même prêté au jeu des confessions…
Arrête ton char ! : Pour ceux qui ne connaissent pas encore Confessions d’histoire, il faut imaginer un confessionnal à la manière d’une télé-réalité, sauf que vont se succéder des personnages historiques. C’est l’enchaînement de ces interviews qui va permettre de reconstituer des événements précis, voire de faire entendre les dissonances entre les partis, et de manière sous-jacente les sources historiques qui les accompagnent. Et le tout avec beaucoup d’humour ! D’accord avec cette présentation ?
Ugo Bimar : C’est tout à fait ça. Le dispositif est basé sur celui de la télé-réalité, dispositif qui commence à être un peu daté de nos jours mais qui j’espère reste identifiable. Sinon, on peut aussi dire qu’il s’agit de simples interviews…
Quant à la mise en opposition entre les partis, si ça n’est pas automatique (par exemple il n’y a pas encore vraiment d’antagoniste sur Alexandre 1ere partie, puisque Darius n’a pas encore montré le bout de son nez), c’est un procédé toujours pertinent à la fois pour l’aspect pédagogique et pour l’humour.
ATC : Le personnage d’Alexandre a-t-il le même traitement comique que les personnages précédents ?
Ugo Bimar : Alors en effet, si l’on retrouve bien le ton habituel dans les textes, le personnage d’Alexandre est sans doute moins moqué, moins ridiculisé, tout du moins au début. Et encore, dès le début la superstition de l’époque s’exprime en particulier à travers son personnage, qui passe son temps à organiser des libations, faire des sacrifices et demander la lecture d’un vol d’oiseaux par-ci, des replis d’un foie par là. A part ça on est quand même dans une retenue par rapport au traitement parodique habituel, et ce afin d’installer une sorte de grandeur, de magnificence autour du conquérant, pour jouer le plus possible le contraste avec la suite, au fur et à mesure que sa paranoïa et son taux d’alcoolémie augmentent.
ATC : On dit qu’une œuvre devient classique quand elle est étudiée dans les classes. Qu’est-ce que ça vous fait d’être connu et reconnu dans le milieu scolaire ?
Ugo Bimar : C’est une sacrée reconnaissance en effet, et toujours un grand honneur que (malgré l’humour et les blagues) l’aspect pédagogique des Confessions soit ainsi validé par le milieu enseignant, et ce d’autant plus que la démarche vient des profs eux-mêmes, spontanément et de leur propre chef.
ATC : On lit sur la page de Confessions d’Histoire « à vocation ludo-éducative ». Elle est importante cette reconnaissance de l’institution ? Quel poids a-t-elle face à celle du public en général ?
Ugo Bimar : Le public valide le côté divertissement, l’institution l’aspect pédagogique ainsi que le sérieux des recherches derrière les scripts. C’est en tout cas ce que je veux croire. Mais encore une fois, ce sont plus les professeurs eux-mêmes en tant qu’individus qui sont venus à ces vidéos, plutôt que l’Education nationale en tant qu’institution.
ATC : Tous vos épisodes sont sourcés, vous mettez en effet à disposition des notes historiques. Parfois on y voit des justifications de tel ou tel choix. Une précaution devant d’éventuels contestataires ? Une volonté de pédagogie ?
Ugo Bimar : Une volonté de pédagogie surtout. Et la nécessité de faire passer l’idée qu’il n’y a pas de vérité absolue en Histoire. Les sources contradictoires, l’évolution de l’historiographie, ce sont des choses importantes quand on parle Histoire (des choses que la vulgarisation historique télévisée passe généralement sous silence, engluée dans une vision de l’Histoire inaltérable, très IIIème République).
