Lavini


Rayon :
Texte : Le Guin, Ursula K.
Editeur : L'Atalante
Collection : La dentelle du cygne
Format : 312 pages

Présentation:

L’histoire :Comme Hélène de Sparte j ai causé une guerre. La sienne, ce fut en se laissant prendre par les hommes qui la voulaient ; la mienne, en refusant d être donnée, d être prise, en choisissant mon homme et mon destin. L homme était illustre, le destin obscur : un bon équilibre.
Dans l Énéide, Virgile ne la cite qu une fois. Jamais il ne lui donne la parole. Prise dans les filets du poète qui n écrira l épopée des origines de Rome que des siècles plus tard et sans avoir le temps de l achever avant sa mort, Lavinia transforme sa condition en destin. De ce qui sera écrit elle fait une vie de son choix. Et cela dans la douceur amère et la passion maîtrisée que suscite son improbable position : elle se veut libre mais tout est dit.

Lavinia a obtenu le Locus Award 2009, le prix de la plus prestigieuse revue américaine consacrée au domaine de l imaginaire.

Extrait :

Je suis allée aux salines près de l’embouchure du fleuve, au mois de mai de ma dix-neuvième année, afin de récolter du sel pour la farine sacrée. Tita et Maruna m’accompagnaient, et mon père nous avait adjoint, pour ramener le sel, un vieil esclave et un garçon qui menait un âne. Ce n’était qu’à quelques milia au nord, mais nous en avons fait une véritable excursion : le pauvre petit âne portait d’abondantes provisions, nous avons mis la journée entière à atteindre notre destination pour finir par installer notre campement sur une dune herbeuse qui dominait les plages du fleuve et de la mer. Tous les cinq, nous avons soupe autour du feu, raconté des histoires et chanté des chansons alors que le soleil se couchait dans les flots et que le bleu du crépuscule printanier s’assombrissait à vue d’oeil. Puis nous avons dormi sous la brise marine.
Je me suis éveillée aux premières lueurs. Les autres dormaient profondément. Les oiseaux entamaient tout juste leur choeur d’aurore. Je me suis levée pour gagner la rive du fleuve. J’ai puisé un peu d’eau dans le creux de ma main et, avant de boire, l’ai laissée couler en offrande, prononçant le nom du fleuve, Tibre, père Tibre, et ses noms anciens, secrets, Albu, Rumon. Puis j’ai bu en savourant l’arrière-goût salé. Le ciel était assez clair pour offrir à mon regard les longues vagues raides de la barre où se rencontraient le courant et la marée montante.
Au-delà, sur la pénombre de la mer, j’ai vu des navires, une ligne de grands navires noirs qui, venus du sud, viraient droit sur l’embouchure du fleuve. De part et d’autre de chaque vaisseau une longue rangée de rames battait comme battent des ailes dans le crépuscule.
L’un après l’autre les navires franchissaient la barre, ils s’élevaient puis retombaient, l’un après l’autre ils arrivaient. Leurs éperons triples, longs et courbés, étaient de bronze. Je me suis accroupie au bord de l’eau dans la boue salée. Le premier navire a pénétré le fleuve et est passé devant moi, sombre et haut, au rythme lourd et régulier des rames dans les flots. L’ombre dissimulait les visages des rameurs, mais à la proue se dressait un homme qui, découpé contre le ciel, regardait droit devant lui.
Sa figure est grave mais détendue ; il contemple les ténèbres, il prie. Je sais qui il est.

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