Découvrir le latin moderne & la création de néologismes

Il y a relativement peu de locuteurs dans le monde (environ 30 000 personnes selon un ancien article du Figaro de décembre 2008). Ils parlent le latin “moderne” ou “contemporain” i.e. le latin du XXe et du XXIe siècle.

Cette communauté latinophone, à forte orientation internationale, comprend des latinistes de tous niveaux qui ont plaisir à se rencontrer dans des cercles de conversation latine, dans des cours d’été et dans des séminaires organisés essentiellement en Europe et aux Etats -Unis. Ce qui les motive principalement selon Guy Licoppe de la Fundatio Melissa est que “la communication en latin créée chez des gens aux origines les plus diverses un lien de fraternité et un sentiment d’appartenance commune à une prestigieuse sphère culturelle” *.

Il reste que bien des gens restent dubitatifs quand à la possibilité d’exprimer les réalités du monde d’aujourd’hui avec une langue de plus de 2000 ans d’âge. Or, c’est justement ce “challenge” qui plaît à  nombre de latinophones de cette communauté. Certains d’entre eux, latinistes et/ou philologues chevronnés travaillent assidument à faire du latin moderne une langue normée par la création, notamment, de néologismes qui puissent être acceptés par tous.

Certains préjugés persistent malheureusement et collent à la peau du latin moderne.

En premier lieu, le fait qu’en matière de création de néologismes, il n’existe aucune règle et que chacun fait un peu comme il veut.  Or  les adeptes du latin vivant ont toujours soutenu appliquer des règles traditionnelles pour créer des néologismes. Nous vous rappelons à cet égard l’importance du 1er congrès pour le latin vivant qui s’est déroulé à Avignon en septembre 1956.

Un autre préjugé assez répandu est de croire qu’avec le Lexicon recentis Latinitatis en mains – le dictionnaire publié par Karl Egger, ancien latiniste du Vatican – vous savez tout ce qu’il y a à savoir sur le latin contemporain.

Le Lexicon recentis Latinitatis est un ouvrage utile de référence, dans lequel on retrouve des néologismes déjà anciens et bien établis comme autocinetum, radiophonum, aeroplanum, aeronavis, tramen etc. C’est aussi le Vatican qui a retrouvé chez Pline le terme atocium, littéralement « ce qui empêche de procréer » pour rendre la notion de contraceptif (!).

Toutefois, comme le souligne Wilfried STROH dans son livre Le latin est mort, vive le latin ! * :

  • Il manque beaucoup de choses, surtout dans le domaine d’Internet, comme les sedes electronica  ou  tela totius terrae.
  • des équivalents commodes pour des notions simples n’ont pas été créés. Le Vatican a une très forte propension à la création de périphrases qui coupent l’envie à n’importe qui de parler latin. Ainsi manubriati reticuli lusus au lieu de tenniludium pour “tennis”. Ou encore machina imaginibus photographis proiciencis pour « projecteur » alors que le latin moderne dit simplement proiectorium.
  • nombres de créations sont inutiles, comme sodalitas scaenica pour « troupe de théatre » (le latin moderne à la suite de Plaute dit « grex »). Autre exemple, le terme Bacchanalia aurait été préférable à sollemnia antequadragesimalia pour dire « Carnaval ».

L’auteur précise également que les latinistes débutants et ceux qui n’ont pas de formation de philologue ont tendance à exiger pour chaque mot un équivalent strict et un seul comme c’est le cas pour les langues modernes.  Certains cercles de conversation latine, non encadrés par des latinistes expérimentés, peuvent développer ce défaut.

Quand doit-on créer des néologismes ? Wilfried STROH, toujours dans le même ouvrage, nous éclaire un peu:

  • Ce sera le cas pour les notions concrètes, quand la notion ne peut être rendue en latin par les moyens courants de la langue. Cela a été le cas dans le passé pour « la cerise » et « les thermes », et aujourd’hui pour traduire « home page » ou encore « software ». En effet comme l’a expliqué Horace, des choses nouvelles appellent des mots nouveaux.
  • Par contre, pour rendre des notions plus nouvelles et abstraites comme « globalisation », « dommages collatéraux »  ou « réalisation de soi » le latin oblige à examiner des mots très utilisés et à rendre leur contenu conceptuel différemment selon le contexte. C’est ce qui permet de conserver un latin beau et agréable à lire.
  • Il y a également les petits mots du latin de tous les jours, sermo cotidianus, qui sont les plus faciles à apprendre. Ainsi « bonjour » (salve), « s’il vous plaît » (quaeso), « merci » (bene facis, gratias tibi ago), « à ta santé » (bene tibi), « bravo » (euge ! ou sophos !) etc.

Bien des gens ne souhaiteront, ni ne verront aucun intérêt à développer leurs compétences orales en latin.  C’est un choix tout à fait personnel.

Il reste que cette communauté du latin vivant est une dimension de la latino-sphère souvent ignorée.

Si vous souhaitez approfondir le sujet, nous vous proposons de lire le document PDF ci-après (courtoisie de Françoise DERAEDT de la Fundatio Melissa):

Les néologismes en latin

Sachez que nous ferons également l’effort d’enrichir progressivement la rubrique “latin vivant” d’Arrête ton Char ! pour vous permettre de trouver des adresses fiables.

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* Guy Licoppe, Le latin et le politique. Les avatars du latin à travers les âges, Musée de la Maison d’Erasme, 2003

* Wilfried Stroh, Le latin est mort, vive le latin ! Petite histoire d’une grande langue, Les Belles Lettres, 2009. Lire en particulier le chapitre Loquamur Latine ! (pp 263-278)

A propos Elen Buzaré

Elen Buzaré est actuellement chargée de comptes entreprises dans un cabinet de courtage d'assurance à Lyon et spécialisée en responsabilité civile. Elle apprend le latin en autodidacte avec la méthode Lingua Latina per se Illustrata (LLPSI) de Hans Orberg et l'appui d' étudiants de l'ENS Lyon. Elle a créé un groupe de discussion Yahoo qui a pour objectif de mieux faire connaitre cette méthode: http://fr.groups.yahoo.com/neo/groups/methode-orberg/info
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