LA
RELIGION ETRUSQUE
par Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere
Sources : Dominique
BRIQUEL ? (1999) et Jean-Pierre THUILIER (2003).
Aux yeux des Romains, en particulier
de Tite-Live, les Etrusques passaient pour être « les plus
religieux des hommes ». Il est vrai que pour l´Antiquité
classique, la religion était avant tout des rites, des pratiques
pour des relations apaiséesd entre le monde des hommes et celui des
dieux, afin dd´obtenir protection et bienfaits pour la cité. Or
dans le domaine des rites à respecter, les Etrusques étaient
particulièrement qualifés.
UNE RELIGION REVELEE
La religion étrusque est souvent
qualifiée de « religion révélée » et même de
« religion du Livre », ce qui est banal pour les
monothéistes (juifs, chrétiens, musulmans) mais n´allait pas de
soi dans l´Antiquité.
Un mythe fondateur, sorte de
Genèse : l´appartition de TAGES, sorti d´un sillon tracé
par un laboureur de Tarquinia avec l´apparence d´un enfant et la
sagesse d´un vieillard (d´après Cicéron). Il dicte alors la
conduite à tenir et ses paroles seront inscrites dans les livres
sacrés = Libri Etrusci, puis il disparaît sous terre. Une
autre version, celle de Chiusi, remplace simplement Tagès par la
nymphe Végoia.
Cette Disciplina Etrusca basée
sur les Libri Etrusci, correspond à une doctrine théorique
et surtout à un ensemble de procédés pour connaître l´avenir
grâce aux signes envoyés par les dieux. Ils ne pouvaient être
interprétés que par des prêtres très instruits et spécialisés :
les haruspices, qu´il fallait consulter avant toute décision à
prendre.
En réalité, ce n´est pas une
religion avec théologie, métaphysique et morale, mais un art de la
divination fondé cependant sur les livres qui décrivent et
expliquent le sens des rites, alors que le polythéisme grec ou
romain est issu de coutumes à interprétations multiples. L´apport
oriental (divination) et grec (dieux anthropomorphes, vision des
Enfers) est très visible.
DIVINITES et DEMONS
Leurs noms sont
fournis par diverses inscriptions étrsques et par les textes grecs
et romains.
NOMS ETRUSQUES
Tinia (Tin) = Zeus
(Jupiter) roi des dieux et maître de la foudre, représenté barbu
et âgé à la mode grecque, protecteur de la ligue étrusque au
Fanum Voltumnae sous la forme de Tinia Voltumna.
Turan =
Aphrodite (Vénus) souvent entourée de servantes sur les
miroirs.
Turms = Hermès (Mercure).
Fufluns = Dionysos (Bacchus)
dieu de la végétation et de la vigne.
Sethlans ou Velchans =
Héphaïstos (Vulcain) dieu forgeron.
NOMS GRECO-ITALIQUES
(Racines grecques)
Aita = Hadès (Pluton) dieu des
Enfers Apulu = Apollon
Artumes = Artémis
(Diane) Phersiphai = Perséphone (Proserpine)
[ Hercle = Héraclès
(Hercule) héros très populaire en Etrurie.
(Racines latines)
Culsans = (Janus) Maris =
Arès (Mars) amant de Turan, dispose de la foudre
Menerva = Athéna (Minerve)
Nethuns = Poséidon (Neptune) eaux, mer
Satre = Chronos
(Saturne) Selvans = (Sylvain)
Uni = Héra
(Junon) forme avec Menerva et Tinia une triade présente dans toutes
les cités, à l´origine de la division tripartite de
la cella des temples.
Vertumus =
dieu juvénile de la végétation
DEMONS DE L´AU-DELA
Masculins ou féminins, ils
accompagnent les défunts dans leur périlleux voyage vers l´au-delà
(les Enfers) ; le plus souvent ailés, ils préfigurent
peut-être les anges chrétiens. Intermédiaires entre les divinités
et les hommes, ils étaient calmes et sereins au VIème siècle avant
de devenir plus tard terrifiants.