Pour ce qui est des sources contradictoires, avec des interviews, je peux difficilement laisser des questions en pleine ambivalence : il faut bien trancher. Cléopâtre était-elle seulement enceinte de Cesarion lors de son passage à Rome ou ce dernier était-il déjà né et même âgé de 4 ans ? J’ai dû faire un choix là où un historien (ou même un vulgarisateur soucieux de couvrir dans son exposé toutes les possibilités) peut se permettre de passer en revue diverses chronologies sans trancher. Mais personnellement, les protagonistes, eux, sont censés savoir. Donc, une fois utilisée l’astuce du micro qui déconne pour la mère de Cléopâtre, il faut bien opter pour une réalité intra-diégétique, en lieu et place d’une autre, qui de fait trouve son chemin vers les notes historiques afin de ne pas être totalement invisibilisée.
ATC : Vous vous dites non-historien, mais mettre en confrontation des sources, c’est un travail rigoureux sur l’Histoire. Vous avez des exemples de débunkages qui vous ont marqué ?
Ugo Bimar : Il y en a beaucoup ! Par exemple, quand on fait le total des jours que Richard Cœur de Lion a passé en Angleterre, alors même que la légende de Robin des Bois nous fait depuis l’enfance assimiler ce personnage à la perfide Albion, on se rend compte qu’il n’y a pas séjourné plus de quelques mois. De plus, sa dépouille (enfin une partie de sa dépouille) repose en France, dans l’abbaye de Fontevraud aux côtés de ses parents…
Mais le plus intéressant reste le rapport aux sociétés et à la “grande Histoire”, celle des peuples et des civilisations : il n’y a pas eu de “chute” de Rome, la Renaissance est un sacré retour en arrière sur de nombreuses questions, notamment celle de la place des femmes dans la société, ou encore la répression religieuse, loin d’être un aspect de ces fameux “âges sombres” qui n’ont jamais existé, va de pair avec la modernité et les Lumières, comme un corollaire, une réaction à ces dernières…
Il y en a tant !
ATC : Ce goût de la recherche historique, vous l’avez toujours eu ? Vous nous dévoileriez comment se déroule ce moment de recherche, vous avez des soutiens ?
Ugo Bimar : Je n’ai pas fait d’études d’Histoire (si ce n’est d’Histoire des Idées pendant mes études de philosophie), mais j’ai suffisamment traîné mes guêtres sur les bancs de la fac pour savoir lire et compulser avec rigueur des travaux de véritables historiens, et en tirer un script le plus carré possible. On n’échappe jamais à de petites erreurs (ou plutôt dirions-nous à des raccourcis plus ou moins heureux), mais jusqu’ici je m’en sors pas trop mal… je crois !
Lorsque j’ai choisi un sujet, en fonction du potentiel comique, de l’intérêt que je trouve à certains aspects, je me plonge alors dans une recherche bibliographique afin d’identifier les spécialistes et les angles de vue qui vont me servir. Après il ne reste plus qu’à lire et prendre des notes, et surtout recouper et recouper encore les informations… j’étudie et je rédige seul les scripts, mais de plus en plus je les fais découvrir à des personnes de référence pour en tester à la fois le contenu historique mais aussi les blagues (le copain Herodot’com en premier lieu bien sûr, ainsi que des spécialistes du sujet donné)…
ATC : La petite histoire, pour vous, c’est vraiment la porte d’entrée vers la grande Histoire ?
Ugo Bimar : C’est toujours plus efficace en terme d’accroche du public de passer par des anecdotes, des récits individuels. Le storytelling est un outil redoutable !
ATC : Vous disiez récemment que les conseillers historiques ne sont pas assez écoutés et qu’on préfère consolider un imaginaire collectif parfois erroné. Tous les reconstituteurs que j’ai interrogés le déplorent. Quand est-ce que vous cédez ou pas aux attentes du public ?
Ugo Bimar : C’est une question complexe… Lors du tournage de la Guerre des Gaules, tout premier épisode, j’ai été confronté à une question directement sur le plateau (car je n’y avais pas songé avant) : Caesar doit-il prononcer “veni, vidi, vici” à la française ou alors “OUeni, Ouedi, viKi” selon la prononciation (plus ou moins) authentiquement romaine ? Le public aurait-il compris et fait le lien si on avait prononcé à l’antique ?
