ART ET TON CHAR #2 Massacres, symétrie et anachronisme

L’oeuvre 

Antoine Caron, les Massacres du Triumvirat

 

Les Massacres du Triumvirat. Peinture sur bois (1566) d’Antoine Caron. (Musée du Louvre, Paris.) lien vers la notice

Au détour d’une petite salle du département Renaissance Française du musée de Louvre, vous pourrez découvrir cette oeuvre étonnante du peintre maniériste Antoine Caron. D’abord peinte sur une seule toile d’environ un mètre sur deux, elle est ensuite séparée pour former ce triptyque.

Le tableau fait référence au second triumvirat d’Octave, Marc-Antoine et Lépide en 43 avant notre ère. Néanmoins, le décor dans lequel le peintre installe sa mise en scène des sanglantes proscriptions ne correspond en rien à la réalité architecturale et topographique de la Rome de cette époque.

En effet, dans un jeu de stricte symétrie, il place par exemple à droite une statue de l’empereur Commode en Hercule et pour lui faire face un Apollon du Belvédère pris entre la colonne trajane et l’arc de Septime-Sévère …

Au centre, nous reconnaissons une coupe du Colisée et en arrière plan supérieur, le Panthéon. Il ne faut pas imaginer qu’Antoine Caron méconnaisse son Histoire romaine, bien au contraire, cette disposition vient renforcer son propos qui croise la Rome éternelle et la violente décadence politique .

 

L’artiste n’est pas le seul, à cette époque, à s’intéresser à cette période troublée. Le MUDO (Musée de l’Oise) conserve un tableau daté de 1562 et attribué à l’école de l’artiste italien Nicolo Dell’Abate. Nous y retrouvons le même goût pour les jeux de symétrie et de perspective. C’est également une Rome fantasmée et anachronique qui offre son décor au massacre.

École de Nicolo Dell’Abate, Massacre des Triumvirs, huile sur toile, lien vers la notice de cette oeuvre

Pourquoi ce sujet inspire-t-il les artistes de la Renaissance ?

Cette scène semble directement puiser dans le texte de l’historien grec Appien (IIème S. de notre ère) redécouvert et  traduit en 1544 sous le titre Guerre des Romains. Voici un extrait de la traduction de Claude Seyssel :

«Toute la cité fut en si grand effroy, tellement que l’on oyait de tous costés clameurs, lamentations et plaintes, et voyait-on les gens courir par les rues comme si la ville était prise… furent pris gens de tous costés et occis en diverses manières et après les testes coupées pour en avoir guerdon ».

Après la publication de cette traduction, le thème connait alors une grande vogue auprès des artistes humanistes de la seconde moitié du siècle car il entre en résonance avec les guerres de religions qui font rage. Certains protestants de cette époque qualifient même la ligue catholique de “triumvirat”.

L’oeuvre d’Antoine Caron inspire encore les artistes aujourd’hui.

Le dessinateur de BD WOuzit propose une version très personnelle d’un détail du tableau. 


lien vers le site de WOuzit

Une proposition de texte antique en lien avec l’oeuvre

Deux extraits de l’historien grec Appien (IIe siècle de notre ère), Histoire des guerres civiles de la République romaine, décrivant  proscriptions et massacres ordonnés par le second triumvirat. Ces extraits reprennent les quelques lignes de traduction vues plus haut.

 ἄφνω θόρυβος ἀνὰ τὴν νύκτα πᾶσαν ἦν καὶ βοαὶ καὶ διαδρομαὶ μετ‘ οἰμωγῆς ὡς ἐνἁλισκομένῃ πόλει. (VI, 6)

il y eut une panique soudaine qui dura toute la nuit, et des courses en tous sens au milieu des cris et des lamentations comme lors de la prise d’une ville.

 Διετέτακτό τε πάντων τὰς κεφαλὰς ἐςτοὺς τρεῖς ἄνδρας ἐπὶ ῥητῷ κέρδει φέρεσθαι· καὶ ἦν τὸ κέρδοςἐλευθέρῳ μὲν ἀργύριονθεράποντι δὲ ἐλευθερία τε καὶ ἀργύριον.  (VI, 7)

On ordonna que les têtes de toutes les victimes soient rapportées aux triumvirs pour toucher la récompense, qui pour une personne libre était payée en argent et pour un esclave en argent et en liberté.

Texte traduit par J.I. Combes-Dounous en 1808

L’oeuvre intégrale en édition bilingue est à retrouver sur le site de Philippe Remacle.

Pour aller plus loin…

 

 

 

A propos Victorine Ledet

Je suis professeur de lettres classiques en collège dans l'académie de Toulouse, j'ai également une formation en histoire de l'art.

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