Entretien avec Dimitri Tilloi-d’Ambrosi : idées reçues sur le régime des Romains

Dimitri Tilloi-d’Ambrosi est agrégé et docteur en histoire romaine, spécialiste d’histoire de l’alimentation dans la Rome antique. Il a publié La Rome antique. Vérités et légendes (Perrin, 2023) et 24 heures de la vie sous Néron (Puf, 2022), et Le Régime romain (Puf, 2024).

À l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, Le Régime romain, j’ai pu lui soumettre quelques idées reçues sur le rapport qu’entretiennent les Romains à leur alimentation. Alors, vrai ou faux ?

Et pour aller plus loin, testez vos connaissances dans notre quiz final.

Julie Wojciechowski

 

Les Romains ont inventé la gastronomie.

FAUX

La gastronomie peut s’entendre comme la recherche du plaisir gustatif par le choix et la préparation des aliments. Or, des recettes culinaires ont été retrouvées en Mésopotamie sur des tablettes d’argile du IIe millénaire av. J.-C. Par ailleurs, la gastronomie romaine doit aussi beaucoup à celle des Grecs, et des auteurs d’époque romaine impériale comme Athénée de Naucratis (début IIIe siècle) y font abondamment référence.

 

À en croire l’iconographie, les Romains se souciaient de la diététique. 

VRAI

Les nombreuses natures mortes retrouvées sur les fresques et les mosaïques d’époque romaine laissent une large place à des aliments simples et frugaux. Bien sûr, on peut y voir avant tout un motif artistique et une mode décorative. Néanmoins, l’iconographie peut aussi se faire l’écho de préoccupations liées au choix d’une nourriture saine et plus largement d’une hygiène de vie propice à la préservation de la santé. C’est en tout cas une clé de lecture que je propose dans mon livre.

 

Le régime, ce n’est que pour ceux qui en ont les moyens.

FAUX

Suivre les préceptes médicaux de manière complète et assidue nécessite du temps, une culture médicale et des moyens financiers. Par exemple, les poissons de mer souvent prescrits par Galien, peuvent être d’un coût élevé pour les plus modestes. Cependant, Galien cherche à s’adresser aux différentes catégories sociales et à ceux qui n’ont pas accès à une grande diversité de mets ou à des produits de qualité. Il reconnaît que ceux dont la vie est contrainte par le travail et l’effort n’auront jamais une santé optimale, mais il cherche malgré tout à répondre à leurs besoins. Par ailleurs, j’ai pu démontrer qu’il existe une forme de diététique populaire lors de mes recherches.

 

Certains régimes suivent les modes du moment

VRAI

La médecine gréco-romaine est surtout faite de permanences et ne connaît pas de grands changements tout au long l’Antiquité. Toutefois, il existe certaines modes dans les pratiques et les choix, par exemple certains vins seront plus ou moins prisés selon les empereurs en fonction de leur goût mais aussi de leurs propriétés diététiques. En outre, les sources montrent bien qu’entre l’époque hippocratique et le début de l’époque impériale des nouveautés en matière de diététique et de recettes peuvent apparaître.

 

Certains régimes suivent les saisons.

VRAI

Le régime doit constamment être adapté par rapport à l’âge, au sexe, au mode de vie et aux saisons. Les aliments peuvent être plus ou moins secs ou humides, chauds ou froids, et doivent donc être choisis entre autres en fonction de ces critères qui permettent de conserver l’équilibre de la santé. Même les modes de cuisson sont supposés être adaptés aux différentes saisons. Par exemple, lorsque le climat est plutôt sec en été, il conviendra de bouillir les aliments pour apporter de l’humidité au corps.

 

Certains régimes suivent les influences étrangères.

VRAI

À l’époque républicaine, surtout durant les IIe et Ier siècles av. J.-C., l’art médical connaît des évolutions importantes. C’est le temps où la médecine grecque, surtout hippocratique, s’introduit en Italie. Les conseils prodigués en matière de régime apparaissent alors nécessairement comme venant de l’étranger du point de vue romain. La diététique définie par Galien s’inscrit en effet pleinement dans l’héritage hippocratique.

Certains esprits conservateurs comme Caton l’Ancien se montrent méfiants envers les pratiques médicales grecques. Mais cela ne concerne pas que le régime, ce sont surtout les remèdes qui sont visés par ces critiques. À l’époque impériale, Galien rend compte également de l’existence de régimes propres à certaines régions, par exemple à Alexandrie en Égypte, où il a séjourné. Toutefois, ces derniers ne sont pas importés à Rome.

 

Faire un régime, c’est pour maigrir.

FAUX

Le terme régime dans l’Antiquité ne doit pas être compris au sens de régime amaigrissant comme c’est surtout le cas à l’époque contemporaine. Il s’agit avant tout d’un régime (ou d’une diète) en tant qu’hygiène de vie. Celle-ci est complète et suppose un équilibre entre l’alimentation, les exercices physiques, les bains, les massages, le sommeil ou encore les activités sexuelles.

Il existe un traité de Galien intitulé le Régime amaigrissant, mais le titre ne doit pas induire en erreur : il s’agit avant tout d’un régime destiné à réduire les mauvaises humeurs dans le corps. Cela étant, Pline l’Ancien donne quelques conseils pour perdre du poids, c’est donc là aussi une réalité antique du régime.

 

Les Romains savent ce qui est sain ou pas pour eux, sans forcément besoin d’une prescription.

