ARCHITECTURE
et URBANISME ETRUSQUES
par Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere
Les Etrusques étaient considérés
par les Anciens comme de grands architectes et urbanistes, mais les
vestiges de bâtiments sont rares étant donné leur prédilection
pour des matériaux périssables. Il faut parfois se contenter, pour
connaître leur architecture, des écrits de Vitruve et des modèles
réduits de maisons et de temples trouvés dans les tombeaux.
VOÛTES ET TRAVAUX HYDRAULIQUES
LE PROBLEME DE LA VOÛTE ETRUSQUE
Les Etrusques
passent pour avoir transmis aux Romains l´art de construire des
arcs et des voûtes. En réalité on peut douter de leur connaissance
de l´arc véritable, à claveaux, qui répartit également les
poussées et permet de bâtir des voûtes solides : les preuves
archéologiques manquent.
Les voûtes et coupoles des tombes
étrusques sont à encorbellement : la rangée supérieure de
pierres déborde un peu l´inférieure, ainsi de suite ;
c´était le système mycénien, non conservé par les Grecs qui
utilisèrent très peu a voûte clavée, préférant le système
pilier-linteau.
Les quelques arcs clavés chez les
Etrusques (portes dans les murailles de Volterra, Pérouse, Faléries,
Fiesole, Populonia) sont récents “ IIIème ou IIème siècles “
et parfois peut-être romains. Quant au fameux Cloaca Maxima
drainant les marécages du Forum romain, il fut longtemps un
canal à l´air libre et son arc plein cintre ultérieur, souvent
photographié, montre un clavage maladroit.
Il est vrai que l´élevation, sur
des fondations en pierre, de superstuctures en matériaux périssables
(bois, briques séchées au soleil ou cuites) n´a pas facilité la
conservation des édifices, et donc des preuves archéologiques de
l´art de bâtir étrusque.
LES TRAVAUX HYDRAULIQUES
En ce domaine, pas de discussions :
les Etrusque ont bien été des maîtres “ comme pour l´arpentage
des terres d´ailleurs. Ils ont drainé, par la construction de
puits reliés à des canaux souvent souterrains, les zones
marécageuses de la plaine du Pô et des côtes tyrrhéniennes.
On retrouve à Marzabotto des égoûts
spectaculaires et à Pérouse de magnifiques puits. A Véies, une
galerie de 70 m de long, creusée dans le tuf (le Ponte Sodo),
permet la suppression d´un méandre de la Valchetta à partir
duquel se produisaient des inondations. Sous la ville, un réseau de
« cunicules » (hauteur : 1, 70 m , largeur :
0,60 m) évacuait les eaux.
LA VILLE ETRUSQUE
Détruites par les
Romains ou ensevelies sous des constructions postérieurers, les
villes étrusques sont désormais mieux connues après quelques
décennies de fouilles : pendant longtemps on ne pouvait
s´appuyer que sur l´exemple très particulier de Marzabotto. Or,
les Etrusques avaient une vraie civilisation urbaine au moment où
les autres peuples italiques vivaient encore en villages.
SITES : un plateau de tuf
(volcanique) ou une colline “ Orvieto/Volsinies est construite sur
un véritable piton – à proximité d´une plaine agricole et d´un
cours d´eau conduisant éventuellement à la mer. Les nécropoles
s´installaient au pied de la pente ou sur le rebord d´un plateau
voisin. D´où des superficies souvent modestes : 20 à 30
hectares pour Arezzo, Chiusi, Cortone, Fiésole, Pérouse et même
Marzabotto ; 100 à 200 hectares pour Caeré, Populonia,
Tarquinia, Véies, Volsinies, Volterra ; 300 hectares pour
Felsina. Ces villes atteignaient peut-être 20 à 40 000 habitants,
soit la population des grandes cités grecques contemporaines.
RITES DE FONDATION : pour créer
l´urbs iustia décrite par Vitruve,il fallait suivre les
tuscanae dispositiones d´origine religieuse. Le fondateur,
la tête couverte d´un sac, creusait le « sillon primordial »
à l´aide d´un araire en bronze tiré par une génisse et un
taureau blancs, la terre étant rejettée vers l´intérieur.
L´espace ainsi délimité était désormais sous la protection des
dieux dont on avait évidemment demandé l´avis avant de commencer
le sillon. Ensuite, découpage interne par des sillons orientés
nord-sud et ouest-est : 3 rues principales recoupant le Cardo
maximus et à ce carrefour central, on enterrait un cippe
gravé, acte de fondation de la ville et intermédiaire avec les
divinités souterraines. De même on devait ménager 3 portes et
élever 3 temples dans un même secteur devenant ainsi la zone sacrée
de la ville.
