Media : France Culture
Emission : Les idées claires
Présentation:
26-04-2011 (5′)
En Belgique, la crise est avancée, l’incapacité des parties prenantes à former un gouvernement avérée, la paralysie semble totale. Que faire ?
Eh bien j’ai une proposition : pourquoi ne pas le tirer au sort, cet introuvable gouvernement ?
Non, ceci n’est pas une blague. Le tirage au sort est un mode de désignation démocratique comme un autre. Et qui mérite qu’on ait à son sujet les idées plus claires.
En France Jacques Rancière l’évoque dans son ouvrage La haine de la démocratie et il est plus longuement développé encore dans un des derniers livres d’Yves Sintomer, Le pouvoir au peuple.
« Le pire des maux, disait Platon, est que le pouvoir soit occupé par ceux qui l’ont voulu ». C’est malheureusement désormais la règle partout.
Le plus drôle (dans cette histoire qui n’est pas une blague) c’est que les mêmes qui se gargarisent de références à la démocratie athénienne oublient volontiers qu’Athènes avait un usage aussi fréquent qu’institutionnalisé du tirage au sort, pour éviter justement que le pouvoir échoie aux intrigants, à la clique des ambitieux.
Au risque d’un gouvernement des incompétents ? Mais c’était un moindre mal ! Il fallait se méfier par-dessus tout du gouvernement des compétents, celui des hommes habiles à prendre le pouvoir par la brigue.
Ainsi au cours des cinquième et quatrième siècles, chaque citoyen pouvait se porter candidat au tirage au sort ; c’est ainsi, entre autres, qu’on formait la Boulè, une assemblée dotée de véritables pouvoirs : on l’appelait aussi le « Conseil des cinq cents » et on y préparait des décisions, on se chargeait de leur exécution, on adoptait certaines lois. La même assemblée était responsable de l’administration et des finances, et d’une partie de la politique extérieure. Bref, elle était très importante, déterminante pour le fonctionnement politique de la cité.
L’idéal est « à la fois politique et épistémologique, explique Yves Sintomer, il s’agit de défendre l’égale liberté des membres de la Cité et de proclamer que tous ont légitimement part à la réflexion et à l’action politiques, qui ne sont considérées ni l’une ni l’autre comme des activités spécialisées ». On estime qu’environ 70 % des citoyens de plus de 30 ans ont été bouleutes ( appartenu à cette assemblée ) au moins une fois dans leur vie.
Aujourd’hui notre sensibilité nous porte à ne pas prendre les procédures aléatoires au sérieux. Nous croyons peu aux vertus de la participation directe, et les jurys citoyens, conférences de consensus, et autres sondages délibératifs, restent à l’état d’expérience.
On craint qu’ils ne récompensent pas les meilleurs, et pire de désigner des incapables. A y bien réfléchir, le reproche est injuste : le tirage au sort n’a jamais favorisé les incompétents plus que les compétents. Puisque précisément c’est le hasard.
Et puis il y a des moyens de l’organiser qui en ferait, aujourd’hui encore, un excellent mode de désignation pourvu qu’on reconnaisse, comme les Grecs, que la démocratie ne se résume pas aux élections. Le scrutin n’est pas l’alpha et l’oméga d’une vie démocratique, loin de là.
Relevons juste qu’en France aujourd’hui on ne tire plus au sort que les jurys d’assises. Ce qui peut sembler un drôle de paradoxe : pourquoi serait-on compétent pour juger ses pairs au prétoire et non pour penser les affaires de la cité au Palais Bourbon ?
En attendant, sachez qu’avant de tomber en désuétude à la fin du 18ème siècle, le tirage au sort a été en vogue dans les Républiques italiennes de la Renaissance, et pour une simple et bonne raison : c’était la solution la plus simple et efficace, la plus neutre, pour résoudre des conflits entre les grandes familles et répartir les charges politiques entre les différents clans.
Non, décidément, tout cela ressemble de moins en moins à une blague…
Et tiens, les Belges pourraient s’inspirer de l’élection…eh bien de l’élection du Doge à Venise, par exemple.
Le conseiller le plus jeune sort de la salle de réunion et en revient avec le premier enfant qu’il rencontre dans la rue dont l’âge est compris entre 8 et 10 ans.
Au centre de la salle est placé un grand sac qui contient autant de billes de bois qu’il y a de conseillers. Sur trente d’entre elles figure le mot « électeur ». Les conseillers défilent en silence devant l’urne et le jeune garçon tire les billes et en donne une, tour à tour, à chacun d’eux. Les 30 conseillers qui reçoivent une bille électorale restent dans la salle, les autres s’en vont. Les conseillers présents ne peuvent faire partie de la même famille : si c’est le cas, ils doivent renoncer à leur rôle et sont replacés par le même mécanisme par d’autres conseillers.
Dans un second temps, les 30 conseillers restants sont réduits à 9, en utilisant le même système. Au troisième tour, les 9 sélectionnés élisent 40 personnes parmi les membres du Grand Conseil. Au quatrième tour, les 40 élus sont réduits à 12 par tirage au sort. Vous me suivez toujours ? Au cinquième, ces derniers élisent 25 personnes parmi les conseillers ; au sixième, ces 25 sont réduits à 9 par tirage au sort ; au tour suivant, ces derniers élisent 45 conseillers, qui sont au septième tour réduits à 11, toujours par tirage au sort; ces derniers élisent (toujours à la majorité qualifiée) les 41 conseillers qui, grâce à un neuvième tour, élisent en conclave le doge, avec une majorité qualifiée de 25 voix .
Eh bien voilà, il ne reste plus qu’à se lancer. Le procédé devrait être à la hauteur de la complexité belge et de sa sensibilité au surréalisme.
Attention, tout cela n’est pas tout à fait une blague : Venise fut une des cités les plus stables de la Péninsule….
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