VRAI

Les textes montrent qu’une partie de la population, en tout cas les élites lettrées, peuvent avoir une connaissance plutôt fine des propriétés des aliments. La connaissance médicale fait partie de la culture savante que se doivent de posséder les élites, c’est la paideia. Aussi, les textes médicaux sont-ils lus en dehors du seul cercle des médecins. Dans la littérature, on peut ainsi voir fréquemment mentionnées devant les invités les propriétés des aliments consommés ou des vins bus lors du banquet.

 

Une ordonnance dans l’Antiquité, c’est un peu comme une recette de cuisine.

VRAI

Parmi les nombreuses prescriptions du médecin, ce dernier peut tout à fait conseiller tel régime alimentaire, telle recette ou tel mode de préparation. Galien livre parfois des détails très précis sur la meilleure manière de cuisiner et les erreurs à ne pas commettre. Il constate en effet chez les cuisiniers des pratiques nocives pour le mangeur, par exemple lorsque sont préparées certaines bouillies d’orge. Les conseils médicaux doivent donc permettre d’ajuster la préparation des aliments de manière à optimiser leurs effets sur le corps.

 

Diététicien (diaeteticus), c’est une bonne situation.

FAUX

Les sources mentionnent ponctuellement le terme diaeteticus, de même que l’on rencontre des médecins célèbres pour leur utilisation du vin, mais le médecin hippocratique est en principe un généraliste qui est autant versé dans la diététique et la pharmacopée que la chirurgie. Ces trois branches de la médecine sont complémentaires. En tout cas, à l’exception de médecins illustres comme Galien, la condition du médecin, souvent affranchi, voire servile, n’est jamais très élevée du point de vue social. C’est une activité avant tout manuelle, or les élites romaines accordent plus de prestiges aux activités intellectuelles, comme la rhétorique.

 

Il y a beaucoup de charlatans parmi les prescripteurs.

VRAI

Si l’on se fie à Galien, beaucoup de médecins sont incompétents à ses yeux, voire des charlatans. Il manifeste une haute estime de son savoir et s’en prend fréquemment aux pratiques des autres praticiens. Par exemple, certains médecins s’attachent à prescrire un jeûne de trois jours pour retrouver la bonne santé, ce que Galien juge inutile. Il n’hésite pas même à tourner certains médecins en ridicule.

 

Cuisine et plaisir ne sont pas compatibles pour les philosophes.

VRAI et FAUX

Tout dépend bien sûr des philosophes et des courants de pensée. Mais pour des auteurs comme Sénèque, philosophe stoïcien, les sophistications de la cuisine sont condamnées car elles sont une incitation à la gourmandise et aux excès. Le stoïcisme enseigne qu’il est nécessaire de se détacher des plaisirs terrestres pour atteindre l’ataraxie, l’absence de tout souci. Pour le moraliste Plutarque, le vrai plaisir doit provenir de la simplicité des assaisonnements. Selon lui, à l’image des Spartiates, le vinaigre et le sel doivent suffire. Évidemment, derrière l’exagération, il s’agit d’inviter à privilégier des assaisonnements simples et à ne consommer que ce qui est utile.

 

Les médecins et les philosophes tiennent le même discours.

FAUX

Les philosophes stoïciens peuvent se montrer particulièrement sévères à l’égard des plaisirs de la table. Il n’en va pas de même pour les médecins comme Galien pour qui le plaisir est tout à fait admis pour peu que les considérations sur la santé ne soient pas oubliées. C’est pour cela que ses conseils visent plus à encadrer les pratiques culinaires et gastronomiques plus qu’à les rejeter de manière radicale.

 

“Un esprit sain dans un corps sain”.

VRAI

Ce célèbre adage se trouve dans les Satires de Juvénal. Il correspond assez bien aux principes du régime antique. Pour les élites, la bonne santé du corps doit aussi s’articuler avec la lecture, les exercices physiques, les bains ou les promenades. C’est cela la diététique antique. L’équilibre du corps et de l’esprit doit permettre à un éminent citoyen de répondre pleinement à ses devoirs, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’empereur ou d’un sénateur éminent. On le voit par exemple dans la correspondance de Cicéron.

 

La diététique ou le régime ont un champ beaucoup plus vaste qu’aujourd’hui.

VRAI

La diététique, l’une des trois branches de la médecine antique, ne se limite pas au seul champ de l’alimentation, mais elle recouvre également les exercices physiques, les massages, les bains, les activités sexuelles, le sommeil… bref tout ce qui peut exercer une influence sur le corps. Dans les conceptions hippocratique et galénique, elle doit aussi garantir un bon équilibre des quatre humeurs dans le corps dans la mesure où la bonne santé en dépend.

 

Homme ou femme : deux manières de penser le régime.

VRAI

En outre, le régime doit être adapté et personnalisé selon l’âge et le sexe, son mode de vie ou son environnement. Le médecin doit bien connaître son patient et son mode de vie afin de prescrire le régime le plus adapté.

 

À travailler sur les régimes, on devient soi-même un ascète.

FAUX

Malgré mon étude approfondie de la diététique antique, les séductions de la gastronomie italienne l’emportent, pour moi, bien souvent sur la raison… de quoi irriter Sénèque !

 

Pour aller plus loin : 

 

https://www.puf.com/le-regime-romain

 


Retrouvez l’entretien accordé à l’association Nunc est bibendum, “Médecins et cuisiniers romains unis par le ventre” : https://nunc.ch/interview-tilloi-dambrosi-regime-romain/

 

A propos ju wo

Professeur de français et des options FCA et LCA dans l'académie de Lille. Passionnée de cultures antiques et de langues anciennes et attachée à leur rayonnement et à leur promotion dès l'école primaire. Co-responsable du concours ABECEDARIVM pour l’association ATC.

Laisser un commentaire

X