Balade virtuelle à Pompéi #1 : la caupona de Salvius

«  Envie d’une tranche de vie à Pompéi ? Suivez-moi ! »

par Julie Wojciechowski

 

Aujourd’hui, nous nous arrêtons dans la région VI située au nord-ouest.

D’après un plan de Pompéi _ wikimedia commons

 

Mon regard fixe quelques instants le Vésuve. J’approche de la riche maison des Vettii et en longe la rue pour me retrouver, à la prochaine intersection, rue de Mercure1 qui, comme son nom le laisse présager, est une rue commerçante. Une caupona2 et une boulangerie sont adossées.

Je recule de quelques pas : c’est la caupona qui fait l’angle qui attire mon attention. Au bout de la rue Vettii, la porte est ouverte sur un comptoir à droite. Tiens, on dirait que je suis chez Salvius, ou plutôt qu’un certain Salvius s’est invité sur la façade de cette taverne ! Une inscription électorale peinte en rouge, sur le pilastre extérieur qui fait l’angle, montre qu’il soutient un certain Casellius pour que ce dernier brigue la charge d’édile3 :

CASELLIVM · AED

SALVIVS . ROG

« Casellium aed(ilem) Salvius rog(at) », littéralement « Salvius demande à ce que Casellius soit édile ».

 

J’entre pour observer, sur le mur nord, une fresque qui ne semble pas du meilleur goût, négligeant le tenancier affairé au-dessus du foyer derrière le comptoir. Un soubassement rouge est surplombé, sur un fond blanc, de quatre scènes encadrées du même rouge. Le peintre est en effet un amateur… je suis passée dans des villas où, là, j’ai vu des chefs-d’œuvre. L’ « artiste » avait peut-être une dette à payer au caupo et l’a réglée au plus vite. Quoiqu’il en soit, je m’amuse de ces saynètes qui donnent, telles des bandes dessinées, à lire et à regarder.

Fresque de la Caupona de Salvius,  Pompéi, 1er siècle, conservée au Musée Archéologique National de Naples, Invent. 111442 (CIL 4.3494) (source de l’image : ArchaiOptix, wikimedia)

 

Je fais d’abord la rencontre de ce couple d’amoureux… C’était sans compter la lecture de l’inscription qui accompagne les personnages qui s’embrassent. « Nolo cum Myrtale », « Je ne veux pas (faire ça) avec Myrtale ». La  jeune femme appréciera la comparaison. Qui est cette Myrtale4 au nom aux consonances grecques qui évoque le myrte, l’arbuste sacré de Vénus, et qui occupe les pensées de notre personnage ? Peut-être une courtisane si on s’en réfère à la symbolique du myrte, métaphore du sexe féminin chez Aristophane5.

Mon regard se pose ensuite sur une scène de taverne dans laquelle un client s’écrie, en direction d’une serveuse les mains pleines, « Hoc », « Ici ! » (sous-entendu « c’est ici », « apportez-la ici »). Un autre s’interpose : « Non, mea est », «  Non, c’est la mienne ! » (sous-entendu « c’est MA boisson », « [potio] mea est »). La serveuse tend un poculum, un verre à boire, et conclut cavalièrement : « Qui vol[t] (autre écriture pour vult), sumat », « Celui qui la veut, qu’il la prenne ! ». Un autre client, hors-champ cette-fois, répondant du nom d’Oceanus (un habitué ?), semble lui aussi interpellé par la serveuse : « Oceane, veni, bibe », les deux impératifs pouvant être traduits par « Oceanus, viens boire ! ». On dirait que notre habitué va remporter le verre tant disputé…

Une nouvelle saynète attire mon attention. Deux joueurs de dés se font face autour d’une table. L’un clame sa victoire, « Exsi », « J’ai gagné ! », l’autre conteste le score qu’il voit apparaître sur le dé, en pointant du doigt et répliquant : « Non tria, duas est », « Ce n’est pas un trois, mais un deux ».

Mais c’est qu’ils en viennent aux mains ! Sur une dernière vignette, je vois le premier qui insiste sur son innocence et qui dénonce un préjudice sur sa personne : « Nocsi (que nous corrigeons en noxi, vocatif de noxius) », « Han ! tricheur ! ». C’est bien lui qui aurait dû être le vainqueur : « A me tria » (sous-entendu « jacta sunt » si l’on admet une forme passive), « j’ai bien fait un trois ! ». « Eco (que nous corrigeons en ego) fui », « c’est moi [le gagnant] ! »

Le rival ne l’entend pas ainsi : « Orte (contraction de Oro te, le -o étant syncopé dans ce style oral) », ce « je t’en prie », qui est un peu trop soutenu vu le contexte, peut être traduit par un « oh pitié ! » agacé et impatient, à tel point que l’insulte fuse : « fellator », « espèce de fellateur ! ». Le fellator est littéralement « celui qui suce », comprenne qui voudra… Le « eco (= ego) fui » fait écho au précédent : « c’est moi [le vainqueur] ! ». C’en est trop pour l’aubergiste qui met fin à cette guerre d’égos et qui les pousse hors de la taverne : « Itis foras6 rixsatis (à corriger en rixatis) », « Allez vous battre dehors ! ».

