Interpelée par la violence des propos répétés de Jean-Michel Zakhartchouk, professeur honoraire de lettres en collège, rédacteur des Cahiers Pédagogiques, blogueur et accessoirement co-auteur des nouveaux programmes de français 2016, à l’encontre des enseignants de Lettres Classiques, notre association a décidé de lui faire la réponse suivante.
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Réponse d’ATC aux articles de blog de Jean-Michel Zakhartchouk
– Marche en avant ou néosarkosisme
– Abécédaire de l’ère Blanquer 1
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Nous nous sommes longtemps demandé s’il valait la peine de réagir à vos deux débordements récents concernant non pas les langues anciennes, mais les professeurs qui les enseignent. Nous pensons finalement devoir le faire, en nous efforçant de ne pas tomber dans la colère incapacitante, bref, de garder sang froid et mesure.
Vous avez naturellement toute liberté de penser ce que vous avancez. Nous attirons cependant votre attention sur le fait que, derrière l’ennemi imaginaire que l’on voit construit dans ce post et dans votre abécédaire n°1, ce fameux “privilégié prétentieux” qui a l’outrecuidance d’avoir passé un concours d’enseignement des langues anciennes et qui a même l’atroce volonté de vouloir les enseigner ; derrière ce monstre, il y a des femmes et des hommes qui ne vous ont rien fait, qui – pour beaucoup – ne vous connaissent pas, n’ont jamais entendu parler de vous.
Or par vos propos, ces collègues risquent de voir légitimées, sur le terrain, que ce soit par l’administration (on a connu des rectorats très investis dans l’annihilation des langues anciennes), les chefs d’établissement ou même les collègues d’autres disciplines, des attaques non sur leur professionnalisme, mais sur leur existence même (professionnellement parlant, cela va sans dire). Les propos de votre post sont problématiques à plus d’un titre : pourquoi opposer les professeurs de lettres classiques à leurs collègues d’arts plastiques et d’éducation musicale ? Pourquoi laisser planer l’idée que les professeurs de lettres classiques volent ces heures aux autres ?
Est-ce être un “privilégié” que d’être la cible de ces attaques qui remettent en cause leur éthique personnelle ? Est-ce être un “privilégié” que de devoir défendre constamment son existence professionnelle dans l’enseignement, quand d’autres n’ont qu’à poser leur postérieur sur une chaise pour avoir des conditions de travail à peu près décentes ? Est-ce être “privilégié” que de devoir enseigner la discipline pour laquelle nous avons été recrutés et formés, sans forcément obtenir ni les horaires nationaux, ni le soutien ou du moins la neutralité des acteurs éducatifs ?
Vous hurlez contre la situation du latin et du grec. Le problème vient selon nous de son statut d’option, qui est bien antérieur à la réforme du collège et qui a été soutenu à l’époque par les syndicats dont vous vous réclamez. Il aurait été pourtant facile, plus tard, de sortir de cette situation bancale et insatisfaisante, tant pour vous que pour nous : il suffisait d’intégrer les langues anciennes dans le socle commun. Or, à notre connaissance, vous vous y êtes opposé, en 2004 et lors de la refonte du socle dix ans plus tard. Pourquoi alors considérer ce statut comme problématique, si vous n’avez pas voulu le changer ?
Nous remarquons aussi que, lorsque nous avons une discussion dépassionnée sur le sujet, les propositions que les professeurs de langues anciennes peuvent avancer (notamment pour le lycée) sont renvoyées aux calendes grecques. La disparition du latin et du grec au collège est une urgence pour vous. La situation de ces disciplines au lycée ne semble pas vous intéresser, peut-être parce qu’elles y sont déjà fragilisées, pour des raisons diverses et variées. Pourquoi ne vous entend-on pas réclamer, par exemple, la possibilité pour les élèves de filière professionnelle de présenter l’option LCA au bac ? Cette proposition est pourtant défendue par les associations disciplinaires mais l’ancienne équipe ministérielle, pour laquelle vous aviez plus de sympathie, n’a pas souhaité la satisfaire. Comme quoi, le combat contre l’élitisme du latin et du grec est à géométrie variable…
On comprend alors que l’objectif n’est pas la généralisation des langues anciennes dans l’enseignement secondaire mais bien la disparition du corps des enseignants de lettres classiques, combat noble s’il en est et qui vous occupe régulièrement. Nous gardons un souvenir ému de votre “il n’y a pas loin de la racine à la souche” d’il y a quelques années, un joli sous-entendu (ne parlions-nous pas plus haut d’attaques contre l’éthique des enseignants de lettres classiques ?) qui nous a touchés au coeur.
Vous dénigrez “classes bilangues et classes latinistes” en vous indignant qu’on ose les présenter comme des dispositifs “qui marche(nt)” sans avancer d’études qui le prouvent, mais nous attendons toujours que vous fournissiez, de votre côté, les études montrant que les fameux EPI, qui vous sont si chers, sont aussi profitables aux élèves les plus fragiles qu’aux élèves en réussite qui disposent déjà des connaissances, des codes et des aides à la maison pour réussir ce type d’activités.
Même si nous ne croyons pas un instant que votre souhait puisse être un jour que latin et grec ancien soient réellement offerts à tous les élèves, des collèges de centre ville aux zones d’éducation prioritaires en passant par les collèges en zones rurales isolées nous vous conseillons tout de même la lecture de ce rapport du Conseil d’Analyse Stratégique remis en 2013 au Premier Ministre “Les Humanités au coeur de l’excellence scolaire et professionnelle”.
Nous devons absolument sortir de ce conflit stérile, épuisant et délétère, et réfléchir à la manière de démocratiser l’enseignement des LANGUES et cultures de l’Antiquité, pour le bien de tous nos élèves.
Peindre un tel portrait des professeurs de LCA et contribuer à dresser les collègues – notamment des disciplines artistiques – contre eux, nous paraît aller à l’encontre de cet objectif.