PLAN : c´est un compromis entre
la doctrine étrusque (2 axes orthogonaux) et les canons grecs :
pluralité des axes pour mieux desservir l´habitat. Les grands axes
ou voies larges ( plateiai) sont recoupés à angle droit par
des rues secondaires étroites (stenopoi). A Marzabotto :
15 m de large pour les plateiai, sans compter un trottoir et
un caniveau de chaque côté ; 5 m de large pour les stenopoi.
A Véies : 5 m et 2,80 m ; à Musarna 6,70 m et 4,10 m.
ENCEINTES : puissantes, elles
suivent en lignes sinueuses le contour des plateaux et des collines.
Précédées de profonds fossés, elles résistèrent longtemps aux
assaillants gaulois et romains.
Roselle : VIème siècle ;
3 km ; gros blocs polygonaux de tuf (jusqu´à 2 m de haut) ;
3 portes monumentales.
Véies : VIème siècle ;
solide rempart en blocs de tuf qui aurait résisté 10 ans
(405-396) ; 10 portes.
Musarna : tuf taillé sur 5
m de haut surmonté d´un mur épais de 4 m et fossé profond de 6 m
et large de 12 m.
Vulci : IVème siècle ;
gros blocs de tuf ; uniquement dans les secteurs sans protection
naturelle.
Tarquinia : 8 km en
épousant le contour de la colline de la Civita.
Volterra : 7,5 km, très
sinueuse et conservée sur d´importantes portions.
PALAIS et MAISONS
Certains bâtiments
comportant de nombreuses pièces sont interprétés comme des
« palais » résidence des grandes familles princières.
MURLO (à 20 km de Sienne) :
ensemble de 18 pièces élevé au VIème siècle (600/590-550/530) en
briques crues ; il occupe un carré de 60 m de côté, entourant
une cour centrale par un portique sur 3 côtés.
ACQUAROSSA : construction plus
petite (carré de 35 m de côté) bâtiments allongés et tripartites
à l´intérieur, précédés d´un portique sur 2 côtés qui
borde une cour ajoutée postérieurement.
PRATO : complexe résidentiel de 1
400 m2 autour d´une cour quadrangulaire à compluvium et portique.
MARZABOTTO : un bâtiment de 1 800
m2 du début Vème siècle.
La maison étrusque est l´ancêtre
de la maison romaine à atrium : son plan, adopté dès le VIème
siècle, est un rectangle fermé sur lui-même et symétrique par
rapport à un axe central tripartite (c´est la domus iusta =
qui suit les règles comme l‘urbs iustia).
Couloir d´accès ou
vestibulum : il permet d´entrer dans la maison.
Espace central ouvert :
cour à impluvium avec citerne pour récupérer l´eau de
pluie, entourée de salles (dépendances) sur les 2 côtés opposés.
Fond : tablinum =
pièces du logis familial.
MURS : fondations en pierres
équarries ou en gros galets ; élévation en briques crues
séchées au soleil ou parois en treillis (poteaux et branchages
entrelacés) remplis d´argile.
TOITURE : tuiles plates et
couvre-joints (tuiles creuses) = toits très lourds soutenus par une
solide charpente.
Avant cette maison-type étrusque, les
Villanoviens habitaient des huttes carrée ou ovalaires, couvertes
par un toit de chaume à double pente ou pyramidal (témoignage des
urnes cinéraires “ modèles réduits de ces cabanes). A partir du
IIème siècle les riches étrusques adoperont, comme les Romains, le
plan grec à péristyle.
Les représentations de maisons
patriciennes dans les tombeaux montrent le luxe intérieur de ces
dernières : chambres avec lits couverts de coussins, fauteuils
et sièges pliants ; salle à manger avec somptueux lits de
festin et objets en ivoire et bronze (cistes, candélabres,
statuettes, …).
LES TEMPLES
C´est le domaine qui illustre le
mieux l´ordre toscan défini par Vitruve qui en a fait un ordre à
part entière à côté des trois ordres grecs.
IMPLANTATION : selon le modèle
grec réinterprété, le temple de fondation de la cité s´élèverait
sur l´acropole alors que les temples des divinités protectrices de
la cité seraient intégrés à l´habitat. Quoiqu´il en soit, les
temples et autres édifices religieux (autels, …) sont toujours à
l´intérieur d´un périmètre sacré délimité par un mur :
le temenos grec ou templum latin. L´orientation
idéale est la façade tournée vers le sud.