Mais quels messages le caupo peut-il bien m’envoyer ? Que je puis trouver la compagnie de courtisanes dans la pièce attenante ? Que je n’ai pas intérêt à me battre ou me quereller ? Que le service est approximatif ? (rires) Que je peux m’arrêter pour jouer une partie de dés ? Que l’on sache lire ou pas, les indications sont explicites. C’est vrai que j’ai déjà vu ce type d’affichettes pendant mon étape à Herculanum, une enseigne à hauteur de regard où j’ai pu lire AD CVCVMAS (« Aux chaudrons » ou « Aux marmites »), montrant quatre pichets de couleurs différentes, nommant et fixant le prix des boissons vendues là-bas7. Ici, on nous annonce plutôt les services proposés, et l’humour et l’autodérision semblent faire partie de la prestation !

Je me retourne, toujours dans mes pensées. J’entraperçois un escalier en bois par la porte de la pièce arrière, à l’autre bout, d’où se diffuse le brouhaha des clients. L’étage supérieur sert sûrement à conserver le stock de provisions. Soudain, un bruit de vaisselle me fait sursauter. C’est bien une femme que je vois au service, comme sur la fresque. Je m’arrange pour ne pas croiser son regard, elle est déjà aux prises avec une paire de joueurs extravertis, et je n’ai pas envie de m’asseoir pour consommer. En plus, on m’avait vanté des lits, pour boire et manger, à la romaine pardi ! Or, je les vois tous agglutinées sur des tabourets autour de tables trépieds… « In sellariolis […] popinis »8, comme dirait Martial. Je n’ai rien contre les ambiances populaires mais je ne suis pas sûre que la caupona soit si bien fréquentée, quand un client (encore un mauvais perdant ?) lâche un « In cruce figaris »9, « Va te faire crucifier ! » à travers la pièce.

Bien sûr, cette courte promenade dans Pompéi n’a été que virtuelle, mais j’espère qu’elle vous aura permis de replacer l’œuvre dans son contexte. Si vous voulez observer cette fresque (CIL IV, 03494), sachez qu’elle est conservée au Musée Archéologique National de Naples (inv. n° 111482). La caupona de Salvius sera, quant à elle, je l’espère, un peu plus vivante quand vous la visiterez (VI, 14, 35-36).

 

      1. Mercure est le dieu romain des commerçants… et des voleurs !
      2. Une caupona est une taverne, on y sert essentiellement du vin, mais aussi des repas préparés dans les jarres incrustées dans les comptoirs, les dolia.
      3. L’édilité est une des charges administratives briguées par les citoyens romains lors des élections : l’édile est chargé de l’inspection des édifices et de l’approvisionnement de la ville.
      4. La comparaison avec Myrtale est d’autant moins flatteuse quand on a en tête ces quelques vers de Martial (Epigrammes,5.4) :

Fetere multo Myrtale solet vino,

sed fallat ut nos, folia devorat lauri

merumque cauta fronde, non aqua miscet.

Hanc tu rubentem prominentibus venis

quotiens venire, Paule, videris contra,

dicas licebit: “Myrtale bibit laurum”.

Myrtale pue généralement le vin à cause sa consommation excessive,

mais, pour nous tromper, elle mâche des feuilles de laurier

et mélange habilement le vin avec les feuilles, pas avec de l’eau.

Ô Paulus, chaque fois que tu la verras venir vers toi,

le visage rouge aux veines gonflées,

tu pourras dire : “Myrtale boit du laurier”.

      1. Dans Lysistrata
      2. On peut lire ailleurs la transcription « foris » mais l’écriture cursive à cet endroit indique un A. De plus, il y a l’idée que l’on pousse les deux hommes vers l’extérieur, avec un mouvement qui les accompagne, ce que traduit davantage « foras ».
      3. Pour en savoir plus sur la taverne « Aux chaudrons », vous pouvez lire cet article : https://nunc.ch/aux-chaudrons-les-clients-ne-sont-pas-des-cruches/
      4. Epigrammes,5.70.3
      5. On peut lire le graffiti dans les thermes de Stabies : « in cruce figarus » (lire figaris).

 

Article de référence :

James Clackson, “The language of a Pompeian tavern: submerged Latin?”, in J.N. Adams & N. Vincent (eds.) Early and late Latin: continuity and change, Cambridge: Cambridge University Press, 69-87, 2016

 

Un grand merci à Hugo Blanchet grâce à qui cet article a été enrichi.

A propos ju wo

Professeur de français et des options FCA et LCA dans l'académie de Lille. Passionnée de cultures antiques et de langues anciennes et attachée à leur rayonnement et à leur promotion dès l'école primaire. Co-responsable du concours ABECEDARIVM pour l’association ATC.

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