Charu ou Charun = (le
Charon grec et sa barque) nez crochu, oreilles pointues, peau bleue,
serpents sur sa tête et gros marteau à la main pour ouvrir la porte
des Enfers.
Tuchulcha = le plus effrayant :
bec de rapace et 2 serpents autour des bras.
Les démons féminins apparaissnet
tout en douceur et beauté …
Lases ailées, poitrine nue et
torche à la main, encadrant la porte des Enfers.
Vanth enveloppe de ses ailes un
jeune mort banquettant dont le destin est inscrit sur le rouleau tenu
par la main gauche de Vanth.
Ce polythéisme banal s´accompagne,
lors des fêtes répertoriées tout au long de l´année sur le
calendrier liturgique (futurs fastes romains), de processions et de
sacrifices. Ces derniers ont pour utilité première de consulter la
volonté des dieux en examinant les entrailles de la victime, le foie
en premier : il y a ainsi un échange régulier entre hommes et
divinités, matérialisé aussi par les nombreux temples.
LES HARUSPICES et LEURS
LIVRES
HARUSPICES :
recrutés uniquement dans les familles aristocratiques qui assurent
leur longue formation par transmission orale, ils sont vêtus d´un
manteau court brodé de franges et fermé par une grosse fibule, d´un
bonnet pointu à larges bords. Ils observent méticuleusement
l´éclair et le vol des oiseaux dans le ciel, le foie d´un animal
sacrifié ou ils élucident le sens d´un prodige : tout
cela afin de déterminer la divinité mécontente et la cérémonie
expiatoire à faire. Cette complexe divination s´appuyant sur les
Libri Etrusci, les haruspices sont souvent représentés avec
un livre à la main.
LIVRES :
Libri Haruspicini pour
l´examen des exta = entrailles des animaux
sacrifiés (héritage mésopotamien), le foie en premier car il est
réputé pour être le siège de la vie.
Libri fulgurales pour
interpréter les éclairs de foudre, manifestation de la puissance du
roi des dieux (Zeus-Jupiter) dans l´Antiquité gréco-romaine.
Libri Rituales qui concernent
tous les autres aspects de la vie des cités et des individus. Les
Libri Acheruntii pour guider les morts dans l´au-delà ;
les Libri Ostentaria sont un recueil de prodiges alors que les
Libri Fatales annoncent les arrêts du Destin (Fatum en
latin). Ils fixent la vie humaine à un maximum de 12 fois 7 ans (84
ans) et celle de la nation étrusque à 10 siècles, un prodige (coup
de trompette dans un ciel serein) matérialisant le passaged´un
siècle à l´autre. Si ce sont des siècles de 100 ans, on aurait
donc 1 000 ans, soit la période qui va du Villanovien à la fin de
l´art et de la langue étrusques …
LES PROCEDES DE DIVINATION
HEPATOSCOPIE (examen du foie) :
cette haruspicine est la grande spécialité étrusque. Un miroir de
Vulci montre l´haruspice Chalchas (= le devin grec de la Guerre de
Troie) examinant avec grande attention un foie, les autres viscères
étant étalés sur la table. Sur un autre miroir, un jeune haruspice
tient dans sa paume gauche un foie dont les lobes retombent de chaque
côté ; il le palpe avec les doigts de sa main droite.
Pour cet examen complexe, les
haruspices bénéficiaient de modèles comme celui d´un foie de
mouton, en bronze [à Mari, en Mésopotamie, nombreux foies en terre
cuite], trouvé à Plaisance en 1877 :
Face concave : 40 cases
avec un ou plusieurs noms de divinités, bordées par 16 cases = les
16 régions du ciel attribuées à une divinité particulière (Tinia
s´en arroge 3 à lui tout seul …).
Face convexe, divisée en 2
lobes avec un nom d´inscrit : Usil (soleil) sur le droit,
moitié favorable ; Tiur (lune) sur le gauche, moitié
défavorable.
Cette représentation du monde des
dieux est orientée : les 4 points cardinaux délimitent 4
parties (elles-mêmes divisées en 4) ; d´une façon générale,
l´est (= soleil levant = naissance = la droite) est considéré
comme favorable et l´ouest (soleil couchant = la mort = la
gauche) l´inverse.