PODIUM : soubassement naturel
(colline entaillée) ou construit en blocs de tuf ou de grès, assez
élevé (4 m de hauteur pour le temple de Jupiter capitolin dans la
Rome des rois étrusques) pour que la divinité puisse voir à 360°.
Un escalier plus ou moins monumental en façade permet d´accéder à
sa plateforme.
PLAN : un rectangle presque carré
(5/6), loin du rectangle allongé grec, ouvert au sud (jusqu´à fin
VIème siècle) et divisé en deux parties égales. La pars antica
ou pronaos grec est donc profond avec sa double rangée de
4 colonnes en façade. La pars postica est divisée en 3
cellae, chambres pour la statue de chacune des 3 divinités.
Parfois, les 2 murs externes de cellae latérales se
prolongent vers l´avant enserrant les colonnes de la façade qui
devient ainsi in antis.
Dans le modèle
vitruvien, la cella centrale occupe 40% de la largeur totale
et chaque cella latérale 30%, mais la plupart des temples
réels ont 3 cellae de même largeur. Certte division
tripartite systématique montre l´importance de la triade étrusque
abritée par ces temples : Tinia, Uni, Menerva = Jupiter, Junon,
Minerve des Romains.
ELEVATION :
les colonnes de l´ordre toscan ont un fût lisse (souvent en bois
recouvert de stuc ; en pierre que pour les plus grands temples)
sur une base circulaire (plinthe et tore) et coiffé d´un chapiteau
à échine aplatie et renflée sous l´abaque.
Les
superstructures sont en bois : architrave, charpente du toit,
autant de poutres qui débordent de la verticale de la toiture ;
absence de fronton plein à la grecque.
PROTECTION et
DECORS : il faut donc protéger des intempéries ces boiseries,
en particulier le bout des poutres ; d´où l´emploi à
profusion de terres cuites qui, peintes en couleurs vives, servent
aussi de décor qui peut être exhubérant. Les boiseries
horizontales sont couvertes de frises en plaques rectangulaires
historiées de scènes mythologiques. Les bords des tuiles
extérieures sont terminés par des antéfixes à visages humains ou
têtes animales. Enfin le faîte du toit et ses angles reçoivent les
fameux acrotères : statues parfois grandeur nature de divinités
ou de personnages héroïques : Apollon, Hermès, Héraclès,
Latone au temple Portinaccio de Véies.
AUTELS : à
l´extérieur du temple, pour les sacrifices. Temple D de Marzabotto
(Vème siècle) : un carré de 9 m de côté avec escalier
d´accès. A Arezzo (Vème siècle), un rectangle de 5 X 3,75 m. A
la nécropole de Norchia : diamètre de 6 m, entouré de 3 côtés
par des gradins pour les spectateurs des sacrifices. On été
retrouvés aussi de petits autels percés de cavités pour
l´écoulement des liquides lors des libations.
EVOLUTION
D´après les modèles votifs en
terre cuite on peut avoir une bonne idée de l´évolution du temple
étrusque primitif. Les plus anciens étaient de simples sacellum
à pièce unique rectangulaire (cf Piazza d´Armi à Véies) ;
ensuite c´est une cella unique précédée d´un pronaos
à 2 colonnes in antis ; enfin, triple cellae.
En réalité
chambre unique et chambres triples se chevauchent chronologiquement
et d´importantes variantes ne manquent pas. Exemple de Pyrgi :
temple B ((510) cella unique et colonnade sur les 4 côtés =
modèle grec périptère (idem pour le temple de Tinia à
Marzabotto : 35,5 x 22 m) ; temple A (470-460) : cella
triple et pronaos in antis = modèle de Vituve.
Quelques
dimensions : à Caeré (vers 500) temples A (24 x 16,5 m) et B
(25 x 20 m) ; à Véies (fin VIème siècle) temple Portinaccio
(carré de 18,5 m de côté) ; à Marzabotto, temple de Tinia
(35,5 x 22 m) ; dans la « Rome étrusque », le
temple de Jupiter capitolin était un géant pour l´époque (fin
VIème siècle) avec 63 m de long sur 53 m de large..
BILAN : une
silhouette basse, trapue à cause de la grande importance donnée au
toit (spécificité étrusque) éclairée par le chatoiement des
couleurs des terres cuites décoratives.