Du rififi pour Ulysse (mis à jour avec un compte rendu de lecture)


Rayon :
Texte : Bottet, Béatrice
Dessin : Peña, Nancy
Editeur : Casterman
Format : 240 pages

Présentation:

La quatrième de couverture

L’Odyssée racontée avec la verve et l’humour de Béatrice Bottet.
– Bienvenue sur Radio Olympe. Ici Hermès, en direct de Troie. Cher Ulysse, peux-tu dire quelques mots à nos auditeurs?
– Je n’ai pas trop le temps, répondit Ulysse. Mes hommes m’attendent pour lever l’ancre.
– Oui, je comprends, dix ans, c’est bien long. Juste un petit mot sur le célèbre cheval de Troie? Il était en bois, je crois…
– Pas maintenant, lui cria Ulysse. Je rentre à Ithaque!Ulysse pense à regagner son île au plus vite, mais voilà, certains dieux vont en décider autrement. Commence alors un périple riche en rencontres terribles et merveilleuses…

À feuilleter sur le site de l’éditeur.

Notre lecture

“Le héros aux mille tours, chante-le-moi, Muse…” Non… c’est sous une nouvelle forme que notre célèbre Odyssée nous est ici contée, comme en témoignent les premières phrases, qui donnent le ton de l’ensemble :

– Chers auditeurs, bienvenue sur Radio Olympe. Ici Hermès, qui vous parle en direct du rivage d’Asie Mineure, à peu de distance de Troie… […] … et quand je dis “Troie”, je ferais mieux d’évoquer plutôt “les ruines de Troie”. L’air est encore chargé de la fumée des incendies, et de l’odeur de sang et de mort.

Le décor est tôt planté, et très vite Ulysse, fort pressé de regagner ses navires et son rivage natal, délaissant le “dieu de la communication”, part en mer et commence sa seconde aventure de dix années. Hermès n’en sera pas le narrateur ; l’ensemble du texte ne sera pas un reportage du dieu, comme on peut s’y attendre au début de la lecture, mais bien un récit à la troisième personne dans lequel le porteur du caducée ne retrouvera qu’une place de personnage au même titre que ses confrères les immortels.

L’épopée, convertie en roman d’aventures, est assez fidèlement respectée du point de vue de son contenu : l’ensemble des grands épisodes homériques y ont trouvé une place, mais dans un ordre conforme à la chronologie, plus à même de permettre au jeune lecteur de suivre aisément le fil de l’histoire. Qu’on en juge par la succession des chapitres :

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Nous suivons ainsi les différents acharnements des dieux contre Ulysse, les uns après les autres, sans retour en arrière, depuis le rivage troyen jusqu’au massacre des prétendants. Les pérégrinations de Télémaque ne sont donc pas exposées, et le jeune homme n’apparaît vraiment comme personnage qu’à partir de la p. 129, au moment où il part chez Ménélas – suite à une recommandation d’Athéna qui veut le mettre à l’abri de prétendants devenus trop menaçants jusqu’au retour du père. Quelques épisodes, bien sûr, sont hâtivement résumés : ainsi n’entendons-nous pas, par exemple, l’ensemble des explications que Circé donne au roi d’Ithaque pour qu’il puisse atteindre les enfers (p. 81).

Béatrice Bottet, dans cette adaptation, s’est efforcée à adopter un style vivant et accessible, qui laisse place ici et là à quelques traits d’humour, mais dans lequel le lexique a su rester exigeant : des termes comme “anthropophage” (p. 36), “ironiser” (p. 73), “lutiner” (p. 79), “libation” (p. 83), “courroucé” (p. 149), “quolibet” (p. 176), etc., n’ont pas été effacés au profit d’équivalents approximatifs – et c’est un plaisir de penser que de jeunes gens les croiseront. En outre, elle a su conserver sa volonté d’une fidélité à l’Odyssée tout en gardant la pudeur qui sied à ce type d’ouvrages, en permettant toutes les lectures possibles des passages où les chairs se mêlent : Circé propose à Ulysse que tous deux “[soient] amis et [montent] dans [son] lit” avant que le héros n’accepte simplement d'”[entrer] dans son lit” (p. 76 ; de toute façon, Hermès lui avait demandé peu auparavant : “Elle va t’offrir son lit, et qui es-tu pour oser résister à la demande d’une déesse ?”), ses hommes se contentent de “lutiner çà et là quelques nymphes” (p. 79), Calypso “[désigne] un grand lit aux douces couvertures et l’y [entraîne] avec un sourire engageant” (p. 114), et Athéna retient l’Aurore “quelque temps, pour que le roi et la reine d’Ithaque aient droit à une plus longue nuit” (p. 199).

Cette intention romanesque a permis d’introduire dans le texte, sous une forme sympathique, les assemblées des dieux (ou plutôt les “réunions officielles sur l’Olympe”, p. 115) et un certain nombre de détails familiers absents de l’épopée, mais que le jeune lecteur ou la jeune lectrice apprécieront grandement : de véritables dialogues (courts et rythmés) et quelques répliques isolées un peu plus longues permettent d’entendre les propos que s’échangent les dieux – ou encore l’acharnement avec lequel Poséidon rappelle qu’il a une vengeance à laquelle ne pas mettre un terme (l’ensemble rendant très claire la compréhension du triste sort réservé au héros) ; de même, Hermès “[claque] deux bises” à Calypso avant de la quitter (p. 120)… Un exemple ? Au coeur de l’épisode des boeufs du Soleil, au moment où les hommes d’Ulysse s’apprêtent à commettre l’irréparable, gargouillements intestinaux obligent :

Lesquels [les dieux] se montrèrent extrêmement irrités par le procédé.

– J’en étais sûr, fit Zeus. Ils n’ont pas deux sous de jugeote.

– Je vous ferai remarquer qu’Ulysse n’y est pour rien, commenta Athéna.

– Ils ne méritent que ma vengeance, fit Hélios, furieux. Avec ta permission, Zeus, je tiens à les châtier durement.

– Je m’en charge moi-même, répliqua le plus grand des dieux.

– Et ce sera bien fait pour eux, renchérit Poséidon.

Ainsi, par exemple, l’épisode des Lestrygons est raconté presque plus longuement par Béatrice Bottet (p. 63-67) que ne le fait l’aède odysséen (chant X) : une plus grande place au dialogue et quelques notes d’humour viennent compléter un récit très proche de celui d’Homère. D’ailleurs, le héros lui-même, Ulysse, se voit aussi quelque peu adapté : s’il apparaît bien toujours comme supérieur à tous ses guerriers par son intelligence, il est devenu un homme plus proche du simple mortel, bien conscient de ses faiblesses (la première étant constituée de ses benêts de marins !), et qui se met à bafouiller quand il parle à Éole ou à Athéna (p. 62 et 75).

En outre, des dessins enjolivent agréablement l’ouvrage, réalisée par la dessinatrice qui a conçu l’illustration de couverture, et un dossier final apporte quelques compléments “pour en savoir plus sur Homère et l’Odyssée” : il évoque “Homère”, “Ulysse” (on regrettera toutefois que cette section rattache le cheval de Troie à l’Iliade), “Des dieux et des héros”, “La navigation : une aventure périlleuse”, et comprend une carte du parcours d’Ulysse d’après Victor Bérard.

En somme, un récit au ton sympathique, bien écrit et très plaisant à lire, aussi accessible que digne d’intérêt, que ce soit pour compléter une étude en classe de passages choisis de l’Odyssée, ou pour le simple agrément de la lecture. Une découverte à recommander, donc !

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Merci à l’éditeur, qui nous a offert un exemplaire de cet ouvrage.

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