Tout ça pour dire qu’il faut aussi quelquefois faire avec ce que l’on pense savoir des connaissances du public. Et s’il y a matière à remettre en question ce savoir, autant le faire avec une bonne blague et en dédramatisant (cf. la moustache de Vercingétorix).
ATC : L’idée de laisser une empreinte pour la postérité est assez prégnante dans vos propos. Vous validez cette affirmation ?
Ugo Bimar : Oui en effet… Mais bon, je ne sais pas ce que sera Youtube demain. D’ailleurs les vidéos sont aussi disponibles sur Vimeo, sur Dailymotion, etc., et certes rien n’est éternel, mais j’espère qu’elles sont quand même là pour longtemps et qu’elles ont une longue vie devant elles, que des gens les découvriront bien après moi, et se marreront encore _ certaines blagues seront certainement incompréhensibles. Déjà, la chaussure jetée sur César, beaucoup parmi les plus jeunes n’ont plus du tout la ref…
ATC : Vous êtes allé à la rencontre des étudiants à Nîmes récemment. Quel message aviez-vous pour eux ?
Ugo Bimar : Aucun message, juste un témoignage de mon activité sur Youtube, et de ce que ça m’a fait découvrir du milieu historique en France, de ses aspects politiques ainsi que du rapport au public (notamment à travers les commentaires). Et puis peut-être quelques recommandations, en tant que réalisateur, sur le côté découpage, tournage, montage…
ATC : Vous travaillez à la base sur l’image et les effets spéciaux. Vous croyez à la valeur ajoutée de ces techniques pour le format des Confessions d’Histoire ?
Ugo Bimar : Ben j’essaye de faire quelque chose de propre, malgré le fait que je n’ai pas chez moi le matériel de pointe dont je me sers au boulot. Malgré parfois des petits problèmes d’étalonnage, je m’efforce d’obtenir un résultat le plus joli possible, avec du clair-obscur (pour le côté Confessions) et de la couleur malgré tout (pour le côté comédie). Les petits effets spéciaux qui sont parsemés dans les vidéos, ce sont des petits extras que j’adore bricoler. Je préférais les faire sur un grand long métrage épique avec décors et figurants à gogo mais bon ça ne s’est pas fait jusqu’ici…
ATC : Vous aimez bien mettre en avant les copains. C’est une affaire d’amitié Confessions d’Histoire ?
Ugo Bimar : Oui, aussi… Mais sur les caméos que l’on trouve régulièrement dans les épisodes, j’aime bien trouver de la pertinence dans les apparitions : par exemple je voudrais illustrer le médecin d’Hephaestion avec le visage d’Asclépios, un vidéaste médecin qui fait des vidéos sur l’histoire de la médecine ! La pertinence, c’est fondamental dans tout procédé créatif…
ATC : Vous signez la dernière vidéo par « la fortune sourit aux audacieux », la traduction de cette célèbre citation latine Fortuna audaces juvat. Une revendication ? Vous croyez à la chance, à l’audace ?
Ugo Bimar : Je crois au travail, mais malheureusement je suis plus croyant que pratiquant…
ATC : Je ne vous demande pas quand sortira la suite d’Alexandre ?
Ugo Bimar : Oh non !!! Je n’ai même pas eu le temps de commencer le montage de la deuxième partie, tant je passe de pub en pub à mon boulot, celui qui nous fait vivre, ma famille et moi. Un jour j’arrêterai tout ça et je ne ferai plus que du Confessions d’Histoire (ou en tout cas des réalisations qui m’intéressent vraiment)… Un jour…
ATC : Vous avez un personnage historique coup de cœur que vous avez traité, que vous pensez traiter (ou pas !) ?
Ugo Bimar : Après Alexandre, je vais revenir à une vieille connaissance, sur laquelle j’ai déjà un peu écrit : Cloclo. Pardon : Clovis ! Ça va faire des étincelles…
Julie Wojciechowski
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