L´haruspice recherche les anomalies
du foie, repère les cases où elles se trouvent = indication des
divinités concernées ; il établit ensuite un diagnostic et
préconise les rites à accomplir.
FOUDRES : il s´agit
d´interpréter les éclairs = nombre, origine (partie du ciel
divisé en 16), direction, point d´arrivée, couleur (rouge =
Tinia), durée, jour ou nuit, effets matériels (persé, brisé,
totalement brûlé). Il existait 11 espèces de foudre et 9 dieux
lanceurs ; Tinia disposait de 3 foudres pour avertissement (à
sa guise), blessures (après avis de 12 divinités), destruction
(accord de toutes les divinités). Pour purification, la personne
foudroyée ou le morceau de sol broyé étaient enterrés sur place.
VOL DES OISEAUX : avec un
lituus ou bâton recourbé, l´auspice (littéralement « voir
les oiseaux ») délimitait une portion de ciel dans laquelle un
vol de gauche à droite est néfaste, l´inverse étant favorable.
D´après Tite-Live, Tanaquil “ femme du futur Tarquin l´Ancien
“ aurait expliqué que l´aigle (l´oiseau de Tinia) qui avait
enlevé le chapeau de son mari puis l´avait reposé sur sa tête
était un signe favorable …
Sur le vase François de Vulci, Vel
Saties observe le vol d´un pic-vert (l´oiseau de Mars) : il
prend les auspices avant de livrer bataille, sans doute une de celles
du milieu du IVème siècle qui virent Vulci et Tarquinia l´emporter
sur Rome.
PRODIGES : ce sont des
événements exceptionnels qu´il faut expliquer et traiter en
conséquence : apparition d´une comète, tremblement de terre
(= colère des dieux), épidémie, malformations animales ou humaines
(animal brûlé, humain immergé en pleine mer), miel qui coule d´un
olivier, …
PERDURATION
C´est l´élément
de la civilisation des Etrusques qui a duré le plus longtemps après
la perte de leur indépendance.Les Romains
étaient conscients de l´infériorité de leurs procédés
divinatoires et ils ont intégré la divination étrusque à
leur religion : la disciplina etrusca devient un « bien
romain ». Le collège des Soixante Haruspices a été organisé
(l´Empereur Claude lui donnera beaucoup plus tard, en 47 après
J.-C., une impulsion nouvelle) dès la conquête de l´Etrurie
achevée, à Tarquinia puis à Rome, ce qui a facilité l´intégration
de l´aristocratie étrusque chargée de former régulièrement des
haruspices.
A l´époque de Cicéron, deux
Etrusques “ Tarquitius Priscus (de Tarquinia) et Aulus Caecina (de
Volterra) “ ont traduit en latin les Libri Etrusci que
Sénèque et Pline l´Ancien utiliseront. Au début de l´histoire
de Byzance, Jean le lydien pouvait encore consulter des traductions
latines qui ont depuis totalement disparu.
Les plus grands personnages de l´Etat
ont été conseillés par des haruspices : Marius lors de la
guerre contre Jugurtha ; Sylla en 89 avant la bataille de Nola ;
César à qui Spurrina (son haruspice personnel) avait déconseillé
d´aller au Champ de Mars le jour de son assassinat ; Vespasien
en 70 après J.-C. pour la reconstruction du temple de la triade
capitoline ; Julien au milieu du IVème siècle pour son
expédition contre la Perse. Des haruspices proposent encore leurs
services à saint Augustin (fin IVème siècle) et même en 408,
quand les Goths d´Alaric assiègent Rome.
La religion étrusque a été le
dernier rempart du polythéisme romain contre le christianisme
triomphant : Théodose avait interdit en 385 les sacrifices
sanglants, donc l´haruspicine ; mais en 633 encore on relève
lors du concile de Tolède l´interdiction faite au clergé chrétien
de consulter les haruspices. Il est probable qu´à cette date là ,
ce n´était plus de vrais haruspices …
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