On a testé pour vous : la conférence de la BNF sur la confection des céramiques grecques
Source : détail d’une hydrie attique à figures noires, attribuée au groupe de Léagros, vers 520-510 avant notre ère, Staatliche Antikensammlungen, Munich, in Jasper Gaunt, The Berlin Painter and His World : Athenian Vase-Painting in the Early Fifth Century B.C, publié en 2018 sur https://www.researchgate.net/publication/324262890_The_Berlin_Painter_and_his_Potters
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Dans le cadre des cours publics (et gratuits !) d’archéologie de la Bibliothèque nationale de France (BNF) « De terre, de pierre et de métal : à la découverte de la technique de fabrication des objets antiques », entre le 21 janvier et le 20 mai 2025, Arrête ton char a testé pour vous la première conférence, le 21 janvier, sur le thème « Comment on fait les céramiques à la grecque ».
Cette conférence didactique et passionnante d’une heure et demie, donnée par Louise Détrez, conservatrice chargée des collections de céramique et verre au département des Monnaies, médailles et antiques de la BNF, est visionnable sur la page ad hoc du site internet de la BNF et sur cette page Youtube.
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Voici le plan de la conférence (tel que projeté à l’écran) :
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La confection des céramiques grecques est très clairement expliquée, depuis la sélection, l’extraction et la préparation de l’argile (κέραμος) jusqu’à la cuisson des vases en passant par le façonnage, le séchage et la peinture des pièces. C’est ainsi toute l’activité d’un atelier (ἐργαστήριον, littéralement l’endroit où l’on travaille, du verbe ἐργάζομαι, je travaille) de poterie qui est présentée. La conférence porte aussi, grâce à l’expertise multi-centenaire du Cabinet (royal) des Médailles puis de la BNF, sur l’histoire des recherches menées depuis le Moyen-Âge pour comprendre et reconstituer les techniques antiques de fabrication.
Que de chemin parcouru en effet depuis le Libro della Composizione del Monde de Ristoro d’Arezzo (1282) qui attribuait un caractère divin aux vases grecs noirs et rouges ! Les recherches menées depuis la Renaissance, en particulier celles du comte de Caylus au 18ème siècle et du duc de Luynes au 19ème siècle, vont permettre de mieux cerner les méthodes et composants de fabrication. Ce n’est toutefois qu’il y a un siècle que l’on comprend le principe d’une seule cuisson dont on fait varier la température grâce à l’archéologue américaine Gisela Richter (The Craft of Athenian Pottery, 1924). Les ouvrages plus récents recommandés sont The techniques of Painted Attic Pottery de Joseph Veach Noble (1966) et Athenian Vase Construction : A Potter’s Analysis de Toby Schreiber (1999).
Sans dévoiler les détails de la conférence, qui mérite vraiment d’être regardée : la cuisson est initiée à température basse (120°) pour que l’eau s’évapore, la silice contenue dans l’argile comblant alors les cavités. La température du four est ensuite portée jusqu’à 950° lors d’une phase dite oxydante, ce qui provoque le rougeoiement de l’oxyde de fer. Puis le potier ferme les évents et charge le four en bois vert pour obtenir une atmosphère réductrice, qui donc s’appauvrit en oxygène. Le vase qui aura été préalablement décoré à l’aide d’une pâte, l’engobe, issue de la même argile mais délayée et enrichie de cendre végétale, acquiert ainsi sa bichromie. Les figures rouges (pour les vases éponymes) ou le fond rouge (pour les vases à figures noires) conservent leur couleur lorsque le four baisse en température.
Les défauts de fabrication, liés à des accidents de tournage ou de cuisson, sont par ailleurs bien illustrés au cours de la conférence, en lien avec un poème célèbre (Κάμινος, le four) du Pseudo-Hérodote au chapitre 32 de la Vie d’Homère. Les démons malveillants du four y sont listés, ces καμίνῳ δηλητῆρας, où l’on reconnaît l’accusatif masculin pluriel de ὁ δηλητήρ, ῆρος, le destructeur, issu du verbe δηλέ-ω (à la voix active) ou δηλέ-ομαι (à la voix moyenne) : je blesse, j’endommage (cf. deleo en latin), et le four au datif (exprimant la destination). Homère est mis en scène en train d’avertir le potier qu’il pourrait déchaîner contre lui ces malédictions si son art poétique n’était pas récompensé par le don de magnifiques vases :
ἢν δ´ ἐπ´ ἀναιδείην τρεφθέντες ψεύδε´ ἄρησθε συγκαλέω δ´ ἤπειτα καμίνῳ δηλητῆρας, Σύντριβ´ ὁμῶς Σμάραγόν τε καὶ Ἄσβετον ἠδέ γ´ Ἄβακτον, Ὠμόδαμόν θ´ ὃς τῇδε τέχνῃ κακὰ πολλὰ πορίζοι.
Mais si, sans pudeur, vous cherchez à me tromper, j’invoque [mot συγκαλέω et suivants] sur votre fourneau toutes les pestes : Syntrips [Fêlure], Smaragos [Fracas], Asbetos [Trop-Chaud], Abactos [Casse-Tout] et Omodamos [Cuisson], qui portent à cet art les coups les plus funestes.
L’étymologie de ὁ Ὠμόδαμος, ου, traduit par “la cuisson”, est intéressante : c’est le processus par lequel on dompte la terre crue ou la glaise, du verbe δάμνημι : je dompte et de l’adjectif ὠμός, ή, όν : cru, appliqué ici à la terre.
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Vous l’avez compris : cette conférence ravira à coup sûr les historiens, les archéologues, les historiens ou amateurs d’art, les hellénistes et les curieux.
Le programme des cours publics d’archéologie, plus largement, est disponible pour les mois qui viennent sur cette page du site internet de la BNF. Que cette institution soit ici remerciée pour la qualité et l’accessibilité de ses conférences.
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Pour aller plus loin :
- La retransmission de la conférence sur le site de la BNF et sur Youtube
- La typologie des vases grecs publiée en 2013 par Arrête ton char
- La fiche de la BNF sur la chronologie des vases grecs
- Le texte grec du chapitre 32 de la Vie d’Homère du Pseudo-Hérodote et sa traduction sur le site internet Hodoi Electronikai